Au vu des conséquences catastrophiques de la pandémie pour les 30 millions d'Américains les plus fragiles économiquement, le démocrate Joe Biden avait annoncé dès son arrivée au pouvoir fin janvier qu'il voulait doubler le salaire minimum en vigueur aux États-Unis pour en finir avec cette pauvreté massive et endémique des laissés-pour-compte dans le pays le plus riche de la planète. Une revendication ancienne du camp démocrate.
De 7,25 dollars de l'heure, le président Joe Biden avait tenté de légiférer pour passer le smic américain à 15 dollars de l'heure. En janvier, Bernie Sanders, sénateur du Vermont, ancien candidat progressiste à la présidentielle, avait qualifié ces 7,25 dollars de l'heure de "salaire de famine", ajoutant à l'attention des sceptiques à l'égard du projet d'augmentation:
"Ce n'est pas un idéal radical" (...) "Dans le pays le plus riche du monde, quand on travaille 40 heures hebdomadaires, on ne devrait pas vivre dans la pauvreté", avait-il martelé.
Mais la farouche opposition républicaine au Sénat avait contraint Joe Biden à abandonner cette promesse de campagne. Il avait dû revoir à la baisse ses ambitions en se contentant d'augmenter -un simple décret suffisait- le salaire minimum des seuls travailleurs contractuels du gouvernement fédéral à 15 dollars début 2022, contre 10,95 dollars actuellement.
Pour l'immense majorité des salariés du privé, le salaire minimum fédéral restait donc scotché au seuil de 7,25 dollars, un niveau inchangé depuis 12 ans (depuis 2009, même si, localement, plusieurs États ont réussi à imposer un salaire plus élevé).
Économie en surchauffe, explosion des offres d'emploi
Or, avec la vigoureuse reprise économique aux États-Unis, cette majoration que Joe Biden n'a pu obtenir des sénateurs républicains, il semble que les lois de l'offre et de la demande sur le marché du travail soient en train de la réaliser.
De fait, la pénurie de main-d'œuvre actuelle dope les bas salaires au point de voir se généraliser dans les grandes entreprises ce salaire minimum à 15 dollars de l'heure prôné depuis si longtemps par les démocrates.
Marge de négociation
Fait rare, les salariés des secteurs peu valorisés où les salaires sont d'ordinaire très bas ont aujourd'hui gagné une marge de négociation face aux recruteurs, selon David Cooper, économiste à l'Institut de politique économique (EPI), un centre de réflexion américain, cité par l'AFP :
« Pour la première fois depuis la fin des années 1990, les employés ayant des bas salaires disposent d'un peu plus d'influence pour exiger des rémunérations plus élevées. »
Car, malgré le bond des offres d'emplois, des millions d'Américains sont encore au chômage.
Des allocations trop généreuses? Des tribunaux jugent le contraire
Des chefs d'entreprises et des personnalités politiques ont pointé du doigt les généreuses allocations chômage mises en place avec la pandémie, estimant qu'elles "n'encouragent pas les chômeurs à reprendre le chemin du travail" selon les mots du sénateur républicain Marc Rubio.
Pour mémoire, depuis janvier, l'administration Biden verse à tous les demandeurs d'emploi 300 dollars (245 euros) par semaine qui, ajoutés aux indemnités locales (en moyenne 387 dollars), atteignent 687 dollars par semaine : c'est plus qu'un temps plein hebdomadaire moyen (ou plus précisément, cela équivaut à 40 heures de travail mais avec un salaire horaire de 17,17 dollars...). Cette aide a été prolongée par l'administration Biden jusqu'au 6 septembre 2021.
Aussi, face aux difficultés de recrutement, quelque 22 États américains sur les 27 gouvernés par les républicains ont décidé de les supprimer avant l'heure.
Des décisions qui doivent toutefois attendre des réponses de la justice, plusieurs recours ayant été déposés. Or, des juges du Maryland et de l'Indiana ont ordonné à ces deux États de continuer à verser les allocations, a rapporté l'agence Bloomberg le 21 juillet dernier.
Les employeurs mettent la main à la poche et accordent avantages et bonus
Dans cette fenêtre exceptionnelle, des entreprises ont mis main à la poche avec non seulement des hausses de salaire mais aussi l'octroi de bonus et avantages sociaux afin de séduire les futures recrues, notamment dans les métiers peu valorisés jusqu'ici comme le commerce de détail, la logistique, la restauration ou l'hôtellerie.
Désormais, outre la hausse salariale, les offres d'emplois dans ces secteurs proposent aussi la prise en charge de la garde des enfants ou de parents âgés (quand, en période de pandémie, les systèmes scolaire ou de santé sont encore loin d'être optimaux), des aménagements de la journée de travail voire une réduction de l'amplitude horaire. Ce qui ne va pas sans poser de problèmes aux employeurs, notamment dans la restauration, contraints de limiter les horaires d'ouverture de leur établissement malgré le retour en masse de la clientèle.
Autre signe de cette tendance, la cohorte des grandes entreprises comme Amazon, Target, Chipotle, etc., qui ont décidé de franchir le cap des 15 dollars, a été rejointe la semaine dernière par la chaîne de pharmacies CVS, mais avec un bémol : ses employés devront attendre juillet 2022 pour toucher cette augmentation.
Le géant de la distribution Walmart a, lui, annoncé fin juillet qu'il paierait l'intégralité des frais de scolarité de certaines écoles pour ses travailleurs américains, le dernier effort du plus grand employeur privé du pays pour attirer et retenir les salariés face à un concurrent, Costco, qui paie mieux.
Risques d'inflation?
De telles augmentations salariales ne vont-elles pas favoriser un bond de l'inflation déjà orientée à la hausse ? Un certain nombre d'économistes ne sont pas particulièrement inquiets pour l'heure des risques d'alimenter l'augmentation des prix. Ils anticipent une hausse d'inflation, mesurée par l'indice CPI, de 0,5% après +0,9% en juin. La publication des chiffres de l'inflation américaine pour le mois de juillet est attendue ce mercredi.
Le salaire horaire moyen a augmenté de 0,4% en juillet comparé à juin et de 4,7% sur un an. Des hausses qui devraient se poursuivre l'année prochaine.
Les employeurs prévoient en effet des augmentations moyennes de 3% en 2022, selon une enquête du cabinet de conseil Willis Towers Watson, réalisée entre avril et juin. C'est plus que les +2,7% prévus cette année, selon la même source.
Pour autant, nuance le Washington Post, si la concurrence entre entreprises permet que, pour la première fois, le salaire moyen des employés des supermarchés et des restaurants dépasse les 15 dollars de l'heure, il ne s'agit là que d'une moyenne. En effet, le salaire de très nombreux employés reste encore très inférieur à ce seuil, même si "près de 80% des travailleurs américains gagnent désormais au moins 15 dollars de l'heure, contre 60% en 2014", rappelle le quotidien.
(avec AFP, Bloomberg, VOA, CNN, Washington Post...)
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