Pourquoi la Chine ne veut pas d'un plan de relance massif comme en 2008

Durant ce mois d'août, les marchés ont été déçus par les performances économiques moins bonnes que prévu du géant asiatique auxquelles s'ajoute le retour du spectre de la crise immobilière avec les difficultés de Country Garden, un géant privé du secteur. Face à cette situation, Pékin n'entend pas réitérer un plan massif de relance comme en 2008 dont certains analystes considèrent qu'il est responsable des difficultés actuelles amplifiées par la gestion de la pandémie en 2021 et 2022.
Robert Jules
Xi Jinping, président de la Chine, s'exprimant ce mardi au sommet des Brics, à Johannesburg en Afrique du Sud.
Xi Jinping, président de la Chine, s'exprimant ce mardi au sommet des Brics, à Johannesburg en Afrique du Sud. (Crédits : Reuters)

« La Chine est une bombe à retardement », affirmait à la mi-août sur un ton provocateur le président des Etats-Unis Joe Biden, évoquant les difficultés de l'économie du pays. Dans la torpeur estivale où les canicules atteignent des températures record à travers le globe, la deuxième puissance de la planète déprime les marchés financiers internationaux, déjà plombés par la perspective d'une poursuite de la hausse des taux des banques centrales des deux côtés de l'Atlantique.

Aux Etats-Unis, le S&P 500 recule de près 3,5% en un mois, le Stoxx 600 en Europe de plus de 3,6%, et au Japon le Nikkei de plus de 2,5%. Sur les marchés chinois, l'indice de Shanghai est en baisse de 4,66% sur un an, et celui de la Bourse de Hong Kong de 8,5%.

Le circuit du crédit et de l'investissement contrôlé par les pouvoirs publics

L'espoir d'une forte reprise de la deuxième économie mondiale depuis l'arrêt en novembre 2022 des confinements stricts imposés par la politique « zéro Covid » s'estompe. La Chine voit même ressurgir le spectre d'une aggravation de la crise de l'immobilier, avec la menace de défaut du géant privé de l'immobilier chinois, Country Garden, lourdement endetté à hauteur de 179 milliard d'euros, incapable d'honorer deux remboursements d'intérêts venant à échéance. Si la crise immobilière en Chine n'a jamais débouché sur une crise financière d'ampleur, c'est qu'à la différence des Etats-Unis ou de l'Europe, le circuit du crédit et de l'investissement est strictement contrôlé par les pouvoirs publics.

Mais cette fois, cela semble différent. « Bien que les autorités chinoises présentent un bilan remarquable dans la maîtrise des crises économiques, les difficultés soulevées par un ralentissement significatif de la croissance, associées à des niveaux de dette élevés - en particulier au niveau des gouvernements locaux et du secteur immobilier - sont sans précédent », avertissait à la mi-août l'économiste Kenneth Regoff, réputé pour ses travaux sur les dettes des Etats et leurs effets sur la croissance.

D'autant qu'aux incertitudes économiques s'ajoutent les tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et la Chine qui s'opposent par exemple sur la souveraineté de Taïwan. Un climat de guerre froide s'est installé qui s'est alourdi depuis l'opération militaire menée par la Russie en Ukraine, qui voit se creuser à l'échelle planétaire un fossé entre les pays émergents et les pays développés.

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Les indicateurs économiques publiés ces dernières semaines sont décevants même s'ils sont à relativiser. Pour le quatrième mois consécutif, l'activité manufacturière s'est repliée en juillet, l'indice des directeurs d'achat (PMI), reflet de la santé du secteur industriel, s'affichant à 49,3 points (sous les 50 points, c'est une contraction).

Baisse de la demande internationale

Les exportations ont également marqué le pas. En juillet, les ventes de produits chinois destinés à l'étranger ont reculé de 14,5% sur un an, selon les chiffres en dollars publiés par les Douanes chinoises. Il s'agit de leur plus fort repli depuis janvier-février 2020 (-17,2%), quand l'économie chinoise subissait les effets de la pandémie de Covid-19. En juin, les exportations chinoises s'étaient déjà contractées de 12,4% en glissement annuel. Hormis un bref rebond en mars et avril, les ventes du géant asiatique vers l'étranger sont constamment en repli depuis octobre 2022. Mais cette mauvaise performance traduit surtout la baisse de la demande internationale, notamment des pays développés.

La production industrielle a également ralenti en juillet (+3,7% sur un an), après 4,4% un mois plus tôt. Les analystes anticipaient un tassement mais plus modéré (4%). Pour sa part, l'investissement s'est de nouveau affaibli à +3,4% sur un an sur les sept premiers mois de l'année. C'est son rythme de croissance le plus modeste depuis 2020.

En juillet, le taux de chômage pour l'ensemble de la population active a en effet légèrement augmenté par rapport à juin pour atteindre 5,3% contre 5,2% en juin. Toutefois, il est au même niveau qu'août 2022. Quant au chômage des 16-24 ans, il a atteint un nouveau record à 21,3%, mais ce niveau élevé est à mettre davantage au compte d'une inadéquation entre l'offre et la demande, la Chine formant de plus en plus de jeunes diplômés, qui ne trouvent pas suffisamment de débouchés.

« Le paysage macroéconomique chinois est véritablement en train d'empirer, avec une baisse significative plus prononcée que prévu de la croissance, les craintes d'une déflation et un secteur immobilier en grande difficulté qui met en péril la stabilité du système financier et du crédit, notamment celui dit du "shadow banking" », redoute pour sa part Bruno Salvatore, directeur des investissements de Generali investments partners.

Un PIB prévu en hausse de 5,2% cette année par le FMI

Pour autant, si l'on compare les estimations de croissance, l'objectif de 5% fixé lors du congrès du Parti communiste chinois n'est pas hors de portée. Au deuxième trimestre, officiellement, le PIB a progressé de 6,3%. C'est moins que les 7,3% attendus par le marché mais cela reste dans l'objectif. Le FMI, dans ses dernières prévisions, prévoit 5,2% cette année et 4,5 % en 2024. Si ces prévisions établies en juillet ne prennent pas en compte la conjoncture d'août, la croissance en Chine reste meilleure cette année comparée à celle des Etats-Unis (+1,8%) et à celle de la zone euro (0,9%).

Dans son analyse, le FMI soulignait que le facteur de soutien serait la consommation, qui devrait compenser le sous-investissement dans l'immobilier.

Si la consommation des ménages a marqué le pas en juillet, avec des ventes au détail qui n'ont progressé que de 2,5%, après 3,1% en juin et surtout l'envolée de 18,4% en avril, avec le retour des consommateurs dans les restaurants et les centres commerciaux et une forte reprise du tourisme, néanmoins, il s'agit du septième mois consécutif de hausse.

Au-delà des chiffres, c'est la réponse de Pékin face au ralentissement qui suscite la déception des investisseurs. Loin d'adopter un vaste plan de relance de l'économie - à l'instar de l'IRA aux Etats-Unis et du NextGenerationEU en Europe -, Pékin préfère des mesures plus modestes et ciblées, à l'image de la réduction des taux directeurs de la banque centrale chinoise d'à peine 0,2 point décidée lundi sur son taux directeur.

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Les enseignements du plan massif de relance de 2008

Le parti communiste chinois a visiblement tiré les enseignements du plan de relance de 2008 de 460 milliards de dollars mis en place pour répondre à la crise financière déclenchée par les subprimes aux Etats-Unis. « Les problèmes actuels de la Chine trouvent leur origine dans le plan massif de relance de l'investissement après 2008, dont une partie significative a alimenté le boom de la construction immobilière. Après des années de construction rapide de logements et de bureaux, le secteur immobilier, surdimensionné - qui représente 23 % du PIB du pays (26 % en tenant compte des importations) - produit aujourd'hui des rendements décroissants », analysait  Kenneth Rogoff.

Ce qui correspond aux objectifs du régime de réduire la frénésie financière du secteur. « Les maisons sont faites pour y vivre, et non pour spéculer », ne manque pas de rappeler le président Xi Jinping. En réalité, l'imbrication du secteur dans l'économie chinoise est évalué différemment que le marché immobilier par exemple aux Etats-Unis. « En Chine, la corrélation est forte entre son évolution et celle de la croissance. C'est une menace si la construction et les transactions immobilières chutent, mais un pilier de l'activité économique dans le cas contraire. Néanmoins, ce secteur ne représente pas vraiment une menace exogène pour l'économie, car il est soumis à des contrôles multiples de la part des autorités politiques, ce que l'on semble ignorer en Occident. Les baisses et les expansions sont pour une bonne part des ajustements résultant de choix politiques », expliquait en début d'année à la Tribune le sociologue Nathan Sperber, spécialiste de l'économie chinoise.

Ainsi, en 2020, pour réduire la bulle immobilière qui menaçait, Pékin a imposé des mesures — les « trois lignes rouges » — pour limiter l'accès au crédit : le passif des entreprises ne pouvait excéder 70 % de leur actifs, la dette nette ne devait pas dépasser les fonds propres, et la trésorerie devait être au moins égale aux emprunts à court terme. Si elles ont stabilisé le secteur, ce changement des règles a aussi révélé que des géants du secteur lourdement endettés avaient des pieds d'argile: Evergrande depuis 2020 et, depuis quelques jours, Country Garden.

Une politique monétaire dépendante de la hausse des taux aux Etats-Unis

Si Pékin ne veut pas relancer le crédit à tout va, il n'est pas question de brider le secteur, mais d'agir avec prudence, comme en témoigne la politique monétaire. « L'absence d'une baisse nette et rapide des taux de crédit reflète davantage un débat interne au sein du gouvernement sur la nature et le degré d'assouplissement requis, les marges de manœuvres politiques ainsi que la prise en compte d'autres risques et priorités », commente Aninda Mitra, stratégiste spécialiste de l'Asie à la banque BNY Mellon, qui évoque par exemple le risque du différentiel de taux entre la hausse aux Etats-Unis et la baisse des taux en Chine qui met déjà la pression sur le yuan. Conséquence, Pékin doit attendre la prochaine réunion de la Fed pour calibrer au mieux ses propres décisions en matière de politique monétaire.

Ces hésitations auxquelles est confronté le pouvoir chinois et le débat qu'elles suscitent sur les réponses à apporter contrastent avec l'assurance du régime en 2020 lorsque la pandémie du Covid-19 se répandait. Selon l'historien Adam Tooze dont les analyses sur les crises font autorité, les difficultés actuelles trouveraient leur origine dans l'« excès de confiance » du président Xi Jinping acquis avec le succès de la politique « zéro Covid » durant la première phase de la de la pandémie que la propagande expliquait par la supériorité du régime communiste. Il est vrai qu'au même moment aux Etat-Unis Donald Trump niait la gravité de la situation et qu'en Europe le chacun pour soi prévalait.

En revanche, dans un deuxième temps, Pékin a sous-estimé la dangerosité de la mutation du virus, devenu Omicron, rendant non seulement inadéquate la politique « zéro Covid » en 2021-2022 mais contre-productive, avec la multiplication des confinements stricts qui ont conduit au ras le bol de la population et au grippage de l'économie dans des régions entières. Le retard pris en persévérant dans cette politique alors qu'au même moment la vaccination massive en Europe et aux Etats-Unis permettait un redémarrage rapide de l'économie expliquerait en partie les difficultés actuelles, suggère l'historien.

Une thèse qui n'est pas sans fondement puisque ce n'est pas à l'initiative de Xi Jinping qui a été mis fin à la politique « zéro Covid » mais elle lui a été imposée en novembre 2022 par des membres du politburo. Le plus fervent défenseur de l'abandon était Li Quiang. En mars dernier, il a été nommé Premier ministre et numéro 2 du régime.

Robert Jules
Commentaires 5
à écrit le 23/08/2023 à 14:41
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...parce qu'elle n' en a plus les moyens...

à écrit le 23/08/2023 à 9:21
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Pour mieux connaître la Chine, lisez les trois récits de Jean Tuan : "Un siècle chinois" (chez CLC Éditions) évoque le parcours de son père chinois arrivé en France en 1929, leur voyage en Chine en 1967 lors de la Révolution culturelle et les incroya...

à écrit le 23/08/2023 à 7:16
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Bonjour, La chine n'a pas de problème de production , mais de consommation... Faible consommation intérieure, une grande partis de sa population est pauvres... Faiblesse des exportations, mise en place de barrières au USA et en Europe. Actuel...

à écrit le 22/08/2023 à 22:31
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Avec la chine autocratique, la prudence devient un devoir de chacun d'entre nous - Pour mettre fin à l'ENORME armement guerrier de la chine, nous devons cesser nos achats directs en chine, MAIS AUSSI nous devons cesser nos achats indirects de produit...

le 23/08/2023 à 4:43
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Comme le pays produit l'essentiel, vous allez vous retrouver avec une brouette. Pour le potager, c'est indispensable.

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