Allemagne : l’énigmatique Monsieur Scholz

La prudence à l’extrême du chancelier déroute ses partenaires européens. Mais Olaf Scholz fait le pari qu’elle séduira ses concitoyens.
Emmanuel Macron, Olaf Scholz et le Premier ministre polonais, Donald Tusk, réunis vendredi à Berlin pour un sommet sur l’Ukraine.
Emmanuel Macron, Olaf Scholz et le Premier ministre polonais, Donald Tusk, réunis vendredi à Berlin pour un sommet sur l’Ukraine. (Crédits : © LTD / REUTERS/Annegret Hilse)

C'était vendredi à Berlin. Olaf Scholz est au centre de l'image, brandissant les mains serrées de ses partenaires français, Emmanuel Macron, et polonais, Donald Tusk. Un bloc, une unité. Le chancelier a le bon sourire d'un homme satisfait, presque comblé. Pourtant, rarement un dirigeant allemand n'aura éveillé autant de perplexité. Dans son pays comme auprès des Européens, il peine à convaincre.

« Il y a une scène dans la série Game of Thrones où un des personnages dit : "Si quelqu'un doit rappeler qu'il est le roi, alors il n'est pas roi" », souligne le politologue Gero Neugebauer, spécialiste de la gauche allemande. Or, bien souvent, sur les questions de défense aujourd'hui comme sur le nucléaire civil à l'automne 2023, Scholz n'a d'autre argument que de rappeler sa fonction. Dans son entourage, même aplomb : « Les Allemands finiront bien par comprendre qu'il est particulièrement fin et qu'il voit juste avant les autres », assénait en privé une de ses proches... quelques jours seulement avant que la Cour constitutionnelle ne le tance sur les arbitrages aléatoires de son budget, déclenchant une profonde crise au sein de sa coalition.

Lire aussiAide à l'Ukraine : en Allemagne, Emmanuel Macron rencontre ses homologues allemand et polonais pour apaiser les tensions

Hystérie autour des livraisons des missiles Taurus à l'Ukraine

L'énigmatique M. Scholz est-il brillant, prudent ou fuyant ? La question des livraisons des missiles de croisière Taurus à l'Ukraine, qui agite la classe politique allemande depuis des mois, tourne à l'hystérie. Pas une journée sans une tribune dans les journaux, sans qu'une question soit posée à Olaf Scholz par la presse ou les parlementaires à propos de cet engin surnommé « le briseur de bunker ». Il s'oppose à la livraison de cette arme à longue portée, susceptible à ses yeux d'entraîner la guerre dans un engrenage fatal - et dont il va jusqu'à éviter de prononcer le nom. Son argumentaire est contesté par les experts, mais il persiste sur un ton de maître d'école : « Pas tant que je suis chancelier. »

Aux critiques sur sa pusillanimité vis-à-vis de Vladimir Poutine, Olaf Scholz répond par la « pondération »

Mercredi, au Bundestag, plusieurs députés de l'opposition l'ont accusé de ne pas jouer cartes sur table sur les réelles raisons de son refus. « Un débat pour la bulle berlinoise, déplore Nils Schmid, député de son parti (SPD). Je pense que de nombreux citoyens allemands en sont agacés. »

Scholz parie même que les électeurs aiment le voir endosser le costume rassurant du « chancelier de la paix », comme s'il était le seul rempart à l'éventualité d'une extension de la guerre. Fin février, lors d'un dialogue citoyen à Dresde, le social-démocrate avait repris à son compte la formule « des diplomates plutôt que des grenades ».

« Scholzomat »

Une majorité d'Allemands le soutient dans sa position, mais sa gestion illisible du dossier sème la zizanie dans sa coalition déjà brinquebalante avec les libéraux et les Verts. Des frondeurs contredisent publiquement sa décision, tandis que le parti d'extrême droite le soutient ! Il sert en boucle de sempiternels éléments de langage. Aux critiques sur sa pusillanimité vis-à-vis de Poutine, Olaf Scholz répond par la « pondération » face à un adversaire imprévisible doté de l'arme nucléaire. Et répète que l'Allemagne est le premier contributeur en Europe pour l'aide à l'Ukraine. Sa capacité à seriner mécaniquement ses arguments comme un automate lui a valu le surnom de « Scholzomat ».

« Raisonnable et calme » pour ses partisans, le chancelier est jugé « terne, sans charisme » par ses adversaires ; son style est indéfinissable, sa communication, insaisissable. « Il a eu beau dire que chaque centimètre carré du territoire de l'Otan serait défendu, une déclaration aussi forte que celles de Macron, défend son biographe Lars Haider, son message n'imprime pas, parce qu'il le prononce sans pathos, comme s'il commandait une pizza dans un restaurant. »

Outsider des élections en 2021, Olaf Scholz a créé la surprise en accédant à la chancellerie grâce aux faiblesses et aux faux pas de ses concurrents. Son parti, autour de 14 % d'intentions de vote dans les sondages, joue gros aux prochaines élections, les européennes, mais surtout les régionales, dans trois Länder de l'Est en septembre. En Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg, l'extrême droite de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) caracole en tête, à plus de 30 %, tandis que le SPD pourrait disparaître du paysage politique local. Scholz pense aussi à 2025, pour garder son poste.

Quand il dit: « Je vous entends, j'entends vos peurs », c'est une façon très française de communiquer

Jacob Ross, analyste

« Il est frappant de voir comment il oriente maintenant sa communication en s'adressant directement à l'opinion publique, constate Jacob Ross, analyste à la Société allemande de politique étrangère. Quand il dit : "Je vous entends, j'entends vos peurs", c'est une façon très française de communiquer. » C'est aussi un retour aux sources de la social-démocratie. Il sait qu'il peut toucher la vieille garde de gauche au cœur. « Scholz ne sort pas de nulle part, rappelle la chercheuse Ryszarda Formuszewicz, directrice du bureau berlinois de l'Institut polonais d'affaires internationales. Sa position sur la défense porte la marque du SPD. »

Des différends avec Emmanuel Macron

La comparaison avec le président français - les différends entre eux sont désormais étalés sur la place publique - revient systématiquement. Avare de mots, l'énigmatique M. Scholz observe avec circonspection l'agitateur d'idées, le volubile Emmanuel Macron. « Olaf Scholz est quelqu'un d'excessivement prudent, d'une grande méfiance vis-à-vis des embardées françaises », pointe le député Charles Sitzenstuhl. L'élu Renaissance du Bas-Rhin, qui a côtoyé Olaf Scholz, alors ministre des Finances, au moment des négociations sur la taxe anti-Gafa, a observé son autre trait de caractère : « Il est extrêmement attentif aux réactions américaines. » Un atlantisme qui laisse sceptique à l'ouest du Rhin mais qui est salué à l'est de l'Oder, pointe Ryszarda Formuszewicz : « C'est toujours mieux pour la Pologne, quand les leaders allemands s'adossent aux États-Unis ! »

« Quand je parle avec des Polonais, des Baltes ou des Bulgares, personne ne dit qu'il veut européaniser la bombe atomique française », note le social-démocrate Nils Schmid, qui s'interroge - nouvelle illustration du scepticisme allemand - sur « les capacités françaises à organiser techniquement et de manière crédible la dissuasion, du Portugal à la Lituanie, de la Suède à Malte et Chypre ». Mais dans les cercles du pouvoir, on évoque à demi-mot une autre raison à la retenue du chancelier : la crainte d'une élection de Marine Le Pen à l'Élysée, qui compromettrait toute stratégie de défense commune, sans le parapluie américain, tétanise les Allemands.

Commentaires 3
à écrit le 18/03/2024 à 16:15
Signaler
Chaque chef d’État européen a un devoir primordial envers son propre peuple. Si le conflit entre l’Ukraine et la Russie devait s’étendre, l’Allemagne serait la cible des missiles nucléaires russes sans disposer d’une défense aérienne suffisante et sa...

à écrit le 17/03/2024 à 18:28
Signaler
scholtz est prudent il ne veut pas envoyer ses bidasses au casse pipe ce n'est pas un va en guerre en plus son armee est assee limitee du materiel oui un peu des hommes negatif si on met le doigt dans l'engrenage nul ne sait ou cela s'arrete e...

à écrit le 17/03/2024 à 14:14
Signaler
Si la France envoie des "conseillers militaires" en Ukraine, et je pense surtout du côté d'Odessa (si on prend le temps de consulter une carte), l'Allemagne ne pourra pas faire mieux que d'envoyer du monde dans l'Ouest de l'Ukraine aux côtés de la Po...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.