Consommation d'insectes autorisée par l'UE : la désinformation pollue les réseaux sociaux

La Commission européenne veut-elle obliger les consommateurs à manger des insectes ? Les eurosceptiques et les auteurs de théories complotistes se déchaînent à ce sujet dans plusieurs pays européens, à grand renfort de posts sur les réseaux sociaux notamment. Or, si la Commission européenne a bien donné le feu vert à la mise sur le marché de farine de grillons domestiques comme aliment, c'est seulement pour une entreprise vietnamienne qui en a fait la demande. Les produits qui en contiendront devront clairement le mentionner.
Les nouveaux ingrédients dans lesquels la farine sera présente devront être mentionnés sur les emballages sous leur nom scientifique et d'usage courant. Les étiquettes doivent également prévenir qu'il existe un risque d'allergie.
Les nouveaux ingrédients dans lesquels la farine sera présente devront être mentionnés sur les emballages sous leur nom scientifique et d'usage courant. Les étiquettes doivent également prévenir qu'il existe un risque d'allergie. (Crédits : Bpifrance)

C'est une autorisation qui date de début janvier mais qui fait surtout parler d'elle ces dernières semaines. La Commission européenne a donné le feu vert à la mise sur le marché de la farine de grillons domestiques comme aliment. Des posts sur les réseaux sociaux relayent l'info depuis, en la déformant largement.

Des messages suggèrent à tort, par exemple, que les produits qui en contiendront ne mentionneront pas explicitement leur présence. D'autres établissent des liens infondés entre les produits à base d'insectes et toute une liste de maladies. D'autres encore voient dans les autorisations délivrées par Bruxelles une preuve supplémentaire à l'appui d'une théorie complotiste selon laquelle une élite mondiale conspire pour éliminer l'humanité, cette fois-ci en l'obligeant à consommer des insectes dangereux.

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Ce qui est réellement autorisé

La Commission européenne a en fait accepté la demande d'une société vietnamienne, Cricket One. Cette dernière avait déposé en 2019 un dossier afin d'utiliser de la poudre d'Acheta domesticus (grillons domestiques) sur le marché de l'UE dans différents aliments comme des pains, des biscuits, des pâtes sèches...

Le feu vert a été octroyé le 3 janvier dernier par la Commission européenne. Dans le texte détaillant cette autorisation, elle précise d'ailleurs que « seule la société Cricket One est autorisée à mettre sur le marché » ce nouvel aliment, « pendant une période de cinq ans à compter du 24 janvier 2023 ». Si d'autres entreprises en font la demande par la suite, ils pourraient éventuellement obtenir eux aussi cette autorisation.

Les nouveaux ingrédients dans lesquels la farine sera présente devront être mentionnés sur les emballages sous leur nom scientifique et d'usage courant, en vertu de la règlementation en matière d'étiquetage figurant dans les documents de la Commission européenne de janvier 2023 sur l'ajout d'insectes dans l'alimentation. Les étiquettes doivent également prévenir qu'il existe un risque d'allergie.

À noter par ailleurs que l'Union européenne autorise depuis 2021 la commercialisation de produits à base d'insectes comme les grillons, les criquets migrateurs et les vers de farine. Ce, avec un étiquetage clair et un contrôle des autorités sanitaires européennes. Ils ont pour cela été déclarés propres à la consommation humaine à l'issue d'analyses scientifiques faites par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). La poudre de grillons domestiques a par exemple fait l'objet d'un an et demi de recherches par cette institution.

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Pas le premier « euromythe », et sûrement pas le dernier

Les rumeurs complotistes sur les règlementations de l'UE, comme celles concernant la courbure des bananes, circulent depuis des décennies. Mais les commentaires sur l'alimentation à base d'insectes se démarquent en se répandant beaucoup plus largement que les autres « euromythes », relève Simon Usherwood, professeur de sciences politiques et d'études internationales à l'Université Ouverte (Open University).

« Ce qui est intéressant avec cette histoire, c'est qu'elle surgit dans de nombreux différents pays alors que, historiquement, les euromythes ont été spécifiques à chaque pays », a-t-il déclaré à l'AFP. Cela tient peut-être à « la nature du sujet » qui inspire un « dégoût général », ajoute l'expert.

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Les politiques s'emparent de la polémique

La polémique ne s'est malheureusement pas cantonnée seulement à la sphère internet. Dans plusieurs pays européens, des responsables politiques ont pris la parole à ce sujet. Ils ont dénoncé une incitation trompeuse à consommer des bestioles non identifiées, une menace pour la gastronomie traditionnelle nationale et même un plan sinistre mettant les existences en danger.

« Je ne veux pas de criquets pour mon petit-déjeuner », s'est insurgé l'euro-sceptique britannique d'extrême droite Nigel Farage. « Sur l'étiquette, on lira 'Acheta Domesticus'. Nous comprendrons tous de toute évidence ce que ça veut dire », a-t-il ironisé le 27 janvier, faisant allusion au nom scientifique du grillon domestique.

En France, le sénateur Laurent Duplomb, du parti de droite Les Républicains, avait fustigé deux jours plus tôt cette autorisation, affirmant que les Français consommeraient des insectes « à leur insu » et que les nouveaux ingrédients seraient intégrés aux produits alimentaires « sans information claire des consommateurs ». « Comment en sommes-nous arrivés là, à devoir consommer des grillons alors que la France est le pays de la gastronomie et des terroirs ? », s'est-il indigné.

En Bulgarie, où la rhétorique anti-UE de certains partis politiques s'enflamme face à l'objectif de ce pays de rejoindre la zone euro, l'autorisation a été présentée par des hommes politiques comme menaçant la vie humaine. L'ancien ministre de l'Intérieur et chef du parti prorusse ABV Roumen Petkov a parlé de « crime contre l'Europe ». Il a accusé l'exécutif européen d'être « prêt à tuer nos enfants européens », qui consommeraient involontairement des produits à base d'insectes en dégustant leurs snacks préférés.

Bien que l'Union européenne n'impose pas l'introduction d'ingrédients à base d'insectes dans les produits alimentaires, des responsables politiques souverainistes ont dénoncé la mesure comme étant une obligation dont leur pays doit se protéger. En Hongrie, le ministre de l'Agriculture Istvan Nagy a affirmé que « les habitudes alimentaires traditionnelles pourraient être en danger ».

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(Avec AFP)

Commentaires 4
à écrit le 23/02/2023 à 14:53
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Quand la Tribune fait fait du Mediapart...

à écrit le 23/02/2023 à 13:32
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Lentement mais sûrement nous arrivons vers soleil vert. L'UE veut décarboner en limitant la consommation de protéines d'origine animale, et en introduisant insidieusement des farines d'insecte dans notre alimentation. Elle veut aussi tuer nos éleveu...

à écrit le 23/02/2023 à 11:57
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Voilà un article qui mérite d'être montré dans les écoles de journalisme. On commence par complotisme, désinformation et on poursuit par euromythes d'un professeur de "l'université ouverte" inconnue jusqu'à ce jour. Sur le fonds qui mérite un trav...

à écrit le 23/02/2023 à 10:17
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Article du parisien de 2015 : Attention à ce que vous mettez dans votre assiette. Alors que la tendance de l'entomophagie - le fait de manger des insectes - arrive doucement en France, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, d...

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