L'Allemagne se prépare à une pénurie de gaz et relève ses niveaux d'alerte

Alors que la crise énergétique s’aggrave en Europe, la menace d’un rationnement du gaz s’accentue outre-Rhin. Confrontée à la réduction des flux via le gazoduc Nord Stream 1, l’Allemagne a en effet activé jeudi le « niveau d’alerte » du plan visant à garantir son approvisionnement en gaz, qui prévoit une intervention de l’Etat pour soutenir le marché. Explications.
Marine Godelier
Nous sommes dans une crise gazière. Le gaz est désormais une ressource rare, a déclaré le ministre de l'Économie Robert Habeck lors d'une conférence de presse.
"Nous sommes dans une crise gazière. Le gaz est désormais une ressource rare", a déclaré le ministre de l'Économie Robert Habeck lors d'une conférence de presse. (Crédits : POOL)

Quatre mois après le début de la guerre en Ukraine, l'impensable devient non seulement plausible, mais même de plus en plus probable. Et pour cause, l'affrontement entre l'Europe et Moscou sur le terrain de l'énergie n'en finit pas de s'aggraver : la semaine dernière, le producteur Gazprom a diminué les flux via le gazoduc Nord Stream 1 de 40% puis de 33%. Privant notamment l'Allemagne, toujours dépendante de la Russie pour 35% de ses importations de gaz, de la précieuse livraison - même si le pays dirigé par Vladimir Poutine met en avant des raisons techniques.

Résultat : la première économie européenne n'a eu d'autre choix que d'activer, ce jeudi, le niveau 2, dit d' « alerte », de son plan d'urgence sur l'approvisionnement en gaz, devenu une « ressource rare », a prévenu ce jeudi le ministre de l'Economie et du Climat, Robert Habeck. Soit le dernier palier avant l'organisation d'un rationnement par l'Etat, prévue dans la phase 3, afin de répartir les volumes entre particuliers, administration et industrie.

« Il ne faut pas se leurrer : la réduction de l'approvisionnement [...] est une attaque économique du président russe, Vladimir Poutine. [...] Nous sommes dans une crise du gaz. Le chemin que le pays s'apprête à prendre est difficile », a souligné le gouvernement dans un communiqué.

Intervention de l'Etat

Concrètement, l'exécutif pourra désormais « soutenir » les acteurs du secteur pour faire face à la flambée des prix qui secoue actuellement l'Europe, et fournira une ligne de crédit de 15 milliards d'euros à l'opérateur du marché de gaz allemand, via le créancier public KfW, destinée à remplir les installations souterraines de stockage de gaz. Une manière pour l'Etat d'accompagner le marché pour qu'il puisse absorber le volume manquant, avant, si besoin, de prendre le relais en cas d'aggravation de la situation.

Cependant, la clause qui permettrait aux entreprises de répercuter la hausse des coûts sur les clients ne sera pas encore mise en place à ce stade, a précisé Robert Habeck. « Il y a de nombreux processus industriels qui ne peuvent pas fonctionner sans gaz ! », s'était pour sa part inquiété dimanche soir à la télévision le président du lobby industriel BDI, Siegfried Russwurm, craignant des « conséquences en cascade ».

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Pour rappel, le niveau 1 du plan, dit « de préalerte », avait lui été activé fin mars, et prévoyait un contrôle plus strict des flux quotidien. Il comprenait également une obligation de remplissage des réserves de gaz, puisque contrairement à la France qui impose depuis quelques années aux fournisseurs un remplissage minimal de 85% au 1er novembre des capacités de stockage, Berlin ne disposait d'aucune règle en la matière.

Scénario catastrophe

Bruxelles avait d'ailleurs légiféré il y a quelques semaines sur le sujet, et ordonné aux membres de l'Union européenne de compléter à 90% leurs réserves souterraines d'ici à la saison de chauffage, en novembre. Avant de réviser cet objectif à 80%, face à l'ampleur du défi pour certains des Etats, qui comptaient jusqu'ici sur les livraisons russes pour compléter leurs réserves, parmi lesquels l'Allemagne.

Aujourd'hui, ce fameux chiffre s'élève à 58% outre-Rhin, selon les données de Gas Infrastructure Europe, soit environ 140 terawatt-heure (TWh) sur les près de 1.000 Twh de gaz que le pays consomme chaque année - un niveau légèrement supérieur à celui des années précédentes. Mais si les livraisons via le gazoduc Nord Stream 1 « restent à un niveau bas », le « niveau de stockage de 90% », désormais préconisé par une loi nationale, ne sera « pas atteint », a fait savoir le ministère.

Pire : si la Russie venait à stopper totalement ses livraisons via le gazoduc Nord Stream 1, « l'Europe manquerait de gaz l'hiver prochain, et un rationnement serait inévitable » peu importe ses efforts en matière de diversification d'approvisionnement et de remplissage des stocks, a récemment alerté le groupe de recherche et de conseil Wood Mackenzie. Un scénario catastrophe qui devient de plus en plus réaliste : la Russie pourrait couper entièrement l'approvisionnement gazier de l'Europe pour renforcer son influence politique dans la crise ukrainienne, a averti hier le directeur de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), Fatih Birol, appelant le continent à s'y préparer.

Et pour cause, ce dernier reste largement dépendant du gaz russe, en premier lieu l'Allemagne, même si elle n'en importe « plus que » 35% depuis le pays dirigé par Vladimir Poutine, contre 55% avant l'offensive en Ukraine. Le résultat d'une politique « cupide » de l'UE, a récemment jugé la Commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager.

Le charbon signe son grand retour

La situation s'avère d'autre plus grave qu'en plus de la menace qu'une pénurie représente sur le pouvoir d'achat et la sécurité d'approvisionnement de l'Europe, celle-ci risque également de peser lourd sur le climat. De fait, l'Allemagne, prise au dépourvu, a annoncé dimanche sa décision de recourir davantage au charbon pour économiser du gaz (utilisé pour produire 15% de l'électricité du pays en 2021), malgré l'impact délétère de ce combustible fossile sur l'environnement. Un revirement douloureux pour le gouvernement de coalition d'Olaf Scholz (SPD), faisant la part belle aux Verts, et qui avait promis il y a quelques mois d'avancer la sortie définitive de l'or noir à 2030, contre 2038 auparavant.

« C'est amer, mais c'est indispensable pour réduire la consommation de gaz », a défendu il y a quelques jours Robert Habeck. Et de promettre que ce recours au charbon, nécessaire pour faire face à « l'aggravation » de la situation sur le marché gazier, sera « provisoire ».

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Si la France dépend bien moins du gaz russe pour produire ses électrons, elle ne se trouve d'ailleurs pas non plus à l'abri d'un assouplissement du recours au charbon, malgré une date de sortie initialement prévue dès 2022. En effet, le gouvernement discute actuellement avec l'entreprise tchèque GazelEnergie, propriétaire de la centrale à charbon Emile Huchet (600 mégawatts), à Saint-Avold, dans la Moselle. Fermée depuis le mois de mars dernier après 71 années d'activité, celle-ci pourrait redémarrer ponctuellement pour sécuriser l'approvisionnement électrique du pays l'hiver prochain, alors que près de la moitié du parc nucléaire tricolore est actuellement à l'arrêt pour diverses raisons, dont un phénomène de corrosion sous contrainte. « On se garde la possibilité de la faire fonctionner quelques heures de plus, si besoin », glisse-t-on à Matignon, alors qu'un décret doit fixer les conditions de son éventuelle réouverture.

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Marine Godelier
Commentaires 7
à écrit le 24/06/2022 à 11:19
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Sans l'aide de la Chine, la Russie serait asphyxiée financièrement. La Chine rend caduque le plan des occidentaux.

à écrit le 23/06/2022 à 20:54
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Bonjour, l'Allemagne souffrent énormément de la et la rupture des approvisionnements de gaz russe.. L'absence de divertification des fournisseurs et une faute stratégie.... Mais bon , nous sommes en été et toute l'Europe cherche des solutions......

à écrit le 23/06/2022 à 18:25
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Peut être des pellets au charbon ?L'Europe se lance à fond dans la transition énergétique mais en sens contraire comme nous savons tellement bien le faire . Qui a insufflé la guerre ? l'Ukraine ,c'est battu pour que le Nord Stream 2 ne soit pas mi...

à écrit le 23/06/2022 à 13:50
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Donc quand la Russie réduit les volumes, c'est une attaque économique russe. Et quand l'Allemagne décide de se passer du gaz russe, prend des sanctions et promeut au sein de l'union Européenne les sanctions et l'interdiction du gaz et du pétrole russ...

le 23/06/2022 à 14:13
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Analyse pertinente.

le 23/06/2022 à 15:27
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Si je ne paye pas ma facture de gaz, on me le coupe. Aussi simple que ça.

le 23/06/2022 à 18:57
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Bien dit Britannicus!!!

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