Cette fois, ils sont sept autour d'elle. Jeudi, Élisabeth Borne a reçu à dîner à Matignon les ministres de la Santé Aurélien Rousseau, de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher et de la Fonction publique Stanislas Guerini, le ministre délégué aux Transports Clément Beaune, ainsi que trois locataires de Bercy, Olivia Grégoire (PME, Commerce), Thomas Cazenave (Comptes publics) et Roland Lescure (Industrie). Avec eux, elle a voulu discuter de l'agenda gouvernemental du premier semestre 2024. Autour de la table, la plupart aiment bien leur hôtesse. Ils l'incitent à s'affirmer davantage. « Quand tu fais de la politique, ça te réussit », lui disent-ils, la poussant à « refaire du Tourcoing ». Le 27 août, la Première ministre s'était rendue à la rentrée politique de Gérald Darmanin pour rappeler celui-ci à l'ordre.
Ensemble, ils parlent aussi des élections européennes du 9 juin. Ils évoquent la stratégie (il faut, selon eux, mettre de l'Europe dans chacune de leurs actions), mais pas le casting. La semaine dernière, à la même heure, au même endroit, il y avait eu moins de pudeurs de gazelle. Comme La Tribune Dimanche l'avait raconté, Élisabeth Borne avait déjà convié six autres membres de son gouvernement. On avait alors notamment débattu d'un nom pour prendre la tête de la liste macroniste lors de cette échéance : celui de Bruno Le Maire. Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, avait ardemment soutenu cette solution.
« Testament politique »
Dans la majorité, celui-ci n'est pas le seul à trouver que le locataire de Bercy serait parfait pour mener cette bataille. « Ça aurait de la gueule », confie une ministre. « Je pense que ce serait la meilleure tête de liste pour nous », juge une députée francilienne. Certains proches d'Emmanuel Macron partagent également cette idée qui, sur le papier, présente moult avantages. Bruno Le Maire est un des ministres les plus populaires du gouvernement. Le sujet européen n'a pas de secret pour lui ; c'est sa matière quotidienne. Il a l'expérience nécessaire pour affronter un scrutin qui s'annonce décisif. Les européennes joueront le rôle de « midterms ». Elles seront cruciales pour la fin du quinquennat. « Elles seront le testament politique d'Emmanuel Macron », anticipe un intime du chef de l'État.
C'est dans ce contexte que La Tribune Dimanche publie le premier sondage testant l'hypothèse Bruno Le Maire dans la perspective de ce scrutin. Selon cette enquête Ipsos-Sopra Steria, une liste de la majorité présidentielle conduite par le ministre des Finances récolterait 22 %. Elle serait largement devancée par celle du patron du RN, Jordan Bardella, qui rassemblerait 29 %. Le locataire de Bercy ferait légèrement mieux que si Stéphane Séjourné, le délégué général de Renaissance et président du groupe Renew au Parlement européen, qui fait figure aujourd'hui de candidat naturel, menait la liste macroniste. Dans ce cas, celle-ci obtiendrait 20 %.
« Deux points supplémentaires pour Bruno Le Maire, ce n'est pas colossal mais ce n'est pas négligeable, analyse Brice Teinturier, le directeur général délégué d'Ipsos. Nous sommes très en amont de l'élection. La Macronie connaît un petit creux, comme le montre le recul de la liste Séjourné par rapport à notre enquête de juin [-1 %]. Cela permet d'avoisiner le score de 2019, 22,4 %. Dans cette élection figureront des personnalités de dimension nationale : Jordan Bardella, Marion Maréchal. Bruno Le Maire installerait la liste de la majorité dans celle-ci. Les partis qui n'auront pas de figures seront pénalisés. »
29% « Le score du RN est extrêmement impressionnant, souligne Brice Teinturier. Il est en tête dans toutes les catégories sociologiques, sauf les plus de 70 ans. Il prend beaucoup chez les électeurs de droite »
En juin, pour le camp présidentiel, un enjeu sera clé : l'écart avec le Rassemblement national. En 2019, avec la liste Bardella et ses 23,3 %, il était d'à peine 1 point. À sept mois du scrutin, certains redoutent cette fois une autre issue différente. Gérald Darmanin ne cache pas son inquiétude en cas d'un différentiel de 10 points. « Les européennes vont être très violentes, ajoute une de ses collègues. Il y a plus d'europhobie qu'il y a cinq ans. On sous-estime la pénétration de l'argumentaire complotiste. » L'enquête Ipsos-Sopra Steria ne va pas les rassurer. « Le score du RN, qui gagne 5 points par rapport à juin, est extrêmement impressionnant, souligne Brice Teinturier. Il est en tête dans toutes les catégories sociologiques, sauf les plus de 70 ans. Il prend beaucoup chez les électeurs de droite, où Emmanuel Macron semble avoir pris le maximum. Dans ces conditions, les 2 points de Bruno Le Maire, qui est un ex-LR, ne sont pas non plus anodins. »
Ces dernières semaines, le ministre des Finances a bien entendu la petite musique qui se murmure. En public comme en privé, il l'assène donc sur tous les tons. Non, il n'est pas du tout intéressé par une fugue strasbourgeoise. « Je ne serai pas parlementaire européen. Je ne serai pas tête de liste », répète-t-il, sans même parfois que son interlocuteur lui pose la question. Pour occuper cette place stratégique, il a une autre préconisation : Clément Beaune. Le ministre des Finances juge que son collègue, qui était le secrétaire d'État aux Affaires européennes du gouvernement Castex, serait le meilleur choix. Il le lui a dit lors d'un déjeuner à Bercy en tête à tête le 26 octobre.
Aujourd'hui, au sein de la majorité, chacun a bien en tête une évidence : c'est le chef de l'État qui choisira celui qui portera les couleurs de son camp en juin. Le reste est plus brumeux. Pour remplir cette mission, personne ne s'impose. S'il s'est donné jusqu'au début de 2024 pour prendre sa décision finale, Stéphane Séjourné donne plutôt le sentiment à ses proches d'en avoir envie. Mais sa notoriété est faible. À la rentrée, le nom de Thierry Breton circulait ; quelques semaines plus tard, la candidature du commissaire européen semble être tombée à l'eau... Depuis 2017, Emmanuel Macron n'a jamais eu de relations simples avec Bruno Le Maire. Serait-il prêt à lui demander de lui rendre service ?