Jérôme Kerviel, condamné à trois ans de prison ferme et 4,9 milliards d'euros de dommages, fait appel

L'ex-trader a écopé de cinq années de prison dont deux avec sursis. Jérome Kerviel est également condamné à la totalité des dommages demandés, soit 4,9 milliards d'euros. Il a décidé de faire appel de cette décision.

Verdict sévère pour l'ex-trader dans le procès qui l'opposait à la Société Générale. Jérome Kerviel a écopé de cinq années de prison dont deux avec sursis. Il est également condamné à la totalité des dommages demandés, soit 4,9 miliards d'euros. Son avocat a annoncé à la sortie du Tribunal que son client entend faire appel de cette décision.

Récit d'une séance agitée suivie en direct par notre envoyé spécial Benjamin Jullien.

9h15 - Affluence - et effervescence - des grands jours aux abords de la salle des Criées du palais de Justice. Trois quarts d'heures avant le début de l'audience, une bonne quinzaine de caméras attendent déjà l'ancien trader le plus célèbre du monde. Trente minutes plus tard, Jérôme Kerviel entre dans la salle déjà bondée, visage fermé, costume et cravate sombres.

10h05La mâchoire de Kerviel se crispe régulièrement.

Le Président, Dominique Pauthe : "Je souhaite donner lectures des principaux éléments du jugement, qui vous concerne au premier chef, M. Kerviel.

Kerviel se lève.

- non, non. Restez assis.

Le juge évoque le premier chef d'accusation, l'abus de confiance. Il rappelle les faits, et notamment les obligations liées à l'activité de "market making". Il rappelle que Kerviel était censé désactiver dans la journée les positions directionnelles. Selon lui, Kerviel a délibérément pris des positions directionnelles au-delà de la journée. Il a persisté dans cette voie entre 2005 et 2008, pour des montants qui ont atteint 50 milliards d'euros en janvier 2008. Kerviel a reconnu ces faits et que ces positions ne rentraient pas dans sa mission. Il a expliqué qu'il faisait ça pour gagner de l'argent au vu et au su de tous.

Le juge rappelle les instructions données aux traders, notamment le fait de valider avec son supérieur les modalités des activités de couverture, d'être de bonne foi vis-à-vis des services de contrôle.

Kerviel écoute, bras et jambes croisées, en faisant tourner son pied détaché du sol. Sa mâchoire se crispe régulièrement.

Le juge continue à débiter les instructions que Kerviel a contournées.

Il estime que la défense n'a pas apporté la preuve de son affirmation selon laquelle une limite d'engagement aurait été désaffectée par la banque sur l'automate de trading de Kerviel.

"Il s'est en permanence attaché à dissimuler ses positions. Ses supérieurs lui ont rappelé à plusieurs reprises l'interdiction de prendre des positions directionnelles, et le gain ainsi réalisé en 2005 n'a pas été pris en compte pour le calcul de son bonus. La réaction de sa hiérarchie en 2005 ne pouvait être considérée comme un encouragement à continuer [comme Kerviel l'a soutenu].

La réitération des dépassements ne suffit pas à prouver qu'il ait bénéficié d'une tolérance volontaire de la banque, mais illustre au contraire sa capacité à dissimuler son action par des techniques élaborées.

10h12 Ses avocats font grise mine.

" Il s'est situé sciemment au-delà des limites fixées. Sur la trésorerie, il est apparu au cours des débats que le niveau et les variations de son solde ne permettaient pas de comprendre ce qu'il faisait."

Le juge considère qu'il n'y a pas de preuve qu'un supérieur ait été conscient des agissements de Kerviel.

Derrière Kerviel, ses avocats font grise mine, tassés dans leur siège.

Le juge reconnaît qu'il est "regrettable" que les écarts de méthode provoqués par les positions de Kerviel n'aient pas été tirés au clair par la banque, mais estime que cela ne suffisait pas à comprendre l'ampleur des positions de Kerviel, d'autant que l'ex-trader usait de couvertures fictives et d'explications mensongères.

10h18 "L'abus de confiance est donc constitué".

"Force est de constater qu'en 2007 ou début 2008 Kerviel n'a pas fait part à ses supérieurs de ses positions inimaginable. Aucune autorité de la banque n'aurait pu autoriser ces positions, supérieures au fonds propres, et qui ont débouché sur des pertes de plus de 6 milliards [6,3 milliards, auxquels on retranche 1,4 milliard gagnés en 2007].

Kerviel a sciemment détourné les outils informatiques.

L'abus de confiance est donc constitué".

10h22. "Introduction fraduleuse de données".

Le jugé évoque ensuite l'introduction frauduleuse de données dans un système informatisé.

"Les opérations fictives insérées dans le système de la banque ont eu pour effet de dissimuler ses positions. Kerviel n'a pas hésité à modifier les paramètres de certains produits pour les rendre cohérents avec ses explications. Kerviel a justifié cela par le nécessité de "sauver les apparences" vis à vis des services de contrôle".

Attendu que la base informatique Eliot n'était pas destinée à détecter des opérations frauduleuses mais seulement à enregistrer toutes les opérations des traders ;

Attendu que Kerviel affirme que ses pratiques n'étaient pas de nature à tromper la hiérarchie de la banque car elles étaient courantes, mais que les témoins ont déclaré le contraire ;

Attendu que Kerviel s'est obstiné à dissimuler le caractère fictif de ses opérations et la nature de ses positions, en contravention avec les instructions du manuel de trading remis par la banque, et notamment le fait que le résultat déclaré en fin de journée devait donner une idée la plus précise possible de la réalité ;

Kerviel a sciemment saisi des opérations sans réalité économique pour dissimuler ses positions.

Le délit d'introduction frauduleuse de données dans un système informatisé est constitué.

10h34. Regard en coin.

Kerviel reste impassible, se bornant à tourner la tête de temps en temps pour jeter un petit regard en coin à ses avocats derrière lui. 

Le juge évoque maintenant le troisième et dernier chef d'accusation, faux et usage.

Il rappelle les faits, notamment les explications trompeuses et les faux e-mails utilisés par Kerviel pour justifier ses opérations et dissimuler leur caractère fictif

"Ses manoeuvres ont conduit les services comptables à admettre la fausse qualité de ses opérations".

Le juge rejette l'idée que ces éléments aient pu servir à "sauver les apparences".

"Kerviel s'est illustré dans sa capacité à réagir aux actions des services de contrôle, notamment en janvier 2008, où il a fait disparaître son résultat de 1,4 milliard. Le délit est constitué".

10h40. "Atteinte à l'ordre public international".

"Sur la peine.

Kerviel a fait un mois et demi de préventive et respecté son contrôle judiciaire. Il a étudié la finance et n'a jamais exercée d'autre profession.

Mais il a multiplié les actes délictueux dans son seul intérêt, et profité des liens qu'il avait noués avec des membres des services de contrôle au sein de la banque.

Attendu que la Société Générale a été sanctionnée pour négligence par la Commission bancaire.

Il est parvenu à endormir la méfiance des services de contrôle jusqu'à risquer de les impliquer dans des processus frauduleux.

Il a manipulé son entourage au sein de la banque avec sang froid permanent et impassibilité trompeuse.

Il y a absence de bénéfice personnel mais existence d'un gain lié au bonus qu'il espérait.

Il a rejeté sur la banque, renversant les rôles en se présentant comme la victime d'un système dont il s'est dit la « créature ». Tenté de discréditer les témoignages des employés de la banque.

Son cynisme s'est exprimé quand il a affirmé que la banque avait utilisé cette affaire pour faire passer ses pertes liées aux « subprimes ».

La campagne de communication qui a donné retentissement à l'affaire dans les médias ne saurait occulter qu'il a mis en danger la banque.

Par leur ampleur, ses actes ont porté atteinte à l'ordre public international.

10h47 Dans la salle, on entend des « oh ! ».

Le juge écarte le préjudice matériel des salariés constitués partie civile mais retient le préjudice moral.

Le tribunal remarque que Kerviel n'a jamais nié la matérialité des positions, la Société Générale a été victime des délits de Kerviel.

Les négligences de la banque ne sauraient constituer une responsabilité.

Kerviel est le seul responsable.

Kerviel est donc condamné à la totalité des dommages demandés, soit 4,9 miliards d'euros.

Dans la salle, on entend des « oh ! ».

5 ans d'emprisonnement dont 2 avec sursis.

Les parties civiles peuvent le poursuivre s'il ne verse pas les dommages.

Le tribunal interdit à Kerviel de pratiquer à l'avenir toute activité liée aux marchés financiers.

Le tribunal reçoit la constitution de plusieurs parties civiles d'un ex-salarié et condamne Kerviel à verser à chacun 2500 euros pour préjudice moral + 1500 euros au titre des frais d'avocats.

Dans la salle, un monsieur se tourne vers les journalistes : "Ce n'est pas scandaleux ? Et on dit que le tribunal est impartial ? Elle est belle la justice française."

Tout le monde s'est levé, sauf Kerviel, qui converse avec son avocat, Me Metzner

Derrière moi, une journaliste cite Talleyrand : tout ce qui est excessif est insignifiant. Apparemment pas pour Kerviel.

11:15 : L'avocat de Kerviel annonce que son client va faire appel.

 

 

 

 

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