Inégalités femmes-hommes : la Caisse d'Epargne Ile-de-France assignée en justice

La CGT avait lancé, en juin 2019, la première action de groupe pour discrimination sexiste contre une entreprise, brandissant une différence moyenne de 18% entre les salaires des hommes et des femmes. Des accusations que conteste toujours la Caisse d'Epargne Ile-de-France, qui dénonce un discours mensonger et manipulateur.
Juliette Raynal
(Crédits : © Charles Platiau / Reuters)

[Mise à jour : article publié initialement le 07/10/20 à 11h20 et mis à jour à 16h40, avec les éléments de l'avis rendu par le Comité d'éthique de France Télévisions]

Ce mercredi 7 octobre à 15h40, la CGT assignera la Caisse d'Epargne Ile-de-France devant la justice pour discrimination envers les femmes. Selon l'organisation syndicale, le salaire des hommes est supérieur de 18% à celui des femmes au sein de l'entreprise, membre du groupe BPCE. Ce qui représenterait une différence moyenne de 700 euros par mois. Cette démarche intervient après que la CGT ait lancé, en juin 2019, la première action de groupe pour discrimination sexiste contre une entreprise.

Première action de groupe pour discrimination sexiste

Pour rappel, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle permet depuis 2017 aux syndicats d'intenter une action de groupe en cas de présomption de discrimination structurelle au sein d'une entreprise.

Le 4 juin dernier, un huissier s'était rendu au siège de la Caisse d'Epargne Ile-de-France pour remettre à la direction un courrier la mettant en demeure de faire cesser la discrimination systémique. A partir de cette date, l'employeur disposait de six mois pour engager des discussions avec la CGT avant que l'affaire ne soit portée devant la justice, en l'occurrence devant le tribunal judiciaire de Paris.

"Durant six mois, nous avons tenté, y compris lors des Comités sociaux d'entreprises (CSE) de solliciter des entretiens ou un accord de méthode [qui permet de définir au préalable le déroulé des discussions, ndlr]. Les deux ont été refusés par l'entreprise", déplore le délégué syndical Bernard Dantec.

Six mois pour négocier

Avec la crise sanitaire, l'assignation en justice a pris du retard, mais la date et l'heure n'ont pas été choisies au hasard. L'assignation de la Caisse d'Epargne Ile-de-France est orchestrée le jour de la journée mondiale d'action pour le travail décent et à l'heure à partir de laquelle, dans une journée normale les femmes, "travaillent gratuitement" en raison des inégalités de salaires.

Du côté de la Caisse d'Epargne IDF, le son de cloche est très différent.

"L'égalité professionnelle est au coeur du dialogue social à la Caisse d'Epargne Ile-de-France et nous en parlons régulièrement dans les commissions et les Comités sociaux et économiques (CSE). C'est un sujet qui a été évoqué avec les différentes organisations syndicales à l'occasion de 11 réunions", assure Christine Bouvier, directrice des ressources humaines de la Caisse d'Epargne Ile-de-France.

"Un accord portant sur l'égalité homme-femme à la Caisse d'Epargne Ile-de-France a été signé en 2015 par deux syndicats et renouvelé en 2018 avec la signature de trois organisations syndicales (CGC, CFDT, SUD) qui représentent 80% des salariés de notre entreprise", souligne-t-elle.

Dix femmes aux côtés de la CGT

Pour engager une action de groupe, la loi exige qu'au moins deux salariés se portent exemple dans le dossier. Le 4 juin 2019, lors de la mise en demeure, huit salariées s'étaient unies à la CGT. Depuis, deux femmes supplémentaires se sont ralliées à la démarche.

Dix femmes sur les quelque 2.700 femmes de l'entreprise potentiellement concernées par ces discriminations, cela peut paraître peu.

"Nous sommes largement au dessus des chiffres préconisés par la loi, rétorque Bernard Dantec. Dans les dix exemples, nous avons des catégories différentes de salariées : des conseillères commerciales, des conseillères financières, des directrices et directrices adjointes d'agence. Cela est assez représentatif de l'ensemble des salariées, précise-t-il. Cela ne remet pas en cause la véracité de nos arguments", assure-t-il.

La position de la banque, elle, n'a pas évolué et la direction réfute toujours les chiffres avancés par la CGT.

Un écart de salaire inférieur à 1%, selon la banque

"Les chiffres avancés par la CGT sont faux. L'écart de salaire est inférieur à 1% entre les hommes et les femmes à qualification égale et métier comparable au sein de la Caisse d'Epargne Ile-de-France", assure la directrice des ressources humaines, qui rappelle le très bon score (94/100) de l'entreprise à l'index Penicaud, qui évalue l'égalité professionnelle.

Au printemps dernier, l'émission "Cash investigation" s'était penchée sur cette action de groupe à l'occasion d'une émission dédiée aux inégalités de salaires dans la banque et à l'hôpital. L'émission d'enquête avait alors, elle aussi, mis en avant l'écart de salaire
moyen de 18% au détriment des femmes, dénoncé par la CGT, expliquant que ce chiffre correspondait également aux calculs de ses journalistes.

Or, dans un avis rendu cet été, le Comité d'éthique de France Télévisions, saisi par la Caisse d'Epargne IDF, estime que "mettre en avant ce chiffre de 18%, qui ne tient pas compte de la structure des emplois, pour illustrer l'existence d'une discrimination salariale n'est pas nécessairement pertinent". Cette moyenne de 18% se trouve en effet biaisée par le très fort écart de rémunération dans la catégorie des très hauts revenus, qui comprend 11 hommes et 4 femmes. Les hommes y gagnent environ 34% de plus que les femmes. En revanche, dans toutes les autres catégories d'emploi, les écarts sont largement inférieurs aux 18% affichés. "Ce pourcentage de 18% permet surtout d'illustrer, sur le plan salarial, l'existence d'un plafond de verre au détriment des femmes", souligne le comité d'éthique.

Promotions, évolutions de carrière, formations, temps partiels

Toutefois, l'organisation syndicale ne s'attaque pas uniquement aux inégalités salariales. Les politiques de la Caisse d'Epargne Ile-de-France sur les promotions, les évolutions de carrière ou encore les formations, les temps partiels et la maternité sont aussi visées par son action.

"Les évolutions de carrière sont en moyenne retardées de 3 ans pour une femme. Et cela peut être beaucoup plus quand une femme a plusieurs enfants", indique Bernard Dantec.

Là encore, la direction conteste.

"Le poids des femmes dans les formations est représentatif à la Caisse d'Epargne Ile-de-France. Nous avons renforcé la présence des femmes dans les formations managériales et avons créé un parcours spécifique 'Réussir sa carrière au féminin' réservé uniquement aux femmes. En 2019, sur les promotions de cadres, on comptait plus de 60% de femmes. Et ce pourcentage était déjà supérieur à 60% en 2018", défend la directrice des ressources humaines, arrivée à ce poste en décembre 2019 seulement.

"Discours mensonger et manipulateur"

"Les chiffres nationaux c'est 40 à 41% de femmes cadres. Chez nous, un cadre sur deux est une femme. Concernant l'encadrement supérieur, nous comptons déjà aujourd'hui 41% de femmes. Nous avons évolué de 17 points en dix ans. Notre objectif est d'atteindre la parité le plus rapidement possible", ajoute-t-elle, sans donner toutefois d'échéance précise et contraignante.

"En matière d'égalité homme-femme, je suis convaincue que nous faisons le job. C'est une priorité et une réalité à la Caisse d'Epargne Ile-de-France. Devant la justice, chiffres à l'appui, nous pourrons démontrer que le discours de la CGT est mensonger. Il ne vise qu'à tenter de manipuler les collaborateurs et l'opinion publique".

De son côté, la CGT espère que la justice reconnaîtra l'existence des discriminations structurelles et systémiques au sein de l'entreprise. "Si nous avons cette reconnaissance, l'objectif c'est la mise en place de nouvelles organisations de manière à ce que les discriminations ne soient plus possibles à l'avenir", explique Bernard Dantec.

Appel à la grève

En parallèle de cette assignation, la CGT a organisé un appel à la grève ce mercredi 7 octobre. La direction de la banque s'attend à ce que cet appel soit peu suivi. Pour appuyer son action, la CGT s'est, quant à elle, entourée de plusieurs personnalités politiques : Danièle Obono, députée (France insoumise), Alexis Corbière, député et porte-parole de la France insoumise, ainsi que Fabien Roussel, secrétaire général du PCF.

Dans un communiqué de presse, la Caisse d'Epargne Ile-de-France dénonce une "campagne de communication orchestrée à des fins purement politiques par une organisation syndicale minoritaire et isolée".

Juliette Raynal

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Commentaires 2
à écrit le 08/10/2020 à 8:31
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SI les cadres sup se concentraient plus sur leur travail que sur leur b... déjà l'économie française se porterait bien mieux.

à écrit le 08/10/2020 à 8:09
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Je ne savais pas que la Caisse d' Epargne existait encore.

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