Pourquoi les banques mettent le turbo dans l'assurance

Après l'assurance vie, les grandes banques françaises accélèrent dans l'assurance dommages, un business très rentable grâce aux synergies avec leurs réseaux d'agences. Du pionnier, Crédit Mutuel, au leader, Crédit Agricole, tous les groupes bancaires français accentuent cette diversification qui permet à leur activité de détail de ne pas plonger dans le rouge du fait des taux bas.
(Crédits : © Jacky Naegelen / Reuters)

Qui est le premier groupe d'assurance en France ? Axa ? Il est numéro deux en chiffre d'affaires dans l'Hexagone, juste derrière Crédit Agricole Assurances, selon le classement de KPMG et L'Argus de l'assurance. Avec ses marques Predica (assurance vie) et Pacifica (assurance dommages), la filiale de la banque verte, numéro un français de la banque de détail en nombre de clients (21 millions de particuliers, sans oublier les 6 millions du LCL), s'est imposée comme un leader et un puissant moteur de croissance rentable pour sa maison mère : elle a généré 1,4 milliard d'euros de bénéfice net en 2018, soit un quart du résultat du groupe. Dans un contexte de taux d'intérêt durablement bas, qui laminent les marges de la banque de détail, cette diversification est devenue essentielle pour maintenir des revenus en croissance.

« L'assurance est devenue vitale pour les banquiers et le compte d'exploitation de leurs réseaux : elle génère des milliards d'euros de commissions, c'est ce qui permet à leur activité de banque de détail d'être bénéficiaire », analyse Cyrille Chartier-Kastler, président et fondateur du cabinet de conseil Facts & Figures.

Il rappelle : « Historiquement, le Crédit Agricole s'est développé dans l'assurance pour relancer le trafic à ses guichets : l'offre de Pacifica en assurance dommages a été déployée d'abord dans les caisses régionales ayant besoin de nouveaux produits à proposer, et seulement l'an dernier au CA Île-de-France par exemple. »

S'appuyant sur la force de leur réseau d'agences, jouant sur l'efficacité des ventes croisées auprès de leur large base de clients, plutôt fidèles, les groupes bancaires, mutualistes en tête mais pas seulement, sont devenus des acteurs majeurs de ce marché. Ils collectent les deux tiers des encours d'assurance vie, ils dominent l'assurance emprunteur (88 % des contrats souscrits en 2017) et ils assurent désormais un logement sur quatre. Et ils ont tous prévu de mettre le turbo dans l'assurance dans les mois et années à venir, en étendant leur champ d'intervention, par des produits maison ou des partenariats pour aller plus vite.

« Tous segments confondus, la bancassurance pèse aujourd'hui 41 % d'un marché français d'environ 250 milliards d'euros, ce qui en fait l'acteur dominant, devant les compagnies d'assurance à 33 % et les mutuelles à 17 % », indique Fabrice Gardette, responsable de l'activité de conseil sur le secteur de l'assurance en France chez Accenture. « En dix ans, les bancassureurs ont pris 3 points de part de marché aux assureurs traditionnels. »

La Banque Postale, futur poids lourd

Pionnier de la « bancassurance », néologisme apparu dans les années 1980, le Crédit Mutuel, qui a obtenu son agrément d'assureur en 1971, en a fait l'un des axes de son plan stratégique à cinq ans, dévoilé en novembre dernier : le groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale (ex-CM11-CIC, qui rassemble 11 fédérations régionales) veut désormais s'attaquer à la cible des entreprises, qui ne représente que 5 % de son activité d'assurance. Sa filiale d'assurance dégage 12 % de ses revenus, et près du quart de ses bénéfices.

Mais, si l'on inclut les commissions d'assurance générées par les agences Crédit Mutuel et CIC, l'ensemble de l'activité d'assurance contribue même à la moitié du résultat. « Le modèle de bancassurance de proximité montre qu'il marche », confie Nicolas Théry, le président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, qui se targue d'être « le plus rentable » dans ce domaine.

Un autre mutualiste a adopté le modèle de bancassureur intégré en quelques années : BPCE. Les nouveaux contrats d'assurance vie des Caisses d'Épargne ont été internalisés depuis 2016 auprès de sa filiale Natixis, qui a repris l'année suivante les 40% détenus par la Maif et la Macif dans leur coentreprise d'assurance dommages afin de devenir « un assureur de premier plan en France ».

La Soc Gen a dénoué son partenariat avec Aviva en 2017, également au profit d'un modèle intégré : la contribution de l'assurance a doublé en dix ans et représente 10 % du résultat du groupe, à 368 millions d'euros. Sa filiale Société Générale Assurances a l'ambition de réaliser d'ici à 2022 un quart de son chiffre d'affaires avec des partenaires externes dans d'autres univers pour la distribution, l'auto, le foyer connecté, les assurances affinitaires et même des partenaires bancaires.

BNP se lie à Axa pour rattraper son retard en dommages

La plus jeune des banques françaises, La Banque Postale, née il y a treize ans, a aussi l'ambition de « construire un grand groupe de bancassurance européen, avec la CNP », le numéro un de l'assurance vie en France et le troisième groupe d'assurance français en chiffre d'affaires, a expliqué Rémy Weber, le patron de la filiale de la Poste, ors de la présentation des résultats. La CNP passerait sous son contrôle début 2020 dans le cadre du big bang préparé dans la loi Pacte autour du capital de la Poste, dont la Caisse des Dépôts deviendrait l'actionnaire majoritaire. En 2018, l'assurance (y compris la mise en équivalence des 20,15% qu'elle détient de la CNP) a déjà représenté 48% des bénéfices de La Banque Postale (352 millions d'euros sur 726 millions), plus que la banque de détail, à la peine avec les taux bas.

BNP Paribas suit la même voie et « s'attelle à rattraper son retard en dommages », relève Facts & Figures. Sa filiale d'assurance, Cardif, qui se revendique leader mondial de l'assurance emprunteur, a créé en mai dernier une coentreprise avec la Matmut, Cardif IARD, qu'elle détient à 66%, afin de tripler ses ventes en assurance dommages. En décembre, la banque de la rue d'Antin a annoncé un accord avec Axa en vue de distribuer dès cette année des contrats d'assurance dommages pour les entreprises et les associations clientes de son réseau.

Les assureurs traditionnels, eux, n'ont pas réussi dans la banque

« Le modèle partenarial est transitoire : il permet à une banque de développer une expertise en assurance et un fonds de commerce, d'atteindre une taille critique pour basculer vers le modèle intégré, qui reste la cible car il a fait ses preuves en termes de croissance et de captation de valeur », observe Fabrice Gardette d'Accenture. Et d'ajouter que « le modèle de bancassurance dispose d'un avantage concurrentiel imbattable, celui de la distribution à coût marginal. Son modèle opérationnel est aussi plus simple et plus efficient, avec moins de lignes de produits et davantage de points de contact avec le client et plus en amont, par exemple sur l'habitation. »

Pas étonnant, dès lors, que « les bancassureurs siphonnent la croissance du marché en assurance dommages et santéprévoyance et surperforment en rentabilité technique », remarque Cyrille Chartier-Kastler.

Face à cette montée en puissance, les assureurs traditionnels, qui, de leur côté, n'ont pas réussi à percer dans la banque (Groupama a, par exemple, revendu la sienne à Orange), doivent soit se spécialiser sur les risques sophistiqués des entreprises, comme Axa avec le rachat d'XL, soit réinventer leur offre, « innover en améliorant les services rendus à leurs assurés », explique Jacques Cornic, associé KPMG, responsable du secteur assurance. « Par exemple, en mettant l'accent sur l'assurance à l'usage ou sur la prévention des risques : plutôt que d'indemniser un assuré qui a subi un dommage, l'idée est de limiter les risques de survenance, puis d'apporter le plus de services possibles si le sinistre survient. »

H282, p14, bancassurance, infographie, Cuny, Raynal,

[Cliquez sur l'infographie pour l'agrandir plein écran. Crédit : "La Tribune". Sources : états financiers des sociétés]

Assurance emprunteur : le client verrouillé ?

Souscrire un prêt immobilier et dans la foulée l'assurance de sa banque pour le garantir en cas de décès, invalidité ou perte d'emploi : c'est le cas le plus fréquent, et les banques ont ainsi 85 % du marché de l'assurance emprunteur. Le consommateur choisit-il librement ? La loi Lagarde, en 2010, et la loi Hamon, en 2014, ont pourtant favorisé la concurrence en donnant la possibilité de souscrire un contrat auprès d'un établissement autre que celui qui octroie le crédit (en « délégation d'assurance »), et de changer d'assurance l'année suivant la signature du prêt. L'amendement Bourquin, entré en vigueur en janvier 2018, rend possible la résiliation de cette assurance chaque année. Mais ces mesures législatives peinent à porter leurs fruits.

« Dans les faits, il reste extrêmement difficile pour les consommateurs de faire valoir la substitution de l'assurance emprunteur en raison des nombreuses manoeuvres dilatoires des banques », déplore Matthieu Robin de l'UFC-Que Choisir. « Un tiers des demandes ne fait pas l'objet de réponses dans les délais requis. Les banques rejettent également des demandes sans mentionner la nature des documents manquants et entretiennent volontairement le flou sur la date d'anniversaire du contrat d'assurance pour rejeter les demandes hors délai», poursuit-il. En octobre dernier, le régulateur (l'ACPR) a mis en garde un établissement qui augmentait le taux d'intérêt et/ou les frais de dossier lorsqu'un client indiquait vouloir recourir à une assurance externe. L'ACPR a cependant noté que les tarifs ont diminué du fait de la stratégie défensive d'alignement tarifaire des prêteurs pour éviter une résiliation.

Juliette Raynal

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