Entre Ariane 5 ME ou Ariane 6, l'Europe devra-t-elle choisir ?

Selon le président du CNES, les conditions budgétaires des Etats membres de l'Agence spatiale européenne (ESA) pourraient exiger des arbitrages dans les programmes spatiaux.
Michel Cabirol
Le budget d'Ariane 6 s'établit à environ 3 milliards d'euros pour le développement du lanceur, à quoi s'ajoutent 750 millions pour le segment du sol

La prochaine ministérielle des pays membres de l'Agence spatiale européenne (ESA), qui aura lieu en décembre prochain au Luxembourg, risque d'être compliquée entre Paris et Berlin sur la question des lanceurs. Mais selon le président du Centre national d'études spatiales (CNES), Jean-Yves Le Gall, auditionné fin février par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, l'Agence spatiale européenne (ESA) réfléchit à la façon de financer les deux programmes de lanceurs Ariane 5 ME et Ariane 6. Les Allemands soutiennent le programme Ariane 5 ME, une évolution d'Ariane 5 ECA tandis que les Français estiment que le futur lanceur Ariane 6 doit être la réponse à l'offensive agressive des États-Unis, qui déstabilise avec le lanceur Falcon 9 (SpaceX) le modèle opérationnel et économique d'Ariane 5.

La prochaine ministérielle des pays membres de l'ESA demandera donc un accord entre Paris et Berlin. Et Jean-Yves Le Gall en est conscient. Toutefois, "il faut bien être conscient, a-t-il expliqué devant les sénateurs, que le compromis trouvé à Naples, consistant à tout faire, ne semble pas tenable sur le plan budgétaire, compte tenu des limites imposées par les États membres. Nous devrons donc recourir à un scénario alternatif pour tenir nos objectifs stratégiques - maintenir notre accès à l'espace, un plan de charge conséquent pour nos bureaux d'études et tenir nos engagements budgétaires".

L'Allemagne soutient Ariane 5 ME

Dans ces conditions, la poursuite de tous les programmes - notamment Ariane 5 ME et Ariane 6 - paraît difficile à concilier avec les positions budgétaires des différents Etats membres de l'ESA. "L'Allemagne soutient Ariane 5 ME, qui lui paraît le meilleur lanceur face à la concurrence américaine et aussi, il ne faut pas se le cacher, parce que ce scénario est plus favorable à sa propre industrie", a expliqué Jean-Yves Le Gall.

Et de rappeler à ceux qui l'avait peut être oublié que les "voisins d'Outre-Rhin ont pu manquer de cohérence en retenant, comme ils l'ont fait, Falcon 9 pour le lancement de leurs propres satellites gouvernementaux d'observation...". Bonne ambiance. Pour autant, Jean-Yves Le Gall garde espoir sur un accord avec Berlin en attendant de voir "comment les choses évoluent avec l'arrivée de la nouvelle coordonnatrice spatiale pour la partie allemande".

Rome penche pour Ariane 6

L'Italie, de son côté, soutient Ariane 6, a souligné Jean-Yves Le Gall parce que "le nouveau lanceur utilisera de la poudre, grande spécialité de l'industrie italienne". Notamment sur le petit lanceur italien Vega. Mais il préfère rester prudent compte tenu de la situation gouvernementale italienne. "Les changements récents intervenus à la tête de l'ASI (Agence spatiale italienne, ndlr), laissent planer des incertitudes", a-t-il fait valoir. Et les autres pays membres de l'ESA ? Jean-Yves Le Gall a estimé que "la plupart des autres Etats membres comprennent bien l'utilité qu'il y a d'avancer vers Ariane 6".

A l'origine du programme Ariane 6, la France est "très attentive aux conséquences d'un changement de lanceur sur son industrie, ce qui la pousse, à ce stade, à financer l'exploitation d'Ariane 5 dans sa version actuelle, le développement de ME et aussi celui d'Ariane 6 ainsi qu'à rechercher la meilleure voie pour passer d'un lanceur à l'autre".

Où en est le programme Ariane 6 ?

Selon Jean-Yves Le Gall, le dossier Ariane 6 a "bien avancé, au-delà même de ce que j'imaginais en prenant mes fonctions (au CNES, ndlr) et je me félicite que les hypothèses financières initiales viennent d'être validées par les industriels, dans les offres qu'ils ont remises le 14 février". Car il a souligné que "les hypothèses centrales de coût - 3 milliards d'euros pour le développement et 70 millions d'euros par lancement - viennent d'être validées par les industriels, c'est un pas très important". Jean-Yves Le Gall peut être rassuré. Le programme Ariane 6 semble être sur la bonne orbite.

Le budget d'Ariane 6 s'établit à environ 3 milliards d'euros pour le développement du lanceur, à quoi s'ajoutent 750 millions pour le segment du sol. "L'objectif est que la France en finance 50 %, l'Allemagne 25 %, l'Italie 15 % et la Suisse et la Belgique, 5 % chacun", a révélé le patron du CNES. Le développement d'Ariane 5, qui a été guidé par la technologie, a coûté près de 10 milliards d'euros, dont 55 % à la charge de la France. L'ESA table sur une mise en service d'Ariane 5 ME pour 2018 et la France sur une Ariane 6 pour 2021.

Pourquoi Ariane 6 et pas Ariane 5 ME

Le retour de la concurrence américaine avec l'offensive très agressive de SpaceX et de son lanceur Falcon 9 contraint l'Europe à évoluer "plus rapidement que prévu". D'autant que SpaceX "rend nécessaire d'augmenter le soutien public à l'exploitation de la version actuelle d'Ariane 5" pour que le lanceur reste compétitif. Car SpaceX, avec son lanceur mono charge Falcon 9, vient de réussir trois vols - le 29 septembre, le 3 décembre et le 6 janvier derniers - et signe des contrats à des prix bien en-deçà d'Ariane 5. "Comme nous avons déjà réduit considérablement nos coûts, nous pouvons difficilement diminuer nos tarifs sans un supplément d'aide publique, ce qui ne pourrait se faire, à enveloppe constante, sans limiter l'aide aux autres parties du programme d'ensemble. Car c'est une donnée déterminante du dossier : les difficultés de la conjoncture se traduisent par une pression très forte sur notre budget, particulièrement en France", a rappelé le président du CNES.

Le coût de lancement d'un satellite est d'environ 100 millions d'euros et après subvention des Etats membres, de 100 millions de dollars, contre 60 à 70 millions de dollars pour le Falcon 9 de SpaceX, a-t-il précisé. C'est pourquoi l'ESA et le CNES ont fixé l'objectif d'Ariane 6 à 70 millions d'euros par lancement, en comptant sur l'avantage de fiabilité pour être compétitifs. "Nous héritons d'une forte expertise, nos capacités d'études sont largement reconnues, notre carnet de commandes est important : je suis convaincu que nous parviendrons à nos objectifs", a assuré Jean-Yves Le Gall.

Comment SpaceX pratique des prix low cost

SpaceX s'appuie sur les budgets publics américains : "celui de la Nasa, 17 milliards de dollars, celui de l'US Air Force, 18 milliards et celui qui est à discrétion du président américain, pratiquement autant, soit un total de près de 50 milliards, à comparer aux 4 milliards d'euros de l'Agence spatiale européenne, auxquels s'ajoutent 1 à 2 milliards pour les programmes militaires européens", a fait valoir le président du CNES.

Ce qui est l'inverse du modèle Ariane 5, qui doit recourir au marché commercial pour atteindre un prix compétitif. "Ce sont les commandes commerciales qui font vivre le lanceur européen et c'est ce modèle d'une souveraineté fondée sur le marché commercial, qui est aujourd'hui remis en cause", a constaté Jean-Yves Le Gall. Avec Ariane 6, l'objectif annuel est de quatre lancements institutionnels et de dix lancements commerciaux.

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 10
à écrit le 13/03/2014 à 4:32
Signaler
Sans rentrer dans l'aspect technique on voit une nouvelle fois une Amérique derrière une industrie de pointe avec des sommes de soutien à la hauteur des enjeux et une Europe pauvre et mesquine qui ne suit pas par des commandes étatiques sa propre in...

à écrit le 12/03/2014 à 14:08
Signaler
Malheureusement c'est beaucoup trop tard... Le temps qu'ariane 6 soit opérationnelle la falcon 9 sera au moins en partie réutilisable, donc les prix vont encore chuter... Spacex est en train de placer ses pions en ouvrant de nouveaux sites de lanc...

le 12/03/2014 à 19:40
Signaler
SpaceX est grossièrement subventionné par les USA, on ne peut pas changer de moteur tous les 4 matins, avoir des développements permanents et être rentable en vendant à perte. Donc, dans notre monde Capitaliste j'attends de voir jouer les régulations...

le 13/03/2014 à 14:14
Signaler
A vrai dire Ariane est aussi largement subventionné par l'UE tous les ans... C'est complètement hypocrite de les accuser ainsi, le spatial a et aura encore besoin du soutien de l'Etat. Concernant spacex en particulier, ils ont surtout gagné le con...

à écrit le 12/03/2014 à 10:48
Signaler
Ah bon? Lesquels de mes propos vous font dire ça? Je pense qu'un peu de différentiation fera du bien au lecteurs de La Tribune. C'est tout. Peut-être vous préferez rester dans l'ignorance. Ce n'est pas comme ça que la France s'en sortira. All the be...

le 12/03/2014 à 13:37
Signaler
C'est tout l'objet du débat: avoir un lanceur compétitif face à SpaceX! Ariane 5ME permettra de réduire les coûts de lancement d'environ 20% on arriverait donc à un coup de 80M€ (avec subvention). Alors qu'avec Ariane 6 on serait à 70M€ sans subventi...

le 16/03/2014 à 10:44
Signaler
Alors Seb, le plus grand défenseur de l'industrie de la grande Allemagne sur le site de la Tribune, cela vous laisse coi. Les Allemands n'ont-ils pas mis leurs satellites d'observation sur SpaceX et après ils militent pour Ariane 5 ME. N'y a-t-il pas...

à écrit le 12/03/2014 à 8:31
Signaler
Il serait intéressant de voir les arguments pour ou contre Ariane 6 et Ariane 5ME en considérant les aspects commerciales et techniques des deux cotés. Seul l'argument industriel (à quel hauteur? Quels composants?) de la part des allemands est mentio...

le 12/03/2014 à 9:40
Signaler
Ah Seb, l'homme qui travaille pour l'industrie aérospatiale allemande. Toujours manipulateur pour l'intérêt de la grande Allemagne, hein ?

le 12/03/2014 à 18:24
Signaler
@Seb +1

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.