« Notre avion hybride électrique ERA est la bonne réponse pour des lignes de désenclavement » (Jérémy Caussade, Aura Aero)

Forte d'un carnet de commandes de plus de 500 appareils - même si ces engagements doivent encore se traduire en contrats fermes - la startup Aura Aero est en train de changer de dimension. Si elle arrive à franchir ses futurs jalons industriels et financiers, le constructeur aéronautique toulousain a plusieurs cartes en main pour s'imposer comme un acteur fort dans l'écosystème de la nouvelle aviation, qui est en train de naître à l'instar du New Space il y a quelques années. Trois questions à Jérémy Caussade, son président et cofondateur.
Léo Barnier
Jérémy Caussade, président et cofondateur d'Aura Aero, veut asseoir dès maintenant son leadership sur la nouvelle aviation.
Jérémy Caussade, président et cofondateur d'Aura Aero, veut asseoir dès maintenant son leadership sur la nouvelle aviation. (Crédits : Frédéric Scheiber)

LA TRIBUNE - Vous développez actuellement un avion hybride électrique, baptisé ERA, pour lequel vous venez de signer une lettre d'intention (LOI) avec la compagnie américaine JSX pour la commande de 150 appareils. C'est le deuxième plus gros engagement de votre jeune histoire après celui du loueur Amadeo, fin 2021. Qu'est-ce que cela représente dans votre développement, en termes de sécurisation de votre carnet de commandes et de nouveaux marchés, notamment aux Etats-Unis ?

JEREMY CAUSSADE - C'est notre plus grosse commande venant directement d'une compagnie aérienne, avec un volume très significatif. Cela renforce la bonne réponse du marché américain à notre avion pour des lignes de désenclavement et de jonction en point-à-point. Nous sommes très fiers d'avoir réussi à être suffisamment crédibles pour arriver à cette conclusion-là. Cela nous a permis de faire un gros travail d'étude de réseau à partir de la perception de JSX des routes à desservir avec notre avion. Cela contribue à renforcer le message qu'il y a une vraie place, un vrai gros marché pour notre avion aux États-Unis. Le but maintenant, c'est de transformer cet engagement en commande ferme.

Nous avions déjà annoncé un protocole d'accord (MoU) avec Republic Airways pour travailler sur la façon dont l'avion peut s'insérer dans leurs lignes et dans le cadre d'évolutions réglementaires aux États-Unis à venir, avec là-aussi pour but d'arriver rapidement à des lettres d'intentions pour des commandes supplémentaires.

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Nous nous retrouvons avec un carnet de commandes qui dépasse les 500 avions à date. Ce sont des montants absolument inédits pour le lancement d'un programme, même lorsqu'on prend l'Airbus A320. Et cela risque de grossir très significativement l'année prochaine au vu de ce que nous avons comme discussions déjà en cours. Cela renforce ce message que cet avion a un marché, qu'il répond à un besoin et de ce point de vue-là, c'est très satisfaisant. Nous croyons beaucoup à notre offre parce qu'elle dispose d'avantages économiques très intéressants pour un avion aussi petit, tout en proposant les standards d'un avion beaucoup plus gros avec des commandos électriques, une cabine pressurisée et très silencieuse.

L'idée, c'est d'entrer sur le marché entre 2028 et 2029, puis d'essayer d'accélérer la montée en cadence à partir de 2030. Nous pouvons commencer à avoir des cadences significatives en 2031 ou 2032. Donc, avec 500 avions à faire passer, cela nous amène vers 2035. Nous ne donnons pas encore de cadences de production, car nous travaillons sur une implantation multi-sites au-delà de notre base de Toulouse-Francazal (où 150 millions d'euros d'investissement et 1.600 emplois sont prévus, NDLR). Nous travaillons depuis un petit moment sur un site d'assemblage aux Etats-Unis, ce qui est vraiment indispensable. La question est de savoir comment gérer l'équilibre entre l'Europe et les Etats-Unis, avec quel niveau de production et dans quel ordre.

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Il n'y a plus aujourd'hui d'offres, ou presque, de petits avions régionaux turbopropulsés neufs. Cela vous positionne-t-il sur un marché de remplacement ou y-a-t-il aussi un marché de croissance ?

Les deux. Avec JSX, nous sommes clairement sur un marché de croissance, avec l'idée d'aller chercher de nouvelles lignes pour opérer nos avions. Puisque l'avion est différent, il a des typologies d'emploi différentes et un cadre d'application qui est complémentaire avec les avions qu'opère JSX à l'heure actuelle.

Les avions de 19 places actuels sont tous des appareils d'ancienne génération, qui coûtent relativement cher. Un avion moderne coûte plus cher en prix d'achat qu'un avion d'occasion, si tant est qu'on arrive à en trouver, mais coûte beaucoup moins cher en opérations et en maintenance avec un taux de disponibilité bien plus grand. D'où un coût total de possession bien plus avantageux.

Aura Aero propose une offre moderne, très sobre en énergie, avec une baisse de consommation de carburant de plus de 50 % sur une mission type et des abattements de carbone très significatifs jusqu'à 80 % en fonction des vols. D'où une structure de coûts au ticket qui est bien plus faible. C'est un cocktail détonnant.

Et puis, quand nous regardons le cargo aux États-Unis, il y a beaucoup de marchés de remplacement des équivalents 19 places comme le Beech 1900 et d'autres, mais aussi pour des d'avions cargos plus petits, comme les Cessna Caravan et Super Caravan, auxquels ERA peut répondre. Et un marché qui répond très bien également est celui du voyage d'affaires.

Nous pouvons aussi être compétitifs face à des avions allant jusqu'à une cinquantaine de places, en fonction des routes et de la typologie d'utilisation. Voire face à des avions régionaux de 70 places lorsque ce sont des avions qui sont sous remplis, sur des lignes qui nécessiteraient des avions plus petits avec plus de fréquences. Nous avons plein d'exemples comme ça, en Europe notamment, mais pas seulement.

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2024 s'annonce donc comme une année particulièrement chargée pour vous, tant sur le plan économique qu'industrielle...

Nous n'avons pas connu d'année qui ne soit pas chargée. 2023 était déjà une année extrêmement dense pour nous. Nous avons finalisé la certification de la société avec l'obtention des agréments de design après ceux de production il y a deux ans. Mais en 2024, avec la certification et les premières livraisons de notre biplace Integral, nous pourrons vraiment dire que là, nous avons coché toutes les cases du constructeur d'avion. La version électrique d'Integral est aussi très proche de commencer ses essais en vol, ce qui est une brique technologique très importante pour nous.

En même temps, nous avons une énorme activité de développement sur ERA, avec un gros jalon à passer dans les jours qui viennent. Nous avons présenté le design final il y a quelques mois et maintenant nous avons la tête dans le guidon jusqu'au premier vol prévu en 2026. Il y aura la pose de la première pierre de l'usine de Toulouse-Francazal.

C'est vraiment la phase d'industrialisation lourde, où nous continuons à développer l'avion, avec des moyens d'essais de plus en plus précis et plus importants, et où nous commençons la fabrication. Nous avons contractualisé toutes les grosses parties de l'avion et nous les annonçons au fur et à mesure. Une bonne partie de l'écosystème est là et nous avons déjà annoncé travailler avec Safran, Thales, Airbus et beaucoup de monde. Nous avons lancé une collaboration avec Thales sur la connectivité pour rendre l'avion plus intelligent, sans quoi la décarbonation ne se fera pas. Nous travaillons encore sur la forme qu'elle prendra, mais elle sera lourde. Ce sont des années cruciales pour nous, parce que c'est là où nous bâtissons notre leadership par rapport à la concurrence, même si je ne crois pas qu'il y aura une déferlante de nouveaux acteurs.

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Sur le plan financier, nous avons levé 35 millions d'euros en 2023. Ce n'est pas là où nous voudrions être, mais c'est pas mal (30 à 50 millions d'euros étaient espérés en début d'année, voire davantage par la suite, NDLR). Ce qui fait un peu plus de 60 millions depuis le début de l'aventure, dont une grosse partie a été consommée. Là, nous travaillons sur une levée de fonds beaucoup plus conséquente de plus d'une centaine de millions d'euros.

Tout ce que nous avons achevé cette année constitue des éléments à mettre dans la balance lors des discussions avec les investisseurs. Mais avec 250 personnes (137 embauches en 2023 dont 110 CDI, et probablement autant en 2024, NDLR), la société commence à avoir une taille qui fait qu'un financement en France paraît très compliqué, malgré un très fort soutien de l'État français, réel et extrêmement efficace. Nous avons des fonds français absolument catastrophiques, qui ne savent pas ce qu'est l'industrie.

Ce n'est pas pour rien que l'ultra majorité des boîtes de taille suffisante de la nouvelle aviation sont toutes financées par des Chinois, ce que nous refusons plus que jamais. Notre financement passera peut-être par les Etats-Unis, le Moyen-Orient, c'est difficile à dire.

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 30/12/2023 à 18:08
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Quel est l'intérêt de faire voler des batteries très lourdes ? Avec toutes ces soi-disant précommandes, espérons qu'on n'ait pas trouvé l'ENRON du transport aérien

à écrit le 30/12/2023 à 18:08
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Quel est l'intérêt de faire voler des batteries très lourdes ? Avec toutes ces soi-disant précommandes, espérons qu'on n'ait pas trouvé l'ENRON du transport aérien

à écrit le 29/12/2023 à 19:53
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Un bricolage pour faire croire que ce "jet"😃 vole à l'électricité. C'est sûr, il va faire voler des batteries pour une bonne séquence de greenwashing.

à écrit le 29/12/2023 à 18:43
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L'électrique n'a pas d'avenir dans le ciel, du moins avec la technologie actuelle. Seuls les véhicules terrestres et marins ont du sens , et encore si on ne tient pas compte du coût de l'électricité et du recyclage des batteries.

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