Vendredi 4 mars, 14 h 30. Les badauds et les bloggeurs, appareils photos en bandoulière ont envahi la rue de Varenne. Les gendarmes tentent de fluidifier la circulation, il faut apporter des barrières de sécurité supplémentaires pour contenir les membres d'Action discrète de Canal + qui s'amusent à imiter Galliano ivre. Un fan tient serré dans ses bras une banderole auréolée de mimosas « the king is gone ». Dans l'enceinte du musée Rodin, la dramaturgie est parfaite. Service de presse habillé de noir, dans la salle telle un catafalque, les chaises sont elles aussi recouvertes de noir. Ambiance funéraire. Aucune désaffection chez les journalistes, mais parmi les people, seules Mélanie Laurent et Natalia Vodianova sont assises au premier rang, au côté de Kris Van Asche, le créateur de Dior homme.

Fait inédit, Sydney Toledano prend la parole, le ton est grave. « Ce qui nous arrive est une épreuve. (...) de tels propos sont inacceptables, au nom de notre devoir de mémoire de toutes les victimes de l'holocauste. » Le nom de John Galliano n'est pas mentionné. Les lumières s'éteignent, Karlie Kloss, la top model phare de Dior entre en scène, cape, capeline et bottes en avant toute. Les modèles suivent, les visages sont fermés mais le flou, les volants, la transparence incarnent les valeurs de la maison Dior, une extrême féminité, faite de légèreté, destinée à plaire. Le final terminé, Anna Wintour s'éclipse par une porte de côté, elle n'assiste pas à la sortie des petites mains des ateliers, tous habillés en blouse blanche.

Standing ovation nourri, il y a belle lurette que les apparitions de John Galliano, même hyper théâtralisées, ne suscitaient autant d'enthousiasme. Depuis la mort de son alter ego et compagnon Steven Robinson, en 2007, vraisemblablement d'une overdose, la créativité n'était plus à ses sommets sur les défilés. Bernard Arnault était sourd aux critiques, admiratif qu'il était du génie créatif de Galliano, satisfait des résultats financiers. Il n'assiste pas à ce premier show sans son créateur vedette. Delphine Arnault essuie une larme, l'opération est réussie. La maison Dior est solide, la page Galliano tournée.

Dès juillet, rendez-vous est donné pour le défilé haute couture de Dior

Reste à faire vite. Dans quatre mois, début juillet, Dior défilera pour la haute couture. A ceux qui se sont étonnés de voir avec quelle rapidité la maison a réagi, il faut rappeler que le dérapage raciste de Jean-Paul Guerlain le 15 octobre dernier a coûté cher au groupe LVMH. En janvier, le CRAN a dénoncé la prime à la haine, soit les 300 000 euros versé par Axa au groupe au titre de préjudice lié à la fermeture de boutiques après les protestations. Le soir des Oscars, la nouvelle égérie du Miss Dior Chéri, Nathalie Portman, Américaine d'origine Israélienne, a refusé de s'habiller en Dior. Son communiqué annonçant qu'elle ne voulait qu'en aucune manière son nom soit associé en quoi que ce soit à Galliano a fait le tour de la planète.

Même le Quotidien du Peuple en Chine suit l'affaire dans ses colonnes. Les parfums Christian Dior ont enregistré en 2010 une année exceptionnelle, avec le succès de parfums emblématiques J'adore, Poison et Eau sauvage. Les ventes de la maison mère Dior ont elles progressé de 19 %, dépassant pour la première fois la barre des 20 Milliards d'euros. Pour 2011, la maison entend bien poursuivre sur sa lancée, avec notamment, nombre d'ouvertures de boutiques. Il lui faut remplacer John Galliano, celui-là même que Sydney Toledano qualifiait de c?ur du réacteur de la machine Dior.

Ricardo Tisci, le créateur de Givenchy donné favori

Qui alors pour le remplacer ? Un nom revient avec insistance : Ricardo Tisci le directeur artistique de Givenchy. En a-t-il l'étoffe ? Les noms d'Hedi Slimane, Alber Elbaz aussi ont circulé mais le premier ne s'est pas entendu dans le passé avec Bernard Arnault, quant au second, pourtant sans doute le plus brillant de sa génération, il semble trop heureux chez Lanvin où il est associé dans le capital pour se lancer un tel défi. Car, c'est bien là le problème. Aujourd'hui, un poste aussi prestigieux, sans doute le plus grand d'entre tous dans la mode, fait peur.

Ces derniers mois, après le décès de Yves Saint Laurent, le suicide d'Alexander Mc Queen, d'Isabella Blow, sa muse, la descente aux enfers de Galliano, mais aussi l'hospitalisation de Christophe Decarnin, le créateur de la maison Balmain en maison de repos, la nouvelle génération de créateurs n'a pas envie de sacrifier sa vie pour mettre sa créativité au service d'une industrie. Tout le monde n'a pas la puissance créative, la capacité de travail mais aussi la résistance nerveuse de Karl Lagerfeld pour réaliser chaque année deux défilés haute couture, deux défilés prêt-à-porter, sans compter les collections croisière, les pré-collections, la promotion des parfums, le shooting des campagnes, etc.