Les eaux usées, formidable ressource inexploitée

Les eaux usées permettraient de pallier l'écart croissant entre offre et demande hydriques, estime l'ONU. Leur exploitation pourrait en outre compenser les coûts liés à leur traitement.
Giulietta Gamberini
Au moins 50 pays du monde se servent déjà des eaux usées sur une superficie estimée à 10% de l'ensemble des terres agricoles.

Elles sont omniprésentes là où toute activité humaine requiert de l'eau : en aval de l'industrie, de l'agriculture et des usages domestiques. Et la croissance démographique mondiale, doublée de l'amélioration espérée des services d'assainissement, aura comme effet inévitable d'en multiplier la production. Pourtant, les eaux usées sont non seulement encore à 95% directement rejetées dans l'environnement, mais aussi largement sous-exploitées : parmi les 165 milliards de mètres cubes collectés et traités par an dans le monde, seuls 2% sont aujourd'hui réutilisés. Un paradoxe auquel les Nations unies ont donc décidé de consacrer leur Rapport mondial annuel 2017 sur la mise en valeur des ressources en eau.

L'organisation internationale voit en effet dans les eaux usées une "ressource", dont une exploitation optimisée permettrait de pallier l'écart entre offre et demande hydriques. Déjà sensible dans les régions - habitées par 5 millions de personnes - où la consommation d'eau est deux fois plus élevée que les ressources renouvelables locales, ce décalage est en effet destiné à s'accroître au niveau planétaire sous l'effet de l'urbanisation, puisque l'augmentation de la demande mondiale pourrait atteindre 50% en 2030, souligne l'ONU.

Biocarburants et phosphore

D'autres matières "précieuses" peuvent d'ailleurs être offertes par de cette source. A partir de 43.000 tonnes de boues d'épuration, la ville d'Osaka produit par exemple chaque année 6.500 tonnes de carburant biosolide, rappelle l'ONU. L'exploitation des eaux usées permettrait également de satisfaire 22% de la demande mondiale de phosphore, dont on prévoit la raréfaction voire l'épuisement dans les années à venir, mais dont est très riche l'urine humaine. Sans compter la valorisation des calories des eaux usées, déjà pratiquée au niveau mondial mais non incluse dans le spectre de l'étude des Nations unies.

Utilisés pour alimenter les usines de traitement elles-mêmes ou vendus sur le marché, ces produits directs et indirects des eaux usées pourraient ainsi compenser au moins en partie les coûts liés à la poursuite de l'Objectif de développement durable n° 6 consacré à l'eau, qui mentionne notamment la réduction de moitié de la proportion d'eaux usées non traitées.

Des réseaux décentralisés

Un tel changement d'approche est rendu possible par l'évolution technologique, qui multiplie les solutions face aux contraintes spécifiques de chaque région et de chaque secteur. Les pays à faible revenu - ils traitent en moyenne 8% des eaux usées, contre 70% dans ceux à haut revenu - peuvent désormais compter sur des alternatives efficaces à la mise en place coûteuse de systèmes de collecte centralisés.

Ces solutions décentralisées, "quand elles sont bien conçues et appliquées, peuvent donner des résultats satisfaisants en termes de qualité d'effluents", écrit désormais l'ONU. Or, "selon les estimations, les investissements de ces installations de traitement ne coûtent que 20 à 50% de ceux des usines de traitement conventionnelles et leurs coûts d'exploitation et de maintenance sont même inférieurs (de l'ordre de 5 à 25% des stations d'épuration conventionnelles à boues actives)".

Les législateurs méfiants

Les freins à vaincre restent donc aujourd'hui essentiellement psychologiques, réglementaires et financiers. Malgré les exemples de villes comme Singapour, Windhoek et San Diego - sans compter celui de la Station spatiale internationale -, où les eaux usées sont transformées en eau potable, les citoyens comme le législateur restent en effet souvent méfiants. En France, seule l'industrie peut d'ores et déjà pratiquer une économie circulaire des eaux usées.

Les pratiques évoluent toutefois progressivement, souvent sous l'effet de la contrainte. "Au moins 11 des 22 Etats arabes ont adopté des législations autorisant le recours aux eaux usées traitées": en Jordanie notamment, 90% est utilisé pour l'irrigation, souligne l'ONU. En Israël, près de la moitié des terres irriguées le sont avec une eau recyclée, et au moins 50 pays du monde s'en servent déjà sur une superficie estimée à 10% de l'ensemble des terres agricoles. Quant à l'industrie, on estime qu'en 2020 le marché de traitement des eaux usées devrait augmenter de 50%. Et certains pays adoptent des mesures législatives proactives en dehors de tout besoin immédiat: comme la Suisse, où le phosphore doit être obligatoirement issu de l'économie circulaire.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 22/03/2017 à 10:43
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Il est vrai que l'utilisation de l'eau potable est discutable. Utiliser 5 litres d'eau pour évacuer un petit pipi de 0.2litre peut amener à se poser questions ?

le 22/03/2017 à 23:37
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On peut poser un système 3/6L. C'est pas cher, et cela peut se poser soi-même.

à écrit le 22/03/2017 à 8:41
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Les idées pour la dé-pollution de la planète sont là mais les investisseurs privés eux ne sont pas là.

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