C'est une nouvelle avancée en matière de santé publique : les Français devraient bientôt être mieux informés sur la possible présence ou non de perturbateurs endocriniens dans les produits qu'ils achètent, afin d'éclairer leurs choix de consommation. Une exigence de transparence qui pèsera sur les industriels, sommés dès le 1er janvier 2022 de fournir des données précises sur les articles mis sur le marché qui contiennent les molécules en cause.
Publiée lundi par décret au Journal officiel, la future obligation découle de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) promulguée en 2020. Elle s'appliquera pour les perturbateurs endocriniens avérés, dont certains font déjà l'objet d'une interdiction, mais aussi et surtout pour ceux qui ne sont actuellement que « présumés » ou suspectés ».
Car la plupart des substances possiblement perturbatrices du système hormonal ne sont pas officiellement considérées comme telles, et font toujours l'objet d'une opacité : alors que la Commission européenne, qui fait référence en la matière, en recense aujourd'hui dix-huit « avérées », l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses) retient pas moins de 906 substances « à évaluer » dans le futur, « du fait de leur activité endocrinienne potentielle ». Maquillage, jouets et même nourriture : ces composantes pourraient en réalité être omniprésentes dans notre quotidien. Une perspective inquiétante, car elles sont toxiques pour l'homme : en déréglant le système hormonal, elles peuvent engendrer des troubles dans le fonctionnement de l'organisme, de l'infertilité aux cancers, en passant par une augmentation du risque d'obésité.
Défi scientifique
Pour mieux les identifier, la liste des produits contenant une ou plusieurs des substances « préoccupantes au regard de leur action potentielle de perturbation endocrinienne » devra désormais être relayée « par voie électronique », c'est-à-dire en « open data » sur Internet, précise le décret. « Peuvent être concernés notamment dans les cosmétiques, le secteur agro-alimentaire avec les pesticides, mais aussi celui des plastiques utilisés comme emballages, par exemple », note Sakina Mhaouty-Kodja, chercheuse au CNRS et spécialiste des effets des perturbateurs endocriniens sur la santé. Le cas le plus connu reste celui du bisphénol A, longtemps utilisé notamment pour la fabrication du polycarbonate (un plastique rigide et transparent), avant d'être interdit en France en 2015.
« A l'époque, la controverse était forte, car on manquait d'arguments pour affirmer que le bisphénol A était bien avéré perturbateur endocrinien. Aujourd'hui encore, des chercheurs restent sceptiques. Cela illustre à quel point il est difficile et long de prouver le caractère perturbateur endocrinien d'une substance », explique Robert Barouki, directeur d'une unité de toxicologie à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Pour l'attester, il faut en effet que celle-ci remplisse trois conditions : un effet néfaste sur la santé, une altération du système hormonal... « et surtout le lien de causalité entre ces deux-là, très difficile à établir », pointe Robert Barouki. « Pour beaucoup de molécules pointées du doigt, les données convergent, mais pas assez pour que la causalité soit avérée » abonde Sakina Mhaouty-Kodja. D'autant que l'effet toxique d'une substance perturbatrice endocrinienne se manifeste souvent sur le long terme, « des années voire des dizaines d'années après l'exposition ».
Un défi pour les scientifiques comme pour les pouvoirs publics, qui se sont livrés pendant plusieurs années une bataille sur la classification des perturbateurs endocriniens. « La Commission européenne souhaitait d'abord que n'y figurent que les avérés, quand beaucoup d'experts, ainsi que des pays membres, dont la France, voulaient qu'il y ait trois niveaux reconnus (avéré, présumé, suspecté, ndlr), de manière à surveiller un spectre plus large », analyse Robert Barouki.
Absence de pictogramme sur les produits
Reste que, malgré cette avancée en matière d'informations des consommateurs, la possible propriété perturbatrice endocrinienne d'un produit ne sera pas notifiée sur l'emballage de celui-ci lors de son achat.
« Il est une fois de plus demandé aux citoyens de se rendre sur Internet, de disposer d'un smartphone, d'une application, afin qu'il fasse la démarche de s'informer. Il est regrettable que le devoir d'informer le consommateur se traduise par un transfert de responsabilité sur le citoyen », a ainsi déploré l'association Générations futures dans un communiqué publié le mardi 26 août.
Surtout, selon Robert Barouki, les populations qui s'informeront via la liste publiée en ligne seront en fait celles qui sont déjà conscientes du problème. « C'est un premier pas, mais si l'on veut vraiment protéger les gens, il faut quelque chose de visuel directement sur le produit », estime le scientifique. Et de prendre l'exemple du nutri-score, un système d'étiquetage nutritionnel à cinq niveaux apposé sur les emballages, allant de A à E et du vert au rouge, établi en fonction de la valeur nutritionnelle d'un produit alimentaire.
Des substances diffusées dans l'environnement
Par ailleurs, ne pas consommer les produits incriminés n'empêchera pas au consommateur d'y être exposé. « Il peut aussi y avoir une contamination environnementale, dans l'eau ou concentré dans les poissons, par exemple », précise Sakina Mhaouty-Kodja. En témoigne la présence dans l'environnement de pyralène (PCB) pourtant interdit en 1987 du fait de son caractère perturbateur endocrinien. « On s'occupe de ce qui n'a pas encore été interdit, mais comment se débarrasser de ce qui l'a été ? », interroge la chercheuse.
Un constat d'autant plus préoccupant que le seuil de toxicité ne s'applique pas pour les perturbateurs endocriniens de la même manière que pour d'autres molécules. Quand, pour évaluer la toxicité d'un produit, la question de la dose est déterminante - ce qui permet de protéger le consommateur en dessous d'un certain seuil -, ce n'est pas le cas pour ces perturbateurs. « Il suffit en fait de très peu de cette substance capable d'interférer avec notre système hormonal, pour potentiellement générer des conséquences sur l'organisme », expliquait ainsi à la Tribune Olivier Andrault, chargé de mission Agriculture-Alimentation à l'UFC-Que Choisir, en avril dernier, alors que l'association de défense de consommateurs alertait sur la présence de perturbateurs endocriniens dans l'eau du robinet à cause de certains pesticides.
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