Mondialisation : pour continuer à faire des galettes, la Bretagne veut relancer la culture du sarrasin

DOSSIER MONDIALISATION- L’impact de la guerre en Ukraine et du blocage des exportations russes vers l’Europe de l’Ouest poussent les professionnels bretons de la filière du blé noir à promouvoir la production locale. Inquiète d’une possible pénurie de farine de sarrasin, ingrédient indispensable à la fabrication des galettes, au printemps 2023, l’association Blé Noir Tradition Bretagne a lancé avec succès un appel pour trouver de nouvelles surfaces disponibles. Objectif : implanter durablement une production IGP et rendre la culture du sarrasin économiquement rentable pour les cultivateurs.
Depuis 2021, la technique de fauche inaugurée par Eureden pour la récolte du blé noir non égrené, permet de diminuer le taux d'humidité et d'assécher naturellement la plante sans coût supplémentaire. Une faucheuse-andaineuse forme un andain qui est ensuite ramassé une fois séché. Ici, c'est une moissonneuse qui effectue la récolte.
Depuis 2021, la technique de fauche inaugurée par Eureden pour la récolte du blé noir non égrené, permet de diminuer le taux d'humidité et d'assécher naturellement la plante sans coût supplémentaire. Une faucheuse-andaineuse forme un andain qui est ensuite ramassé une fois séché. Ici, c'est une moissonneuse qui effectue la récolte. (Crédits : Eureden)

Dans les minoteries bretonnes, comme Courouge, le deuxième fabricant français ou Paulic Meunerie, acteur historique de la marque Harpe Noire, les stocks de farine de blé noir sont en flux tendus voire à zéro. A tel point que les professionnels bretons de cette filière issue de la culture du sarrasin, se sont alarmés au printemps face à cette question qui hantaient leurs nuits : y aura-t-il suffisamment de stocks de blé noir en 2023 pour assurer la demande, croissante, des crêpiers et des consommateurs, gourmands de galettes complètes ?

La guerre en Ukraine, qui bloque les exportations russes vers l'Europe de l'Ouest, a en effet provoqué un déséquilibre préoccupant sur le marché du blé noir. Ce petit secteur de 1,6 million de tonnes au monde perd 33% de ses fournitures (source FAO 2019). Derrière la Russie, la Chine fournit 11% des exportations mondiales de blé noir, les États-Unis 10%, l'Ukraine, le Brésil et la France 1%. « La compensation par les exportateurs traditionnels vers la France (Lettonie, Lituanie, Pologne) est quasi impossible » analyse Michel Le Friant, responsable des Métiers du grain au sein d'Eureden.

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Un appel à production entendu : 4.000 hectares cultivés

Comme d'autres collecteurs tels que les négociants céréaliers Voltagrain ou Roul'agrinov en Pays-de-la-Loire, la coopérative agricole bretonne, qui couvre 75 % de la production bretonne (5 départements), milite au sein de l'association Blé Noir Tradition Bretagne, pour accroître et implanter durablement une production de blé noir sous IGP (Indication géographique protégée).

Mi-avril, ce groupement de producteurs, stockeurs et meuniers, avait lancé un appel pour trouver 100 à 150 producteurs (800 à 1.000 hectares) intéressés à semer avant le 15 juin, après couvert végétal ou jachère, la récolte de septembre-octobre prochains. Par rapport à l'année 2021, il manquait 30% environ des 360 cultivateurs de la filière. En raison de l'envolée des cours de céréales cet hiver sur le marché international, certains d'entre eux se sont détournés de cette culture au profit du colza, du blé et surtout du maïs, plus rémunérateur. Cette campagne a rencontré un vrai succès, « beaucoup plus qu'espéré » admet Christine Larsonneur, directrice générale de Blé Noir Tradition Bretagne.

Au 15 juin dernier, 479 producteurs avaient implanté du sarrasin sur 4.000 hectares. L'essentiel provient du réseau coopératif Eureden, à qui il manquait 2.000 hectares sur un total de 3.500 hectares, en bio et en conventionnel. « Nous avons recruté 220 nouveaux producteurs sur un total de 430. En multipliant par deux nos cultivateurs, nous avons reconstitué le potentiel de la production 2022, si les conditions météo d'ici à la récolte restent correctes », se félicite Michel Le Friant.

Risque de pénurie éloigné pour le blé noir IGP

Le risque de pénurie semble s'être éloigné pour le blé noir breton. Depuis 2008, la région en assure la qualité grâce à la certification IGP. En raison de son climat, la filière a en effet fait le choix d'une culture principale semée en mai, récoltée en septembre. Cela limite les risques de gelées et améliore la qualité du rendement.

« En France, on distingue deux types de culture du sarrasin » explique Michel Le Friant. « Du Sud de la Loire à la frontière espagnole, on est en culture secondaire avec des semis de juillet et une récolte début octobre. Cela augmente le risque de levures et de moisissures, auquel s'ajoute la pollution par le datura, plante toxique qui rend la graine de blé impropre à la consommation humaine. »

Au-delà de l'échéance de la production 2022 pour les stocks 2023, c'est désormais sur la durée que compte travailler l'association Blé Noir Tradition Bretagne. De nouvelles actions seront prises à l'automne en vue d'assurer l'autosuffisance de la production bretonne par rapport à la demande régionale.

La production française toujours déficitaire

Avec 11.700 tonnes produites en 2019, mais 25.600 tonnes en 2021, la production française a augmenté depuis trois ans mais reste « déficitaire en blé noir pour couvrir ses besoins en alimentation humaine. Elle importe entre 5.000 et 10.000 tonnes selon les campagnes » relève Blé Noir Tradition Bretagne. En raison de la production en deuxième culture au sud de la Loire, la production bretonne ne représente plus pour sa part que 22 à 25% de la production nationale contre 70% en 2000. Plus chère, elle fait aussi face à la concurrence étrangère sur le marché.

Face à l'attractivité de la culture du maïs ou du colza (880 euros la tonne actuellement contre 350 à 450 euros avant la guerre en Ukraine), le développement et la pérennisation des surfaces passeront donc par la garantie donnée, chaque année, aux cultivateurs que la culture du sarrasin sera économiquement rentable.

Vers un prix moyen garanti de 800 euros la tonne

« D'ici à octobre, Eureden va discuter avec les meuniers afin d'analyser la valorisation de la tonne de blé noir pour se projeter dans la récolte 2023. La rétribution au juste prix des producteurs permettra de garantir à toute l'industrie bretonne de la transformation un approvisionnement local et stable plutôt qu'une production d'importation chinoise », assure le responsable de la coopérative.

Eureden entend ainsi ne pas déconnecter les tarifs du blé noir, actuellement côté à 1.200-1.300 euros la tonne après une envolée début juin à 1.500 euros, de ceux du blé. Le prix moyen du sarrasin pourrait ainsi être garanti autour de 800 euros la tonne minimum (elle était de 700 euros en 2021, 400 euros il y a quatre ans) assortie d'un complément de prix.

En Bretagne, l'extension des zones de culture du blé noir est presque devenue un geste militant. Plante mellifère sans gluten, bon sur le plan alimentaire et environnemental, le sarrasin correspond aussi à la demande du monde contemporain.

Des initiatives en circuit-court

Malgré un rendement moindre et plus irrégulier (1,3 tonne par hectare contre 7 tonnes pour le blé tendre et 3,5 pour le maïs), la culture du sarrasin présente un intérêt agronomique important à l'heure de la transition écologique (effet auto-nettoyant, peu ou pas d'intrants). Son rendement s'améliore significativement dès lors que la plante produit du miellat et attire les abeilles ou insectes pollinisateurs lors de la floraison.

« Le blé noir fait partie de la culture bretonne et des traditions régionales. Avec des produits dérivés comme le miel de blé noir, c'est toute une économie qui est valorisée du champ à l'assiette » rappelle Michel Le Friant. Comme tous les corps de métier, le secteur bénéficie de la prise de conscience qu'il faut produire davantage français.

Au-delà du secteur agro-industriel, des entrepreneurs comme le malouin Bertrand Larcher travaillent aussi, en mode circuit-court, à la relance de la culture du sarrasin. Dans sa ferme expérimentale de Saint-Coulomb (Ille-et-Vilaine), le fondateur des crêperies Breizh Café a produit une première production aboutie (3,5 tonnes) de farine de blé noir, destinée à la confection des galettes et gâteaux de ses établissements de Saint-Malo. Avec son association Kouer Breizhat (« paysan breton »), Bertrand Larcher souhaite lui aussi encourager les agriculteurs bretons à planter du sarrasin.

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