Automobile : le big bang de la vente en ligne est en route

Avec le confinement, les constructeurs automobiles ont décidé d'accélérer la digitalisation de leur process de vente en ligne. Un mouvement déjà enclenché par Tesla et par les grands distributeurs qui tentent d'imaginer un nouveau modèle commercial à travers une nouvelle expérience client créatrice de valeur. Pour l'heure, les constructeurs laissent faire, mais observent très attentivement...
Nabil Bourassi
La Citroën Ami est exclusivement vendue sur internet. Egalement disponible chez Fnac ou Darty, la conclusion de la vente passe par le site internet dédié.
La Citroën Ami est exclusivement vendue sur internet. Egalement disponible chez Fnac ou Darty, la conclusion de la vente passe par le site internet dédié. (Crédits : Citroën)

Depuis le déconfinement en mai, c'est tout un écosystème de patrons qui a les yeux rivés sur un indicateur totalement inédit pour eux. Constructeurs, équipementiers, distributeurs automobiles analysent les courbes des contaminations publiées quotidiennement par le gouvernement. Dès septembre, ils comprennent qu'un nouveau confinement est inévitable sinon hautement probable.

Eviter la catastrophe du printemps

En réalité, ils n'avaient jamais réellement exclu un tel scénario depuis le déconfinement du 11 mai dernier après deux mois de chaos économique et industriel qui leur avait fait perdre jusqu'à 80% d'activité et les avait contraints à fermer la plupart des usines automobiles d'Europe. Du jamais vu ! Personne n'a encore évalué le préjudice total de cette catastrophe, mais il pourrait s'élever à plusieurs milliards d'euros. Hors de question donc de laisser se reproduire une telle catastrophe, et les constructeurs ont décidé de ressortir de leur carton un vieux chantier jamais vraiment tranché: la digitalisation de la distribution automobile.

Car pendant les deux mois de paralysie commerciale, ils ont pu observer ébaubis l'accélération des ventes de Tesla, une marque largement rodée à la vente à distance par internet. En mars, la marque automobile 100% électrique avait même vu ses ventes augmenter de 26%. Le mois d'avril a été plus complexe, mais Tesla a largement surperformé ses concurrents. Le constructeur californien a développé un modèle de distribution totalement différent des constructeurs historiques puisqu'il possède son réseau en propre et s'adresse à une clientèle largement rompue aux méthodes de vente à distance. Envieux, les constructeurs et les distributeurs ont fini par conclure qu'il était temps de basculer enfin dans une logique de digitalisation... Un vœu pieux !

Les constructeurs automobiles ont largement communiqué sur des initiatives de ventes par internet. Peugeot a lancé son propre "salon de l'automobile", en référence au rendez-vous annuel des marques automobiles, annulé à deux reprises pour cause de crise sanitaire. Chez Citroën, on expérimente à sa manière ce nouveau canal de distribution avec l'Ami, lancée en début d'été exclusivement en ligne. Chez Renault, on se targue aussi d'avoir développé des process compatibles avec le "click&collect", ce procédé qui permet de commander en ligne et de permettre à l'acheteur de se rendre à la concession uniquement pour retirer le véhicule. Un espèce de "drive" qui permet de contourner la fermeture des show-rooms. Chez PSA et Renault, on affirme également avoir poussé le processus d'achat en ligne très loin.

"Avec le confinement, il était compliqué d'ignorer qu'il y avait urgence. Les constructeurs ont certes accéléré sur leurs projets, (e-vendeur, virtual showrooms, livraison à domicile) mais il n'y a pas eu d'innovation majeure en matière de digitalisation, et aucun projet de fond n'était vraiment opérationnel dans des délais suffisamment courts", explique Jean-Pierre Diernaz vice-président de MotorK, un groupe spécialisé dans la digitalisation du secteur automobile.

Une rupture cosmétique

Les initiatives des constructeurs sont effectivement cosmétiques et ne changent pas du tout la donne du modèle de distribution historique. A aucun moment, les constructeurs ne s'affranchissent de leur réseau de distribution classique, et leur site internet n'est qu'une façon de rediriger les clients vers les concessionnaires. De fait, le réseau conserve la main sur la distribution. Seule Mercedes travaille à une redéfinition de ses contrats de distribution. Il l'a d'ailleurs déjà fait à l'étranger (en Australie, Afrique du Sud...). Cette rupture historique pourrait toutefois se terminer devant les tribunaux tant les enjeux sont colossaux pour les distributeurs.

Car numériser la distribution automobile n'est pas aussi simple que numériser des livres, de l'électroménager ou des téléviseurs... Ce canal est régi par un système de concessions mis sous contrats entre les distributeurs et les constructeurs automobiles. Les premiers se sont pas mal consolidés ces vingt dernières années au point de constituer des groupes de plusieurs milliards d'euros de chiffre d'affaires sur le seul marché français. Or, ces derniers craignent que derrière les projets de vente par internet, se cache un monstre qui s'appelle la reprise en main de la distribution par les constructeurs eux-mêmes. C'est d'ailleurs sur cet écueil que les projets de digitalisation ont buté jusqu'ici.

Les groupes de distribution ont donc décidé de passer à l'offensive. Le premier confinement a été un véritable déclic pour eux. Pour Jochen Funk, associé responsable pour le secteur automobile chez Deloitte Conseil, il a surtout accéléré un processus enclenché depuis plus longtemps:

"Il y a une tendance plus globale à aller de moins en moins vers la propriété en passant par des formules de location de longue durée ou de souscription, cela favorise la vente à distance. Il est plus facile de vendre un package de service à 300 euros par mois, que de vendre une voiture à 30.000 euros".

"On observe une forte accélération de projets pour digitaliser le processus de vente de voitures neuves depuis deux ans. Le premier confinement a bien entendu accéléré le processus".

L'usine à gaz des constructeurs

Le confinement les a mis à nu face à ce retard pris sur cette digitalisation. Mais depuis, ils ont été très vite. "Sur les 2.000 sites sous contrat avec MotorK en Europe, près de 1.700 ont intégré un module de paiement depuis le confinement", observe Jean-Pierre Diernaz selon qui les distributeurs sont plus souples que les constructeurs automobiles encore sclérosés par "la lourdeur de leur structure décisionnelle". D'après cet ancien de chez Nissan, les constructeurs ont commis l'erreur de vouloir à tout prix "monter des projets qui incluent la totalité du parcours client dès le départ, ce qui complique d'autant la tâche. A l'inverse, les concessionnaires ont été beaucoup plus souples et ont choisi de procéder par briques", explique-t-il.

Mais pour les distributeurs, c'est aussi l'occasion d'accélérer la transformation de leur modèle économique et commercial.

"Le modèle économique du concessionnaire reposait jusqu'ici sur l'accumulation de quatre métiers: la vente de voitures neuves, la vente de pièces, le service après-vente et la vente de voitures d'occasion," rappelle Jochen Funk, de Deloitte.

Depuis plusieurs années, ils travaillent sur le monde d'après, où l'entretien sera moins récurrent ( avec la voiture électrique, c'est toute la maintenance de la chaîne de traction qui disparaît).

Jean-Pierre Diernaz prédit: "les concessionnaires ne veulent pas finir comme les agences de voyages. Ils s'organisent pour se structurer autour de leur propre marque en développant leur propre écosystème technique mais également leur propre écosystème de service". Les services liés à la mobilité pourraient devenir la martingale en proposant davantage de solutions autour de la location (courte durée, longue durée, deuxième voiture...), mais d'autres services autour d'assurances complémentaires. Le rachat de la plateforme VTC Marcel par le groupe de distribution BymyCar est à analyser sous ce prisme d'une diversification de leurs activités. "La vente de voitures neuves n'était pas forcément le plus rentable", confirme Jochen Funk pour qui "la digitalisation est une opportunité pour transformer ce modèle en développant de nouveaux services".

Une nouvelle enseigne automobile ?

Ce changement de paradigme pourrait impliquer une rupture fondamentale: le développement d'une marque propre et abandonner la culture des marques automobiles détenues sous forme de franchise. Ainsi, les consommateurs iraient davantage vers une enseigne de distributeur que vers une enseigne signée Renault ou Peugeot. Les distributeurs pourraient également utiliser une arme redoutable pour conforter cette offensive appelée le marketing de souscription. Autrement dit, au moyen d'un abonnement (ou d'un loyer), les consommateurs pourraient bénéficier d'un package de services exclusivement disponibles chez leur concessionnaire.

Que peuvent faire les constructeurs face à cette offensive ? Pas grand chose, et d'ailleurs, ils ne contrarient pas ces plans. Les concessionnaires ont maillé le territoire avec des équipes dédiées au commercial, mais aussi à l'entretien, ils ont déjà une longueur d'avance sur la relation client. Et les constructeurs peuvent difficilement se passer d'eux. "Il y a un lourd héritage qui constitue une importante force d'inertie: des centaines de bases de données, des interopérabilités, des relations contractuelles, des obstacles logistiques...", souligne Jean-Pierre Diernaz.

Le réseau reste essentiel pour les constructeurs

"Nous allons vers un système de distribution multicanal complémentaire. Il y aura toujours la nécessité d'un réseau pour le service après-vente mais aussi pour assurer la prise en main (ndlr) de ces produits riches en technologie", abonde Jochen Funk. "On ne fait pas de e-commerce contre le réseau", insiste Thierry Koskas, directeur des ventes et marketing du groupe PSA qui considère qu'effectivement "la majorité des ventes continueront de se faire à travers le réseau". D'ailleurs, les constructeurs ont investi lourdement sur des plateformes digitales pour développer le e-commerce qui est ensuite redéployé vers les distributeurs. C'est cadeau !

Selon lui, les ventes digitales pourraient représenter près de 100.000 ventes en 2021, soit moins de 3% des ventes totales du groupe mais "on part de zéro", rappelle-t-il: "3% c'est modeste mais c'est intéressant pour la suite..."

Que feront alors les constructeurs si les ventes en ligne franchissent les seuils de 10% à 15% du marché ?

Nabil Bourassi

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Commentaires 3
à écrit le 17/11/2020 à 17:40
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Une voiture n'est pas un objet de consommation courante que l'on peut acheter sur le net. Un véhicule neuf s'essaie avant de finaliser son choix, le prix se discute avec le vendeur, les options , le délai de livraison. Il est déjà très difficile de t...

à écrit le 17/11/2020 à 11:09
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internet est un beau monde! on achete son pack d'eau on achete aussi des chaussures sans les essayer on peut meme acheter dess voitures a 50.000 euros sans les voir ou les essayer pour voir si on a assez de visibilite pour le creneau on peut meme...

à écrit le 17/11/2020 à 8:27
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Enfin si c'est pas pour faire baisser les prix à la vente c'est inutile il vaut mieux faire tourner des boutiques réelles.

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