Automobile : pourquoi les industriels accélèrent dans l'économie circulaire

Les constructeurs automobiles multiplient les annonces pour faire de l'économie circulaire un important levier de croissance à moyen terme. Il s'agit de revoir leur stratégie d'approvisionnement, mais également de pousser le bouchon plus loin pour atteindre la neutralité carbone. Ils jugent que cette activité est désormais mûre pour devenir une importante source de profit...
Nabil Bourassi
(Crédits : Benoit Tessier)

Et de trois... Après Stellantis et Renault, c'est au tour de Faurecia (ou Forvia après l'absorption de Hella) de se mêler d'économie circulaire. L'équipementier automobile a annoncé la création de Materi'Act, une filiale dédiée à l'industrialisation de matériaux recyclés ou biosourcés. Il emboîte ainsi le pas aux deux constructeurs automobiles qui ont, à deux jours près, annoncé une feuille de route sur cette nouvelle thématique début octobre. Ils estiment que cette branche dégagera aux environs de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2030 chacun. Renault table même sur une marge opérationnelle supérieure à 10% sur cet horizon, soit le double de sa performance actuelle sur l'ensemble de ses activités. Cette concomitance d'annonces peut surprendre, d'autant que les constructeurs automobiles ont d'autres chats à fouetter entre les investissements dans l'électrification, l'autonomie, la connectivité... Alors pourquoi cette soudaine prise de conscience, et surtout, cette forte ambition ?

Des directives encore peu contraignantes...

Les constructeurs automobiles savent qu'ils sont désormais scrutés à la loupe par les associations de défense environnementale mais également par les pouvoirs publics. Ils ont payé extrêmement cher le retard pris dans l'électrification et ne veulent plus être à rebours de la réglementation. Ils prennent les devants avant que l'Europe ne commence à s'intéresser très franchement à l'empreinte carbone de la production. Jusqu'ici, Bruxelles s'est bornée à réglementer les émissions seulement à la sortie du pot d'échappement. Quelques textes sont entrés en application comme l'obligation pour les garages de proposer des pièces de réemploi dans le cadre des réparations, ou encore le taux de recyclage automobile. Mais les textes sont encore peu contraignants.

Or, les constructeurs savent qu'il y a beaucoup à redire sur les conditions de production et d'exploration des matières premières (cuivre, minerais stratégiques...). Et l'avènement de la voiture électrique va accentuer cette question. Car les critiques fusent quant aux vertus réelles de cette technologie. L'exploitation du lithium, notamment, est une catastrophe environnementale... En gros, la neutralité carbone ne sera pas possible sans un ambitieux et très sérieux volet économie circulaire.

En outre, la pandémie puis, surtout, la guerre en Ukraine qui a mis en exergue la criticité de nombreuses matières premières en provenance de Russie, ont poussé les constructeurs à se poser de sérieuses questions sur leurs approvisionnements.

L'économie circulaire peut permettre aux constructeurs d'abaisser leur empreinte carbone et ainsi déjouer par anticipation des resserrements réglementaires plus importants. Mais elle peut surtout apporter des réponses dites « souveraines » à des problématiques d'approvisionnements.

« Ne pas parier sur le recyclage, c'est parier sur la disponibilité infinie des matériaux. Le pari serait hasardeux », juge Guillaume Crunelle, associé responsable du secteur automobile au cabinet Deloitte.

Un modèle écologiquement vertueux

Mais de quoi s'agit-il exactement ? Cette notion assez floue, parfois connotée de militantisme, s'est largement professionnalisée ces dix dernières années. L'économie circulaire permet de valoriser des biens déjà transformés pour récupérer un maximum de pièces afin de les réintroduire dans le circuit de production. Il y a évidemment des enjeux de qualité mais également de sécurité.

La composante la plus classique de l'économie circulaire consiste à réutiliser des pièces, appelées pièces de réemploi. Un véritable travail de fourmi que des entreprises ont réussi à rationaliser, comme Indra (Industrie nationale de déconstruction et de recyclage automobile), une coentreprise entre Renault et Suez.

La pièce de réemploi permet de réparer à moindres frais une voiture qui gagne ainsi en longévité. L'autre idée de l'économie circulaire est de récupérer les matériaux et de les recycler. C'est plus complexe, mais le bilan environnemental du procédé est infiniment plus vertueux. « Les pièces en aluminium recyclé ont une empreinte carbone trois fois moins élevée que celles produites à partir d'aluminium primaire », rappelle Jean-Michel Pinto, directeur stratégie industrielle chez Monitor Deloitte. Ici, les industriels sont heureux de récupérer du cuivre, de l'acier, de l'aluminium... Sur les batteries électriques, on parle bien entendu de récupérer du lithium ou du cobalt... Et pas que ! Bref, l'économie circulaire dans l'industrie automobile, c'est beau, mais c'est ambitieux... La question devient aussitôt : quel modèle économique ?

« Il y a divers paramètres à prendre en compte avant de bâtir un modèle économique : la pression régulatrice, la maturité des procédés industriels, le cours des matières premières... », estime Guillaume Crunelle. « L'actualité autour des pénuries, de la volatilité des matières premières et les aléas géopolitiques ont accéléré la prise de conscience de la ressource inexploitée que constitue l'économie circulaire », ajoute-t-il.

Il faut dire que, depuis dix ans, les process se sont industrialisés que ce soit dans la constitution de filière de récupération que de valorisation des matières ou des pièces de réemploi.

« On parvenait jusqu'ici à recycler 85% des véhicules, mais en grande majorité pour ce qu'on appelle le downcycling, c'est-à-dire en les broyant et en réutilisant les matériaux (notamment l'aluminium) pour des usages moins nobles. L'enjeu aujourd'hui, est de faire du recyclage une source de matières premières massive pour compléter les circuits d'approvisionnement traditionnels », explique Jean-Michel Pinto.

La pièce de réemploi est la plus facile à commercialiser. « L'après-vente est historiquement une source essentielle de marges pour les constructeurs. Avec la pièce de réemploi, la filière peut s'appuyer sur cette ressource pour bâtir un modèle économique viable », avance Jean-Michel Pinto qui chiffre ce marché à près de 10 milliards d'euros en Europe. « Cette activité joue un rôle important pour assurer la disponibilité de pièces de rechange à prix compétitif », explique-t-il.

Mais la logistique est probablement perfectible. « Il est impératif de mieux structurer une filière de collecte et de tri, il y a toute une logistique spécifique à améliorer », insiste le spécialiste de Deloitte.

« Il s'agit de professionnaliser la filière afin de maîtriser le cycle de vie des matières (recyclage) mais aussi des produits (reconditionnement, réparation) en termes de coûts », abonde de son côté Guillaume Crunelle.

L'éco-conception pour aller plus loin

Pour aller plus loin, les constructeurs et la filière travaillent sur l'amont : l'éco-conception. Il s'agit de revoir les modalités de production afin de faciliter les process de recyclage. Le design de l'automobile et de l'intérieur (siège, tableau de bord...) pourrait être adapté pour faciliter le tri et baisser le coût des process de recyclage. De nombreuses pièces ne sont pas exploitables en raison d'un coût élevé comme les charnières en acier dans les sièges qui retiennent la mousse de l'assise.

L'économie circulaire est en train de vivre sa révolution avec la volonté des constructeurs automobiles de monter en puissance dans cette production. Renault a lancé la transformation de son usine de Flins dans l'économie circulaire. Stellantis a choisi celle de Séville en Espagne. Sauver l'environnement va créer de nouveaux métiers, des emplois... Et des profits !

Nabil Bourassi

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