Pressé par l'Etat de sauver la SAM, Luca de Meo, le patron de Renault, dit "niet"

Le directeur général du groupe automobile français refuse de prendre la responsabilité du sauvetage de la fonderie aveyronnaise, condamnée à la faillite sans engagement du constructeur dans ce dossier. Politiquement explosif à six mois de la présidentielle, le dossier a mobilisé une bonne partie du gouvernement. Renault, lui, estime que le dossier de reprise n'est pas viable.
Nabil Bourassi
(Crédits : Renault)

Luca de Meo avait pourtant prévenu. Lors de la journée de la filière automobile, le directeur général de Renault avait adressé un message très clair aux représentants du secteur : "la démarche qui consiste à dire que c'est aux constructeurs de soutenir la filière, nous met en difficulté et menace l'avenir de la filière". Autrement dit, le groupe automobile français ne soutiendra pas la reprise des sites en difficulté et dont les projets de reprise ne sont pas viables.

Sans engagement de la part de Renault, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a estimé ce matin que l'offre du repreneur n'était pas crédible. L'Etat et la région Occitanie avaient pourtant apporté un soutien financier conséquent. Le tribunal de commerce pourrait annoncer la liquidation de l'entreprise vendredi.

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Un projet non pérenne, selon Renault

Ce mardi, Renault a publié un communiqué de presse indiquant qu'il répondait défavorablement à l'injonction du tribunal de commerce de Toulouse de soutenir le projet de reprise de la Société Aveyronnaise de Métallurgie (SAM), dont il est le principal client.

"Une analyse approfondie du dossier ne confirme pas les hypothèses de chiffre d'affaires présentées dans cette offre. Une nouvelle fois, comme cela avait été constaté en juillet 2021, cette offre ne présente pas les conditions de pérennité et de sécurité nécessaires pour l'entreprise et ses salariés. Il existe de forts doutes sur la solidité financière, malgré les supports financiers externes envisagés (par l'État et le conseil régional d'Occitanie, ndlr), et les réelles capacités d'investissement et de redressement de Jinjiang SAM par Alty-Sifa", écrit le groupe automobile dans son communiqué de presse.

Pour les 350 salariés de SAM, c'est une défaite qui était redoutée, mais l'espoir était encore vivace tant les autorités, notamment à travers des membres du gouvernement, avaient assuré qu'ils mettraient tout en œuvre pour que Renault s'engage sur la voie d'un soutien.

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La promesse de Bercy

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l'industrie auprès de Bruno Le Maire,  avait ainsi désigné Renault comme responsable de l'avenir du site. Tout le cabinet ministériel, jusqu'à Matignon, était mobilisé pour faire plier la direction de Renault, et éviter un drame industriel dans une région déjà lourdement impactée par la transformation automobile.

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Chez Renault, on admet en "off" avoir été soumis à de fortes pressions gouvernementales. Des cadres déplorent la stigmatisation du groupe au losange alors même qu'il a été le dernier donneur d'ordre de la SAM quand tous les autres constructeurs ont abandonné la société depuis plusieurs années. Le groupe refuse d'endosser la responsabilité d'une faillite rendue inéluctable, selon lui, par des erreurs stratégiques, d'investissements de la part des directions et des actionnaires successifs. Et de rappeler que le groupe a déjà apporté un soutien financier direct de 42 millions d'euros à la SAM. Ces derniers mois notamment, c'est le constructeur français qui comblait les pertes d'exploitation, chiffrées entre un et deux millions d'euros, le temps pour les protagonistes du dossier de trouver un repreneur viable pour l'entreprise...

fonderie SAM

Vendredi dernier, les salariés de la SAM avaient fait le déplacement jusqu'à Toulouse pour l'audience décisive au tribunal de commerce. Ce dernier avait alors laissé cinq jours à Renault pour se positionner dans le dossier en confirmant ou non le carnet de commandes de ce site industriel dont il est l'unique client (Crédits : Rémi Benoit).

Un dossier politiquement explosif

Au-delà de ce cas d'espèce, Renault veut s'affranchir de la pression gouvernementale sur des dossiers éminemment politiques. Il se trouve que l'affaire de la SAM survient à un moment extrêmement critique pour les fournisseurs dont les trésoreries se tendent. La crise des semi-conducteurs a amputé le marché d'environ un quart de la production automobile... L'impact sur la filière est implacable. Et la situation devrait s'accentuer dans les mois prochains avec la hausse du prix des matières premières. Enfin, l'avenir des fonderies est clairement interrogé au moment où la voiture électrique est en plein boom. Cette technologie nécessite quatre fois moins de métaux ferreux qu'une voiture thermique.

En parallèle, le gouvernement marche sur des œufs. À six mois de la présidentielle, le gouvernement ne peut pas se permettre un drame industriel qui pourrait être instrumentalisé par l'opposition.

Renault, l'ancienne régie

Sauf que l'Etat a ses habitudes chez Renault. Il reste le premier actionnaire du groupe automobile (15% des titres), et il s'est porté garant d'un gigantesque prêt (5 milliards d'euros) lors de la crise sanitaire. En outre, l'ingérence de l'Etat dans les affaires de Renault ne date pas d'hier. L'ancienne Régie reste encore largement sous influence étatique. Déjà Carlos Ghosn, l'ancien PDG, s'en plaignait régulièrement. Le point d'orgue de cette ingérence avait été le raid du gouvernement dans le capital pour imposer les droits de vote double pour les actionnaires de long terme contre l'avis de la direction.

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Le ministre de l'Economie de l'époque, Emmanuel Macron, avait également poussé Carlos Ghosn à racheter le reste du capital de Nissan pour en prendre définitivement le contrôle. Chose à laquelle Carlos Ghosn s'était opposé de toutes ses forces. La question d'une fermeture d'usine n'était pas non plus envisageable... Au contraire d'un PSA qui avait fermé son site d'Aulnay-Sous-Bois, malgré le plan de soutien d'urgence engagé par l'Etat pour le sauver de la faillite.

L'autre priorité: sauver Renault...

Ainsi, Luca de Meo, ancien du groupe Volkswagen, n'était pas habitué à ce genre de rapport avec son premier actionnaire. Bien sûr, lorsqu'il était patron de Seat, il avait dû apporter des gages au gouvernement espagnol sur l'empreinte industrielle de Seat sur le territoire. Mais de là à se porter garant du reste de la filière...

D'autant que Renault s'est déjà engagé sur plusieurs dossiers comme la reconversion du site de Flins dont la pérennité n'était pas gagnée. L'Etat attend également que le groupe donne suite à sa promesse de participer au projet ACC, la coentreprise de fabrication de batteries électriques fondée par Stellantis et Total, et récemment rejoint par Daimler. Sa participation était une des conditions posée par l'Etat pour l'octroie du prêt garanti. Enfin, Renault vient d'annoncer son soutien au projet de reprise société Alvance Aluminium Wheels, dans l'Indre, par le Groupe Saint-Jean Industries.

"C'est la première fois qu'il se retrouve dans la situation où il doit dire non", reconnaît-on en interne. L'enjeu est d'enrayer cette mécanique jugée "paternaliste". Luca de Meo peut compter sur un Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault, davantage rodé à ces jeux de pouvoirs.

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Car Renault estime avoir d'autres sujets brûlants sur le feu comme le redressement de son propre groupe. Après la chute de Carlos Ghosn et deux années de crise financière et commerciale, il doit impérativement reprendre le train de la transformation sectorielle qui roule à toute allure: électrification, connectivité, repositionnement de marques, logiciels... Les investissements nécessaires sont colossaux, et les enjeux d'emplois ne le sont pas moins.

Nabil Bourassi

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Commentaires 16
à écrit le 25/11/2021 à 8:53
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Dormez tranquille braves gens, macron vous a promis le retour au plein emploi avant la fin de son mandat

à écrit le 24/11/2021 à 21:38
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Renault est déjà très très fortement endetté lui même, alors aller sauver les autres... Et il y a un changement industriel, comme il y en a eu dans plein d'autres métiers. Qu'est devenu Kodak...? C'est gens doivent faire de nouvelles formations et...

le 25/11/2021 à 9:32
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ou quand ces dirigeants campe sur leurs vieille idees refuse les evolutions et apres rejette leur faute sur les clients voir leur salarie et que nos politicien sont trop avide de desindustrialiser le pays le discourt de m macron le prouve chaque j...

à écrit le 24/11/2021 à 20:18
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Démeo c est Ghosn en plus vicieux avec un grand sourire il dit France France et délocalisé plus encore. Il importe même des voitures Chinoises ( Spring et mobilize). Maintenant il délocalisé même l ingénierie (perte de milliers de postes chez Renaul...

à écrit le 24/11/2021 à 18:19
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La souveraineté économique et industrielle à la sauce Macron ; en même temps je vais sauver l'industrie et relocaliser en coulant les boites.

à écrit le 24/11/2021 à 15:31
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on va faire court Renault délocalise en Espagne .7 mots le reste c est du pipi de chat comme disait mon grand-père

à écrit le 24/11/2021 à 12:59
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tiens, personne ne songe a accuser les politiciens de gauche et les ecolos bobos qui coulent l'industrie automobile, c'est curieux... ah ben oui, a gauche on aime les boucs emissaires, et on aime stigmatiser ( les autres), car dans ce cas c'est juste...

à écrit le 24/11/2021 à 12:19
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Exemple type de la régulation par le marché.. Renault désormais entreprise mondialisée prend ses directives chez ses patrons qui recherchent du profit immédiat..

le 24/11/2021 à 16:50
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c est dommage pour les gens qui travaille a SAM mais une voiture electrique n a plus besoin de leur pieces. a partir de la, il n y a plus tellement de solutions. soit le contribuable paie des gens a rien faire soit les gens doivent se reconvertir. S...

le 24/11/2021 à 17:27
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Certes mais il me semble que : La Française de Mécanique de Douvrin produit les moteurs de la famille "EP" (1.6 PureTech) depuis 2006. Sa production sera transférée en 2023 en Hongrie dans une usine Opel.

à écrit le 24/11/2021 à 11:58
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La question est bien de savoir comment une entreprise ne peut avoir qu'un seul client ! C'est complètement dingue cette histoire...

à écrit le 24/11/2021 à 8:52
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dans cette histoire il ya ce que l on nous dit et ce que l on ne nous dit pas...ON JOUE D U COTE COMME DE L AUTRE SUR L EMOTIONNEL MAIS PAS DES VRAIS SUJETS: 1/comment un entreprise peut avoir un seul client de nos jours ? trés dangereux... 2/pourq...

à écrit le 24/11/2021 à 8:46
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dans ces conditions ou l'etat se mêle de tout plus aucune entreprise ne voudra venir en France

à écrit le 24/11/2021 à 7:23
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que Renault rembourse toutes les aides de l'etat en commençant par le chomage partiel durant la crise dont il a très bien profité pour mettre au chomage les employés français et donner le travail en low cost. Dixit les dirigeants italiens, on met au ...

le 24/11/2021 à 9:41
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Et alors ? TOUTES les entreprises de France sont subventionnées, d'une manière ou d'une autre, que soit directement avec les aides d'état, ou avec des crédits d'impôts. Même l'entreprise pour laquelle VOUS travaillez ! Sans même parler du "quoiqu'il ...

à écrit le 24/11/2021 à 7:11
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A force de faire du "quoi qu'il en coûte", à force de faire payer la collectivité pour tout et surtout pour n'importe quoi, les chefs d'entreprises finissent par voir ailleurs dans d'autres pays. Hollande le disait, "c'est l'état qui paye" : Sauf que...

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