Le moins que l'on puisse dire c'est que le timing de la communication de Renault apparaît décalé avec l'agenda social du groupe. Trois jours après l'annonce par la direction du constructeur de ses engagements RSE (responsabilité sociale et environnementale), la Fonderie Bretonne de Renault s'est embrasée : usine de Caudan (Morbihan) bloquée, direction séquestrée mardi, palettes d'expédition confisquées... Des actes condamnées par la direction qui, dans un communiqué publié mardi soir, appelait au calme, en rappelant que les discussions étaient encore en cours avec deux repreneurs potentiels de ce site, dont la cession a été annoncée le 11 mars dernier. 350 salariés sont concernés.
Le feu couve
En réalité, le feu couve sur l'ensemble des fonderies françaises. Les trois fonderies du groupe indien Gupta Family Group (deux dans la Vienne et une dans l'Indre, près de Châteauroux) sont en redressement judiciaire, et les 860 salariés espèrent un repreneur. Dans l'Aveyron, région déjà menacée par la fermeture d'une usine Bosch, c'est l'avenir de l'entreprise SAM (364 salariés) qui semble toujours dans l'impasse, un an après son placement en redressement judiciaire.
Lire aussi: La SAM, l'autre désastre industriel de l'Aveyron
Le gouvernement a reconnu que la situation était extrêmement critique pour la filière de la fonderie française. Lundi, à l'issue d'une réunion pour réactualiser le contrat stratégique de filière automobile, Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, a souhaité mettre en place un plan d'actions spécifique pour sauver les fonderies françaises avec un fonds doté de 50 millions d'euros pour accompagner la formation des salariés, et la reconversion des sites.
Il a rappelé que la fonderie représentait 355 entreprises en France et 30.000 emplois directs, dont 15.000 dédiés à l'industrie automobile. Selon lui, les fonderies françaises souffrent de leur dispersion et de leur relative petite taille. Il a également relevé qu'elles étaient mal positionnées pour préparer l'après voiture thermique.
"Une voiture thermique, c'est 120 kg de métaux ferreux contre 35 pour une voiture électrique", a rappelé le ministre. Il est donc urgent selon lui de diversifier la filière.
Bruxelles et les normes environnementales mis en cause
En "off", les patrons de la filière automobile remettent en cause le rythme soutenu de la transition énergétique imposé par Bruxelles. La montée en puissance de la voiture électrique menace pas moins de 100.000 emplois en France, indiquait la semaine dernière Luc Chatel dans une interview au Figaro. A Bercy, qui veut pourtant pousser la filière française à se positionner sur le filon de l'électro-mobilité, on veut ralentir le rythme de la contrainte réglementaire. Ainsi, les pistes de discussions sur la norme Euro7 qui doit être adoptée en juin pour une entrée en vigueur en 2025 ont été jugées excessive par Bruno Le Maire qui veut en revoir les contours.
Ce n'est pas la première fois que la filière se plaint des normes environnementales pour expliquer des situations sociales compliquées. L'effondrement du diesel (77% des ventes en France en 2012, 28% en 2020) serait ainsi à l'origine du plan social de l'usine Bosch à Rodez (750 emplois supprimés). Avec l'avènement de la voiture électrique, largement poussée par les autorités, la voiture perd près toute la chaîne de traction thermique classique (équipements de dépollution, levier de vitesse...) au profit d'une chaîne beaucoup plus simple, soit autant de pièces en moins et donc d'emplois. Les gigafactories de production de batteries ne suffiraient pas, selon eux, à compenser ces pertes d'emplois.
Le sujet avait déjà été identifié en 2019
Pour Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme Automobile, l'agenda de la réforme des fonderies a été contrarié par la crise du coronavirus: "les risques sur les fonderies françaises ont été soulignés dès décembre 2019. Mais le choc conjoncturel de la crise sanitaire a violemment accéléré la transformation structurelle que nous avions anticipé".
"Le changement de perspectives sur le mix énergétique des prochaines années par rapport à celles que nous avions il y a six mois est impressionnant".
Autrement dit, la transformation de la filière industrielle automobile sur fond de transition énergétique est devenue hors de contrôle pour les industriels qui n'arrivent plus à suivre le rythme. Car la fonderie n'est pas, en soi, condamnée au déclin. Une étude commandée par la Plateforme Automobile au cabinet Roland Berger début 2020, c'est-à-dire avant l'accélération de la transformation, disait même le contraire.
"La fonderie française est un secteur avec (encore) beaucoup de potentiel", écrit le cabinet de conseil dans son étude que s'est procuré La Tribune.
Selon elle, la fonderie automobile est un marché en croissance et atteindra même les 25 milliards d'euros de chiffre d'affaires en Europe en 2030, soit un rythme de 1,5% de croissance en moyenne par an.
L'étude Roland Berger a également relevé que si certaines fonderies françaises étaient en grandes difficultés, d'autres se portaient très bien avec des EBITDA supérieurs à 14%. Et d'aller plus loin: "la fonderie doit se réinventer. Elle est le lieu idéal pour le déploiement de l'industrie 4.0 utilisant l'analyse de données et l'IA comme différenciateur compétitif (certains ont déjà commencé)", est-il écrit dans cette étude livrée en juin de l'année dernière.
Tourner les fonderies vers l'Europe
Mais, en tout état de cause, les fonderies françaises n'échapperont pas à un important réajustement d'effectifs, souligne le cabinet, lequel estime qu'elles perdront 5.200 emplois sur les 13.500 du secteur d'ici 2030. Une "action concertée entre l'Etat, les donneurs d'ordres et les fondeurs" pourrait néanmoins sauver la moitié de ces emplois. L'étude recommande ainsi de sortir les fonderies françaises de leur dépendance au secteur automobile, mais surtout de "consolider" la filière autour de deux acteurs "pour dépasser la taille critique" (600 millions d'euros de chiffre d'affaires) avec une "aide au repositionnement compétitif".
Pour Marc Mortureux, "il faut envisager des consolidations pour créer des grands acteurs tournés vers le marché européen". Autrement dit, imaginer une Europe de la fonderie, 70 ans après l'Europe du charbon et de l'acier...
Sujets les + commentés