Crise du logement : la Caisse des Dépôts sort le carnet de chèques pour relancer l'immobilier neuf

Pour sortir les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux de l'impasse, la filiale logement de la Caisse des Dépôts et consignations vient de leur commander 17.000 habitats neufs, moyennant 3,5 milliards d'euros. De la même façon que la présidente du directoire de CDC Habitat, Anne-Sophie Grave, réagit aux dernières déclarations du président Macron, les professionnels Yannick Borde (Procivis), Norbert Fanchon (Gambetta) et Philippe Jung (Demathieu Bard) analysent cette nouvelle annonce.
César Armand
La filiale logement de la Caisse des Dépôts et Consignations vient de commander 17.000 logements neufs supplémentaires dont 12.000 logements locatifs intermédiaires et 5.000 logements locatifs sociaux.
La filiale logement de la Caisse des Dépôts et Consignations vient de commander 17.000 logements neufs supplémentaires dont 12.000 logements locatifs intermédiaires et 5.000 logements locatifs sociaux. (Crédits : Philippe Wojazer)

C'était il y a deux semaines, au lendemain de la séquence politique sur la réforme des retraites. Depuis le palais de l'Elysée, la Première ministre Elisabeth Borne a présenté, le 26 avril, la feuille de route gouvernementale des « Cent jours ». Au chapitre logement, la locataire de Matignon a annoncé la « mobilisation de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) pour racheter des logements neufs qui peinent à trouver des acquéreurs ». Aussitôt communiquée par l'exécutif, la nouvelle a mis en joie les promoteurs immobiliers qui peinent actuellement à écouler leur stock d'habitats du fait d'une crise inédite de la demande, elle-même due à l'inflation et à des taux d'intérêt très élevés.

Lire aussi« Cent jours » : Borne promet « une distribution plus juste des richesses produites par les entreprises »

17.000 logements neufs commandés

Les professionnels se souviennent en effet de l'appel à manifestation d'intérêt (AMI), lancé par CDC Habitat, en mars 2020 en plein confinement, pour acquérir 40.000 logements neufs. Dans le détail, 15.000 logements locatifs abordables neufs, 10.000 logements locatifs intermédiaires neufs et 15.000 logements sociaux neufs, aussi bien dans les zones tendues, c'est-à-dire là où la demande est supérieure à l'offre, que dans les 234 communes du plan de revitalisation « Action Cœur de ville ».

Chose promise chose due : près de trois ans après ce premier AMI, la crise économique est passée là. La filiale logement de la Caisse des Dépôts et Consignations vient de commander non pas 40.000, mais 17.000 logements neufs supplémentaires aux mêmes promoteurs immobiliers, dont 12.000 logements locatifs intermédiaires et 5.000 logements locatifs sociaux.

Par logements locatifs intermédiaires (LLI), il faut entendre des habitats réservés à des populations trop riches pour accéder au logement social et trop pauvres pour acquérir du logement sur le marché libre. Entre 2014 et mars 2022, plus de 73.000 LLI ont été produits, dont 17.192 rien qu'en 2021, principalement par CDC Habitat et In'li, la filiale d'Action Logement en Île-de-France.

« Aujourd'hui, le profil-type, c'est un ménage d'actifs de 38 ans avec un enfant, dont les ressources n'excèdent pas 3.000 euros à deux, qui ne reste pas plus de cinq ans, car s'inscrivant dans un parcours résidentiel », explique à La Tribune, Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat.

CDC Habitat saisit la balle au bond du président Macron

Dans une interview accordée à Challenges, le président Macron vient d'ailleurs évoquer le « besoin d'un double choc » en matière de logement. Le chef de l'Etat invite notamment à « regarder comment développer beaucoup plus de logements locatifs intermédiaires pour baisser les prix, parce que la crise du logement se situe là ».

La patronne de la filiale logement de la « Caisse » saisit la balle au bond. Anne-Sophie Grave conseille ainsi au gouvernement de ne plus limiter le logement locatif intermédiaire à l'immobilier neuf, mais de pouvoir aussi en faire dans les bâtiments existants.

« Entre la loi Climat qui interdit progressivement la location des passoires thermiques classées G, F et E et des investisseurs institutionnels qui peuvent détenir du résidentiel énergivore, il faut tout faire pour que ces logements ne sortent pas du marché, mais si besoin les racheter pour y faire des travaux de rénovation, » plaide-t-elle.

Lire aussiImmobilier: banquiers et ministres s'entendent pour éradiquer les passoires thermiques

La présidente du directoire de CDC ne s'arrête pas en si bon chemin. Elle recommande également de revoir le zonage du logement locatif intermédiaire (LLI). Aujourd'hui, le LLI est un habitat qui ne peut être déployé que dans les zones A, A Bis et B1. Autrement dit, dans toutes ces zones tendues, où l'offre est supérieure à la demande.

Sauf que la zone transfrontalière franco-luxembourgeoise, par exemple, n'est pas considérée comme telle, ni même les villes moyennes qui ont retrouvé de l'attractivité depuis la crise sanitaire et le programme de revitalisation « Action Cœur de Ville ». Aussi, Anne-Sophie Grave suggère d'en finir avec le zonage pendant deux ans à titre expérimental.

Un chèque de 3,5 milliards d'euros

CDC Habitat propose par ailleurs d'acquérir 5.000 logements sociaux. Avec les 12.000 logements locatifs intermédiaires, la facture monte à 3 milliards d'euros d'investissement pour la filiale logement de la Caisse des Dépôts et Consignations, auquel le groupe apporte un « appui » de 500 millions d'euros.

Sollicitées par La Tribune, ni l'Union sociale pour l'habitat (USH) qui représente les bailleurs sociaux, ni la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) qui porte la voix des professionnels du logement neuf, n'ont souhaité réagir à ces annonces. Sans doute attendent-elles avec impatience les conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement, initialement prévues le 9 mai, et reportées, pour l'instant, sine die. D'aucuns y voyant la main de Bercy dans les derniers arbitrages financiers...

Les promoteurs immobiliers et bailleurs sociaux s'impatientent...

D'ici là, les professionnels s'impatientent, à l'image de Yannick Borde, maire (Horizons) de Saint-Berthevin (Mayenne), président du réseau Procivis et vice-président de l'USH.

« Dans vos colonnes, Olivier Sichel [le directeur général de la Banque des territoires, directeur général délégué de la "Caisse", ndlr] indique qu'il n'y a pas de solution miracle face à la crise du logement. Certes, mais cela ne doit pas dédouaner les pouvoirs publics d'agir et d'agir avec force », commencer par asséner l'édile et professionnel.

Lire aussiCrise du logement : « Il n'existe pas de solution miracle » (Olivier Sichel, CDC-Banque des territoires)

Avant d'enfoncer le clou : « La crise du logement est profonde, elle est inédite dans son ampleur et dans sa nature. Aujourd'hui, tous les voyants sont au rouge : niveau de l'offre, crédit, coût de construction, prix, hausse des demandes en logement social, absence de mobilité, carence de financement de la rénovation, rien ne va plus ! »

C'est pourquoi Yannick Borde défend une fiscalité locale qui encourage les maires à construire, le prolongement du prêt à taux zéro (PTZ) au-delà de 2023 et pour tout le territoire, la décentralisation des politiques du logement - le gouvernement et les élus planchent sur ce sujet - et la fin du zonage, le plafonnement du Livret A à 3% - qui augmente mécaniquement les intérêts des bailleurs sociaux - , la mise en place d'un statut du bailleur privé ou encore la création d'une banque de la rénovation énergétique.

... applaudissent le « signal très positif »...

Pour son homologue Norbert Fanchon, PDG du groupe Gambetta, comme lui promoteur immobilier et bailleur social, l'annonce de CDC Habitat constitue « évidemment un signal très positif pour le secteur, surtout à une telle échelle ».

« La Caisse des Dépôts et Consignations a souvent eu un positionnement contracyclique, en se plaçant aux côtés des acteurs du marché dans des périodes caractérisées par des dérèglements exceptionnels », enchaîne-t-il.

« Dans la conjoncture actuelle, son intervention est encore plus nécessaire que par le passé : les investisseurs n'achètent plus par manque de confiance en l'avenir et les particuliers ne peuvent pas plus accéder à la propriété à cause de la hausse des taux », pointe encore Norbert Fanchon.

... mais demandent à n'oublier personne

D'autres acteurs encore, comme Demathieu Bard, saluent une « excellente initiative », mais appellent à ce que « cela profite à tout le secteur ». « Il faudrait que l'ensemble des promoteurs soit mis à contribution, y compris les acteurs de taille moyenne », prêche, pour sa propre paroisse, Philippe Jung, directeur général immobilier du groupe.

Lire aussiImmobilier : comment les promoteurs se démènent avec la « zéro artificialisation nette » (ZAN)

De son côté, la présidente du directoire de la filiale logement de la « Caisse » l'assure à La Tribune: « Nous en avons déjà discuté avec une quarantaine de promoteurs ». Reste à savoir lesquels et quelle sera la répartition géographique de ces 17.000 nouveaux logements neufs, intermédiaires et sociaux. De l'aveu même d'Anne-Sophie Grave, il est encore trop tôt pour le dire...

César Armand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 14/05/2023 à 8:22
Signaler
La CDC devrait mieux investir en soutenant la rénovation énergétique.

à écrit le 12/05/2023 à 15:59
Signaler
Merci d'entretenir la bulle immobilière au profit des promoteurs immobiliers( grassement rétribués et toujours prompts à faire gonfler la bulle ) et au détriment des primos accédants , des jeunes , et bien sur du contribuable . Que l'on nous ne pa...

à écrit le 12/05/2023 à 10:18
Signaler
On soutient gentiment pour que les porteurs d’obligations retrouvent leurs billes et repretent à nouveau…..les prix bradés pour les primos va falloir attendre……prix d’amis pour les bailleurs sociaux,pleins pots pour le quidam basic.As usual.

le 13/05/2023 à 12:52
Signaler
On ne prête qu'aux riches - ça se confirme une fois encore. Si les promoteurs immobiliers font des bénéfices, c'est pour eux. S'ils ont des dettes ou n'arrivent pas à écouler la camelote, c'est pour nous ! C'est beau l'entrepreneuriat sponsorisé sans...

à écrit le 12/05/2023 à 9:26
Signaler
Nationalisation des pertes et privatisation des profits ... Apres une belle campagne de relation publique les promoteurs ont reussit a faire cracher le contribuable, qui va leur racheter leurs appart invendable au prix du haut de la bulle immo et qui...

à écrit le 12/05/2023 à 9:26
Signaler
Nationalisation des pertes et privatisation des profits ... Apres une belle campagne de relation publique les promoteurs ont reussit a faire cracher le contribuable, qui va leur racheter leurs appart invendable au prix du haut de la bulle immo et qui...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.