C'était il y a deux ans. Malgré les premières alertes sur le coronavirus, se tenait le premier tour des élections municipales. Deux jours avant le premier confinement, les électeurs se rendaient aux urnes pour choisir leur maire. Figure politique préférée des Français, il est reconnu par ses administrés pour au moins deux compétences : la salubrité, la sécurité et la sûreté ainsi que la délivrance des permis de construire.
C'était le 15 mars 2020. En 2019, 387.400 logements collectifs et individuels avaient été mis en chantier sur l'ensemble du territoire, contre 399.500 en 2018 et 437.200 en 2017. Avec le Covid, le « choc d'offre » promis par le président Macron avec le slogan « construire plus, mieux et moins cher » s'est ensuite transformé en pénurie d'offre. En 2020, seuls 357.200 habitats ont commencé à s'élever. Ce n'est guère mieux en 2021 avec 386.700 logements.
Doit-on taxer les maires ?
Dès septembre 2020, le gouvernement a voulu inverser la tendance en fléchant près d'un milliard d'euros vers les maires bâtisseurs et le recyclage des friches dans le cadre de France Relance. Avant l'installation en juin 2021 d'une Commission nationale de relance de la construction présidée par le maire (PS) de Dijon François Rebsamen. Ce dernier a plaidé pour un mécanisme d'incitation/sanction des élus locaux avant de faire machine arrière.
Une hypothèse reprise par le directeur général de la Caisse des Dépôts Éric Lombard comme par l'économiste Robin Rivaton. Ces derniers sont favorables à des revenus supplémentaires pour les maires qui construisent et des taxes pour ceux qui ne le font pas. En revanche, tous deux considèrent que l'idée de donner le permis de construire aux préfets n'est pas une bonne piste. D'autant que l'Etat s'est gardé le levier de l'opération d'intérêt national (OIN) en ce sens.
« Leur jeter la pierre en disant que c'est leur faute, c'est trop facile. Les maires ne sont que les porte-voix de leurs administrés » déclare Robin Rivaton.
«L'acceptabilité des projets par les populations est devenue très compliquée. Ça met la pression sur le maire qui doit défendre ses orientations » appuie le directeur général délégué de Foncière des Régions, Olivier Estève.
Ou réserver des logements aux habitants ?
Le promoteur peut donc aider l'édile en allant convaincre, opération par opération, quartier par quartier, qu'il peut construire et densifier sans porter préjudice aux riverains. Pour faire sortir ses programmes de terre, la filiale immobilière de la Caisse des Dépôts a, par exemple, réservé aux habitants 10% de chacun de ses projets à prix maîtrisés. A Nanterre, « pas un seul recours sur ces opérations », assure le directeur général d'Icade, Olivier Wigniolle.
« A Belle-Ile-en-Mer, nous construisons 80 logements en lieu et place de l'ancien hôpital : des logements sociaux et des logements à prix préférentiel pour les habitants. C'est la preuve que nous pouvons réussir à refaire la ville sur la ville, avec des projets socialement et architecturalement acceptables pour ne pas dire valorisants, y compris sur des sites uniques et protégés », ajoute-t-il.
Là est le paradoxe auquel font face les maires : ils doivent garantir auprès de leurs habitants une unité et un équilibre architectural, environnemental et urbanistique, tout en logeant les nouveaux venus.
« Dans cette équation, nous devons nous positionner comme des facilitateurs en travaillant avec les collectivités en amont afin que les attentes soient anticipées et que les projets répondent aux exigences et aux contraintes des réalités locales », estime Alain Tayar, nouveau directeur général de NGE Bâtiment (ex-Cardinal Edifice)
La co-construction des projets neufs est-elle la clé ?
La co-construction, voilà la clé. A Saint-Germain-en-Laye, Ogic a installé une maquette physique avec un système de projection pour que les élus et toutes les parties prenantes présentent le calendrier, le placement des commerces ou encore les circulations. Outil pédagogique à la main de la commune, il permet aux conseillers municipaux et aux visiteurs de donner leurs invariants et le cas échéant d'amender le projet pour qu'il soit mieux reçu.
« Est-ce que cela fera moins de recours ? Je n'en sais rien », temporise toutefois Virginia Bernoux, la future présidente du directoire d'Ogic.
« Personne n'est foncièrement contre la construction mais personne n'a envie que ça se construise devant chez soi. Nous devons donc faire preuve de pédagogie et cela passe principalement par de la concertation. Il faut être présent le plus possible en amont des projets avec notamment les associations de quartiers, les riverains, les élus... c'est-à-dire tous ceux qui font le territoire », abonde Pierre Aoun, directeur général du groupe LP Promotion.
Toujours est-il que les maires sont élus sur une feuille de route et qu'ils s'attachent tout au long de leur mandat à mettre en œuvre leur politique, rappelle Patrice Pichet, PDG du groupe éponyme. Et ce, malgré les contraintes administratives, réglementaires et urbanistiques, en plus d'un empilement de compétences parfois externalisées.
« Les maires ne sont pas aussi maîtres que nous pouvons l'imaginer dans leur capacité à faire ou à ne pas faire, mais restent responsables », affirme Gabriel Franc, directeur général du groupe Franc Architectures.
Faut-il leur retirer le permis de construire ?
D'aucuns proposent ainsi de leur retirer le permis de construire. « Nous avons des témoignages de plans locaux d'urbanisme établis (PLU) et de permis de construire conformes déposés au PLU mais finalement rejetés car le maire veut non plus 4 étages mais 3 », relève Bruno Deletré, ancien directeur général du Crédit Foncier de France et auteur d'une note intitulée « Logement : rebâtir nos ambitions » pour l'Institut Montaigne.
« Il y a un décalage entre ce que prescrivent les plans locaux d'urbanisme et les autorisations concrètes. Le permis de construire est accordé par une autorité trop proche du terrain. L'intercommunalité est le bon niveau de proximité qui permet de se dégager de la pression électorale trop forte sur les maires », insiste-t-il.
« C'est un déni de démocratie que de les accabler et de les culpabiliser. Les élus sont responsables, conscients et essaient de faire au mieux dans l'intérêt collectif. Ils rendent possibles les projets et permettent d'avoir des projets tempérés et acceptés de la population rétorque Damien Vanoverschelde, directeur général de Hauts-de-Seine Habitat et président de l'association des bailleurs sociaux d'Ile-de-France (AORIF).
Depuis 2016, ce dernier fait en effet face à des intercommunalités qui instruisent déjà les permis d'aménager et de construire en plus des mairies mais qui ralentissent le pilotage de la fabrique de la ville : les établissements publics territoriaux qui composent la métropole du Grand Paris.
« Un ovni institutionnel avec une administration supplémentaire a été créé alors que les communes sont les services publics de proximité. Pire, les démarches se sont complexifiées, les procédures se sont rallongées. Nous sommes aujourd'hui incapables de partir d'un terrain ou d'une friche et d'en sortir une opération avant 3 ans », s'agace Damien Vanoverschelde.
A moins qu'il ne faille jeter la pierre à l'Etat...
Et si en réalité il fallait jeter la pierre... à l'Etat ? Au cours de ce quinquennat, la taxe d'habitation a été supprimée et remplacée par la taxe foncière, mais cette dernière ne concerne que les propriétaires. « L'enjeu est donc de leur redonner à la fois les moyens financiers de développer leur ville et les outils pour convaincre les habitants de l'utilité écologique et sociale des nouveaux projets », souligne Emmanuel Launiau, président de Quartus.
« Si nous voulons débloquer l'offre, il faut les y aider et lever les freins un par un. Se pose désormais la question du financement des crèches, des écoles, de la façon dont on génère des recettes fiscales... », abonde Jacques Erhmann, directeur général d'Altarea.
A défaut, l'Etat pourra toujours jouer un rôle d'accompagnateur. C'est la thèse de Nordine Hachemi, PDG de Kaufman & Broad, qui défend « un ministère qui serait plutôt un ministère de l'Aménagement du territoire plutôt que du Logement ».
« Ce ministère doit avoir une hauteur de vue et s'inscrire dans le temps long à l'échelle du pays. L'Etat doit reprendre ce rôle d'aménagement dans la durée et se poser des questions sur l'implantation des services et des activités. Une fois les besoins en logement identifiés, en fonction des évolutions sociologiques, il faut anticiper les aménagements nécessaires et nouer des contrats avec les régions et les collectivités », conclut-il.
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