Décarbonation : l’industrie souhaite doubler ses investissements d’ici à 2025, selon une étude

Consciente des conséquences du changement climatique, l’industrie met progressivement en place des mesures pour se décarboner et consommer moins d’énergie, selon une étude de la Banque de France. Les entreprises françaises interrogées souhaitent désormais consacrer 1,2% de leur chiffre d’affaires à la décarbonation d’ici à 2025, contre 0,6% aujourd’hui. Une motivation qui cache cependant de nombreuses incertitudes.
Maxime Heuze
Pour réduire leur consommation d'énergie, de nombreuses entreprises productrices de verre ont investi dans de nouveaux fours plus performants
Pour réduire leur consommation d'énergie, de nombreuses entreprises productrices de verre ont investi dans de nouveaux fours plus performants (Crédits : Benoit Tessier)

L'industrie fait face à un défi majeur pour son futur : atteindre la neutralité carbone en 2050. En 2020, ce secteur représentait 19% de la consommation finale d'énergie de la France, selon le ministère de la Transition énergétique et 18% des émissions de gaz à effet de serre, dont 75% provenant uniquement de la sidérurgie. Les enjeux sont donc colossaux pour le secteur et la planète, ce que les entreprises ont bien compris.

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Selon une enquête de la Banque de France sur la transition énergétique des entreprises industrielles françaises, menée en septembre et publiée le 28 juillet, 19% des entreprises du secteur manufacturier s'estiment très exposées aux risques climatiques de transition (sanctions judiciaires, contraintes réglementaires, risque réputationnel), 6% aux risques physiques (arrêt des activités, accidents, surcoûts).

La crise de l'énergie, un électrochoc

Dans les faits, la crise des prix de l'énergie a surtout fait prendre conscience à l'industrie de la nécessité de baisser sa consommation d'énergies carbonées. Pour rappel, le prix du mégawattheure (MWh) a franchi la barre des 1.000 euros en août dernier, contre environ 50 euros les années précédant l'invasion russe de l'Ukraine. Selon cette étude, 56% des entreprises interrogées désormais se disent très exposées aux risques de sécurité énergétique.

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« Pour certaines entreprises, cela a mis en danger leur modèle économique, car elles ont fait face à un véritable choc de coûts avec l'augmentation des coûts de l'énergie, couplée à ceux des matières et à la congestion de la chaîne logistique », affirme Alexandre Montay, délégué général du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti).

La facture énergétique des entreprises industrielles aurait augmenté de 68% en moyenne et même de 83% pour les grandes entreprises, entre septembre 2021 et septembre 2022, sachant que leur facture énergétique représentait 2,3% de leur chiffre d'affaires en moyenne en 2021, selon la Banque de France.

La chasse aux économies d'énergie

Pour se protéger d'une nouvelle crise de l'énergie ou d'effets néfastes du changement climatiques, 90% des entreprises industrielles ont d'ores et déjà mis en œuvre des mesures d'économies d'énergie en 2022 et 65% des mesures d'efficacité énergétique.

« Cela passe par des investissements dans les process industriels, les renouvellements d'appareils de chauffage, de nouveaux fours électriques pour les verriers, par exemple, mais aussi des investissements dans des panneaux solaires ou de la géothermie pour sécuriser une partie de leur approvisionnement en énergie », illustre le délégué général du Meti.

Ces lourds investissements ont déjà fait leur preuve. En effet, l'intensité énergétique finale, soit la consommation par point de PIB produit, dans l'industrie a baissé de 21% entre 2000 et 2021, selon le ministère de la Transition énergétique. En outre, l'intensité d'émission de gaz à effet de serre a diminué de 41% sur la même période.

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Les acteurs du secteur veulent maintenant aller beaucoup plus loin. Ils prévoient ainsi de doubler leur effort financier en faveur de la transition énergétique. Objectif, y consacrer 1,2% de leur chiffre d'affaires entre 2023-2025, contre 0,6% pour les trois années passées.

« Nous parlons de millions d'euros par entreprise de taille intermédiaire avec un retour sur investissements long, d'un horizon de dix, quinze ans », affirme Alexandre Montay.

Le verdissement des activités prend de l'ampleur donc, mais il reste loin d'atteindre les objectifs de 2050.

Des obstacles multiples

A l'heure actuelle, seules 40% des entreprises ont une stratégie de décarbonation de l'énergie dans leur production. Moins de 20% des petites et moyennes entreprises (PME) ont mis en place des mesures d'efficacité énergétique. De faibles chiffres, en partie attribués au coût de la transition, et aux difficultés des entreprises à dénicher des sources de financement.

« Il faut qu'elles aient les moyens d'autofinancer une partie de leurs investissements, mais aussi d'accéder au crédit en période de hausse des taux d'intérêt et de convaincre les fonds d'investissements de les financer sur un horizon dix, quinze ans, ce qui n'est pas dans l'habitude de ces derniers », pointe du doigt le délégué du Meti.

Les industriels interrogés mentionnent aussi des obstacles non-financiers. Ainsi, 47% des entreprises se sentent bloquées par l'évolution future du coût et de l'efficacité des technologies et 39% par l'absence d'alternatives technologiques leur permettant de décarboner leurs activités. Autrement dit, il leur est difficile d'investir dans des systèmes de production ou d'économie d'énergie, parfois coûteux, sans savoir s'il s'agit d'un bon choix.

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En outre, un tiers des entreprises mentionnent l'incertitude réglementaire comme obstacle, en particulier les grandes entreprises (42%, contre 26% des PME). Près d'un quart des PME (23%, contre 12% des grandes entreprises), elles, s'inquiètent de leur manque de compétences pour identifier et mettre en œuvre les investissements.

« Il y a un sujet majeur de connaissance des innovations dans la transition énergétique. La plateforme gouvernementale je-décarbone.fr permet déjà aux entreprises de trouver les technologies et les acteurs qui pourront les aider à transitionner, mais tout cela doit être amplifié pour mieux informer les industriels », conclut Alexandre Montay.

Reste à voir si le gouvernement acceptera de passer du temps et mettre de l'argent pour améliorer sa communication auprès des entreprises.

La publication de cette étude de la Banque de France intervient alors que l'Assemblée nationale a adopté fin juillet en première lecture le projet de loi sur l'industrie verte, qui entend permettre de réindustrialiser le pays tout en favorisant la transition écologique. Le gouvernement met notamment sur la table un raccourcissement des délais d'autorisations d'implantation, et de nouveaux outils pour attirer l'épargne privée.

Maxime Heuze

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