Les industriels craignent de manquer d'électricité : les demandes de raccordement électrique explosent

La multiplication des projets d'électrification de procédés industriels et ceux de production d'hydrogène propre, combinés à l'implantation à venir de nouvelles gigafactories conduisent à une explosion des demandes de raccordements au réseau de lignes à haute tension. La règle actuellement en vigueur du « premier arrivé, premier servi », risque d'occasionner de grands embouteillages. La publication d'un décret, très attendue par le gestionnaire du réseau électrique, devrait rebattre les cartes de cette nouvelle concurrence.
Juliette Raynal
La startup Carbon, qui entend ouvrir à Fos-sur-Mer une gigafactory de panneaux photovoltaïques en 2025, a fait une demande de raccordement électrique à RTE de 240 mégawatts.
La startup Carbon, qui entend ouvrir à Fos-sur-Mer une gigafactory de panneaux photovoltaïques en 2025, a fait une demande de raccordement électrique à RTE de 240 mégawatts. (Crédits : Carbon Solar)

Y aura-t-il des embouteillages pour les raccordements électriques réalisés par le gestionnaire du réseau des lignes à haute tension RTE ? C'est une inquiétude que partagent bon nombre d'industriels. Et pour cause : dans le cadre de la réindustrialisation verte de la France, la multiplication des programmes de décarbonation des sites industriels, via une forte électrification de certains procédés, et des projets de production d'hydrogène propre (250 ont été recensés par France Hydrogène en 2022), ainsi que l'implantation à venir de plusieurs gigafactories (batteries, panneaux solaires) ont provoqué une explosion des demandes de raccordements.

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« Nous assistons à un essor des demandes de raccordements. En 18 mois, le nombre de demandes a quasiment doublé par rapport aux 18 mois précédents », rapportait devant la presse, en juin dernier, Jean-Philippe Bonnet, directeur adjoint pôle stratégie, prospectives et évaluation de RTE.

Au-delà du boom du nombre de demandes, les nouvelles puissances requises, elles aussi, s'envolent. De quelques dizaines de mégawatts (MW) supplémentaires, les demandes sont passées à quelques centaines, voire quelques milliers de MW. « Une transformation profonde »selon les experts de RTERésultat, alors que la puissance actuelle appelée en France par l'industrie est d'environ 15 gigawatts (GW), les nouvelles demandes de raccordements porteraient cette puissance à environ 30 GW, soit un doublement également.

L'enjeu est de taille, sur l'ensemble des quatre grandes zones identifiées, RTE chiffre les investissements nécessaires à l'adaptation du réseau entre 1,5 et 2 milliards d'euros. Les industriels concernés devront investir un montant quasi équivalent.

Quatre zones en tension

RTE a identifié quatre grandes zones industrialo-portuaires (ZIP) en tension : Dunkerque (Nord), la vallée de la Seine, la vallée de la Chimie près de Lyon, ainsi que la zone de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). À Dunkerque, par exemple, le besoin de puissance de l'industrie est aujourd'hui de 1,6 GW, mais la demande pourrait atteindre 5 GW après 2030, voire près de 6 GW à l'horizon 2035-2036. C'est déjà le cas dans les Bouches-du-Rhône : « Aujourd'hui, rien que sur la zone de Fos-sur-Mer, nous avons 5 à 6 GW de demandes de raccordements, avec des échéances plus ou moins rapides », pointe, en effet, Rachid Otmani, directeur adjoint du pôle clients de RTE. Soit l'équivalent, peu ou prou, de cinq à six réacteurs nucléaires.

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La startup Carbon, par exemple, qui prévoit de mettre en service une méga-usine de panneaux photovoltaïques dès 2025 à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), a fait une demande de 240 mégawatts afin d'alimenter ses futures centaines de fours dédiés à la fabrication des lingots de silicium. « Un bel appel de puissance », reconnaît-on en interne, même s'il reste inférieur à d'autres projets, et notamment à celui du consortium industriel GravitHY, qui entend réduire le minerai de fer grâce à de l'hydrogène vert pour produire, à terme, pas moins de 2 millions de tonnes d'acier par an. Selon nos informations, sa demande d'appel de puissance dépasserait le gigawatt, soit la puissance d'une tranche nucléaire, pour une mise en service en 2027. « C'est la plus grosse demande de consommateur industriel à date », nous confirme-t-on chez RTE. De quoi susciter un certain scepticisme dans l'écosystème régional.

Au-delà des capacités demandées, le calendrier est extrêmement serré. Aujourd'hui, un raccordement prend entre six et huit ans pour un ouvrage en 400.000 volts, selon les estimations de RTE. Jusqu'à 70% de ce délai dépend des procédures administratives. Grâce à des simplifications prévues dans la loi d'accélération des énergies renouvelables, promulguée le 10 mars dernier, le gestionnaire espère gagner en moyenne 24 mois.

Premier arrivé, premier servi

Malgré ces perspectives, RTE redoute un engorgement en raison de la règle actuellement en vigueur : premier arrivé, premier servi. Principe qui a « probablement » poussé certains porteurs de projets dans l'hydrogène à « réserver » des appels de puissance très en amont de leur développement, concède Philippe Boucly, président de l'association France Hydrogène. « Pour réaliser un projet de production d'hydrogène, un porteur va vouloir s'assurer de disposer de trois éléments clés : d'abord le foncier, ensuite le raccordement électrique, puis la disponibilité en eau. Le raccordement électrique est une partie indispensable que tout le monde tente de sécuriser le plus rapidement possible », explique-t-il.

Pour éviter de tels embouteillages, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité plaide pour la publication d'un décret qui permettra aux préfets de prioriser les projets les plus matures et les plus efficaces en termes de réduction d'émissions de CO2. « Notre urgence aujourd'hui, c'est que le décret sorte d'ici la fin de l'été au plus tard, pour nous donner de la visibilité », indique Rachid Otmani. « Début 2024 au plus tard, il faudra que nous y voyions plus clair sur la feuille de route des raccordements électriques. Nous espérons être bien placés dans la liste d'attente », confie-t-on, d'ailleurs, chez Carbon dans le sud de la France.

Quelque 1.000 km plus au nord, les équipes d'ArcelorMittal Dunkerque, elles aussi, s'attellent, avec les différentes parties prenantes, à réduire les délais administratifs des raccordements en vue de l'électrification de leurs hauts fourneaux. « Les fortes demandes de raccordements sont perçues comme un potentiel frein au développement des projets de production d'hydrogène propre », rapporte, de son côté, Philippe Boucly.

Une érosion naturelle

Une partie des congestions redoutées pourrait aussi se dissoudre d'elle-même. « Tous les projets n'iront pas jusqu'au bout », anticipe-t-on du côté de RTE. « Il va y avoir une érosion naturelle des projets de production d'hydrogène, car il n'y a pas encore les clients à la hauteur des volumes envisagés par les producteurs », avance Rachid Otmani. Un avis que partage Philippe Boucly : « Tous les projets ne verront pas le jour (...). Nous militons pour le développement de projets intermédiaires. Les porteurs, même les plus solides, ne sont pas forcément prêts pour lancer directement des projets de 200 MW de production d'hydrogène. Pour rappel, actuellement dans le monde, seules trois installations dépassent les 10 MW ».

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Au-delà de l'inquiétude liée aux raccordements, une autre grande question taraude les industriels et acteurs de l'hydrogène : y aura-t-il suffisamment d'électrons pour tout le monde ? RTE a récemment revu ses projections de consommation d'électricité largement à la hausse. En 2035, elle pourrait être comprise entre 580 et 640 térawattheures (TWh), contre 420 TWh aujourd'hui. À cet horizon, l'industrie pourrait consommer, à elle seule, plus de 160 TWh par an, soit une augmentation de 40% par rapport à la consommation actuelle. Carbon, par exemple, anticipe une consommation annuelle de plus d'un térawattheure pour faire fonctionner ses centaines de fours 24h/24 et 7j/7.

RTE ne partagera qu'en septembre prochain ses analyses sur un éventuel risque de déséquilibre entre le développement des moyens de production électrique et le développement de la demande. Une chose est sûre, les nouveaux réacteurs nucléaires arriveront trop tard. Il faudra donc mettre les bouchées doubles sur les énergies renouvelables et optimiser la disponibilité du parc nucléaire existant.

Juliette Raynal

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Commentaires 16
à écrit le 13/07/2023 à 9:02
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quand les gens brancheront en plus leur voiture electrique en faisant chauffer le boiler a 19.00, ca sera comme en 2007 2012, ce qui etait obligatoire deviendra interdit ( et on deconnectera les gens a distance)

à écrit le 12/07/2023 à 9:57
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Plus on manque d'énergie, plus vous voulez en consommer mais, s'agit il vraiment d'en obtenir ou de nous imposer un mode de vie ? Car le grand principe, c'est d'en consommer moins et permettre l'adaptation !

à écrit le 12/07/2023 à 9:51
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Une politique énergétique cohérente peut et dois même ns'inspirer des expériences de pionniers proposant des solutions novatrices tout en faisant confiance aux capitaines de l'industrie. Ne pas oublier cependant que ces derniers, à la différence de ...

à écrit le 12/07/2023 à 8:52
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Il y a seulement quelques jours: "Sur le plan électrique, nous allons passer un hiver serein"🤣😂. Svp, arrêtez n'en jeter plus tellement ça devient Vaudevillesque sur tous les fronts, comme si le bon peuple avait une mémoire de poisson rouge.

le 12/07/2023 à 17:39
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Le bon peuple a vraiment une mémoire de poisson rouge ,sinon nous n'en serions pas où nous sommes , au fond du trou.🤣🤣🤣

à écrit le 11/07/2023 à 21:22
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J allais dire la m^me chose ! BIOMAN aurait pu aussi dire : si les ENR sont intermittentes la moitie du temps, en doublant les investissements, on supprimera l'intermittence ! Il doit en être capable !

à écrit le 11/07/2023 à 21:20
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J allais dire la m^me chose ! BIOMAN aurait pu aussi dire : si les ENR sont intermittentes la moitie du temps, en doublant les investissements, on supprimera l'intermittence ! Il doit en être capable !

à écrit le 11/07/2023 à 13:48
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Avec le nombre de "pedaleurs" dans la semoule, je suggère de remplacer la semoule par des alternateurs.😃

le 11/07/2023 à 18:59
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il faudrait les synchroniser, imaginez que certains pédalent à l'envers ! :-) Un pôve humain ne produit pas des énergies phénoménales, et il finit par se fatiguer, il faut faire des pauses, voire des nuits de repos, pas très performant comme générat...

à écrit le 11/07/2023 à 12:31
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Une future pagaille s'annonce pour cause de transition énergétique qui comme la pseudo réindustrialisation du pays sera un fiasco mémorable. C'est le prix à payer lorsqu'on est gouvernés par des Pieds Nickelés.

le 11/07/2023 à 19:06
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Réindustrialisation classique, ça pourrait se faire (aux restrictions d'artificialisation des sols près) mais décarboné, ça complique l'équation... Le scénario de l'Ademe pour dire qu'on peut ne fonctionner qu'avec des énergies renouvelables avait po...

à écrit le 11/07/2023 à 11:56
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Les enr sont intermittentes, donc "mettre les bouchées doubles sur les énergies renouvelables" ne servira à rien.

le 11/07/2023 à 16:33
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Toutes les énergies sont intermittentes. Est-il nécessaire de rappeler le taux de disponibilité du nucléaire en 2022 ??? L'essentiel est de faire reposer notre bouquet énergétique sur d'avantage de moyens de production décarbonés et les ENr en font p...

le 11/07/2023 à 19:20
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Visiblement Bioman n'a pas très bien compris ce que veut dire vraiment intermittente.

à écrit le 11/07/2023 à 10:16
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On va produire comment ? En fait, ils risquent d''être raccordés ...à rien....Ou peut-être à la centrale nucléaire dans le port de Marseille ? On y trouve déjà une sardine qui l'a bouché...

le 11/07/2023 à 21:22
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La centrale nucléaire du port de Marseille, c'est une décisiong de Macrong ....donc il faut pas en rire !

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