Trois jours avant la fin de la concertation publique sur la décarbonation du bâtiment, et les vifs débats sur la potentielle interdiction de ventes de chaudières à gaz dès 2026 qu'elle a engendrés, Engie réaffirme sa position : « Nous sommes pour les mesures d'incitation et pas d'interdiction », a soutenu devant la presse, ce mardi, Cécile Prévieu, sa directrice générale adjointe en charge des infrastructures. Un sujet ô combien sensible alors que 40% des Français, et même la moitié des occupants de maison individuelle, se chauffent actuellement au gaz, soit 12 millions de foyers équipés. L'énergéticien plaide, lui, pour un soutien aux systèmes de chauffage hybrides, couplant gaz et électricité.
Ainsi, alors que le gouvernement travaille sur une trajectoire impliquant le remplacement de 3 millions de chaudières à gaz entre 2022 et 2030 (soit environ 450.000 chaque année) par des pompes à chaleur électriques (PAC), réputées trois fois plus efficaces, l'énergéticien tricolore propose un tout autre scénario : remplacer ces vieilles chaudières par des chaudières 30% plus performantes (les fameuses THPE) ou par des solutions hybrides.
Coupler une chaudière à gaz à une petite PAC
Le plan poussé par Engie ne permettrait pas, toutefois, de diminuer de 20% la consommation de gaz dans les bâtiments à l'horizon 2030, qui est aujourd'hui la trajectoire visée par le gouvernement. « Dans notre scénario, nous sommes à un peu moins qu'une baisse de 20% », reconnaît Cécile Prévieu.
L'idée d'hybridation défendue par le groupe tricolore consiste à coupler une chaudière de type THPE à une petite PAC. Cette solution permet de produire de l'eau chaude toute l'année et de chauffer une large majorité du temps grâce à la PAC. Puis, de basculer automatiquement sur la chaudière à gaz pour chauffer lorsqu'il fait très froid et, en particulier, lors des pointes de consommation électrique, c'est-à-dire les matins et fins de journées d'hiver. Ainsi, « on ne sur-contraint pas le système électrique l'hiver » et cela permet « de maximiser le coefficient de performance des PAC électriques », qui sont moins efficaces lorsque les températures chutent sensiblement, explique la directrice générale adjointe.
Eviter un surcoût d'un milliard d'euros par an
Pour défendre cette alternative, Engie brandit un argument économique. Selon le groupe tricolore, la voie de l'hybridation permettrait de « diminuer le coût du système énergétique complet et donc d'apporter des économies » car le chauffage au tout électrique nécessiterait pour le passage de la pointe hivernale 20 gigawatts supplémentaires, soit l'équivalent de la puissance de 13 réacteurs de type EPR, mais aussi de développer de nouvelles infrastructures d'acheminement de l'électricité. Une étude réalisée par la société Artelys chiffre ainsi le surcoût lié à cette électrification à un milliard d'euros par an, rapporte Cécile Prévieu. Cette étude a toutefois été commandée par Coénove, une association constituée d'acteurs clés de la filière gaz dans le bâtiment, qui, eux aussi, ont tout intérêt au maintien de la molécule.
L'autre grand argument d'Engie repose sur le verdissement du gaz, grâce à la production de biogaz issue en grande partie des méthaniseurs. Alors que le biogaz ne représente aujourd'hui qu'un peu plus de 2% de la consommation totale de gaz en France, le groupe, comme le reste de la filière, assure qu'il pourra représenter 20% de la consommation totale de gaz à l'horizon 2030, puis 100% en 2050. A cette échéance, la consommation de gaz globale sera sensiblement moins importante, en raison de l'électrification des usages et des économies d'énergie.
Or, aujourd'hui, le gouvernement s'interroge sur les conflits d'usage de la biomasse qui peut être utilisée pour la production de biogaz pour les bâtiments et l'industrie mais aussi pour la production de biocarburants afin de décarboner la mobilité lourde. « Même avec des usages importants, on utiliserait que 60% du potentiel de la biomasse totale », se défend Cécile Prévieu, tout en reconnaissant que « tout le monde veut du gaz vert ».
Rendre l'hybridation éligible aux aides
L'hybridation vantée par Engie fait néanmoins fasse à un obstacle : son coût élevé pour les ménages. En effet, aujourd'hui, les ménages les plus modestes ne peuvent bénéficier d'aides conséquentes à l'achat de PAC (environ 10.000 euros) uniquement s'ils se débarrassent de leur chaudière à gaz existante. « Pour nous, l'hybridation devrait aussi être éligible aux aides », avance la directrice générale adjointe. Autrement dit, Engie demande au gouvernement que les foyers puissent bénéficier d'une aide à l'achat pour une PAC électrique, même s'ils conservent leur chaudière déjà installée.
Le groupe demande également le maintien du taux de TVA réduit pour l'achat d'une chaudière THPE (qui permettrait de réduire de 30% les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux chaudières classiques peu performantes), alors que sa suppression est envisagée « C'est le seul bonus qu'on souhaite maintenir pour le tout fossile », admet Cécile Prévieu.
Une TVA à taux réduit
Dernière demande : obtenir une TVA à taux réduit (de 5,5%) pour ses offres de fourniture de gaz composées de plus de 50% de gaz vert. « Une TVA à taux réduit permettrait de proposer une offre plus compétitive et une adhésion plus importante des consommateurs », estime Cécile Prévieu, alors que l'offre actuelle d'Engie, comprenant 20% de gaz verts, est commercialisée 3 euros supplémentaires par mois par rapport à une offre de fourniture de gaz classique. Des discussions sont actuellement en cours avec Bercy, « qui ne se montre pas fermé », assure Cécile Prévieu.
Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire, avait, par ailleurs, assuré lors des rencontres d'Aix-en-Provence, les 8 et 9 juillet derniers, être opposé à l'interdiction de la vente des chaudières. Le patron de Bercy souhaiterait privilégier les « incitations » pour convaincre les ménages de changer d'énergie.
La filière gazière bénéficie aussi du soutien de l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, qui se montre très critique sur l'objectif du gouvernement de remplacer plusieurs millions de chaudières à gaz par des PAC électriques. Ce serait « potentiellement très coûteux pour les consommateurs » et son bilan environnemental serait « incertain », a estimé, ce mardi, l'association.
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