Qui paiera la facture d'électricité des TPE ? Les dessous du bras de fer entre l'État et les fournisseurs

EXCLUSIF- Début janvier, pour sauver les 600.000 très petites entreprises (TPE) qui consomment beaucoup d'électricité, le gouvernement a garanti aux boulangers, restaurateurs et autres artisans, un tarif de l'électricité en 2023 à 280 euros par mégawattheure en moyenne. Alors que le « partage des coûts » de cette mesure était évoqué avec les fournisseurs, un projet de décret, que La Tribune a pu consulter, montre que l’État est prêt à payer l'essentiel de la facture. Mais des courriers envoyés aux fournisseurs mettent en lumière la manière dont le gouvernement tente de leur arracher un geste pour pouvoir afficher un partage de l’effort. Ultimatums, tractations... plongée dans les coulisses des discussions entre l’État et les fournisseurs d'électricité.
Marine Godelier

Derrière les promesses politiques se cache bien souvent une mise en œuvre complexe. Celle portant sur l'aide aux toutes petites entreprises (TPE) afin de réduire leurs factures d'électricité, annoncée il y a deux semaines par le gouvernement, ne déroge pas à la règle. Car entre le discours officiel et celui tenu en coulisses, la tonalité diffère.

Officiellement, c'est le « partage de l'effort » entre l'Etat et les fournisseurs d'énergie qui permettra de financer cette mesure, consistant à limiter les tarifs à 280 euros le mégawattheure (MWh) en 2023 pour les TPE. Officieusement pourtant, l'exécutif se montre prêt à payer l'essentiel de la facture, à condition d'arracher aux opérateurs des gestes commerciaux à la marge. Lesquels permettront de sauver la face, alors qu'Emmanuel Macron a vivement dénoncé début janvier les « profits excessifs » de certains d'entre eux, et les a sommés de renégocier immédiatement les contrats.

« Amortisseur électricité »

En effet, dans un projet de décret envoyé lundi soir aux fournisseurs, qu'a pu consulter La Tribune, le gouvernement propose d'intégrer la fameuse aide aux TPE à un dispositif déjà existant : l' « amortisseur électricité ». Or, en vertu du Projet de loi de finances (PLF) pour 2023, c'est l'Etat qui finance intégralement cet outil, et aucunement les fournisseurs. Ces derniers, s'ils devront avancer les frais correspondant à la prise en charge des factures par l'Etat,  seront donc « forcément compensés financièrement » puisque rien ne les oblige à assumer eux-mêmes les ristournes permises par l'amortisseur, expliquent plusieurs parties prenantes.

A une exception près : selon le texte provisoire, ce dispositif payé par le contribuable ne couvrirait « que » 90% de la consommation d'énergie « historique » des entreprises concernées, c'est-à-dire celle constatée ces cinq dernières années - une limite fixée là aussi par le PLF. Les fournisseurs pourraient donc devoir mettre la main à la poche afin de réduire le tarif des TPE pour les 10% restants. Reste que, dans le texte, aucune disposition ne les y oblige. A la place, l'exécutif leur pose un ultimatum. Dans un courrier envoyé aux fournisseurs (que La Tribune a également pu consulter), le ministère de la Transition écologique rappelle que le décret est conditionné « à leur engagement à partager la charge de manière volontaire », via des gestes commerciaux.

« Ils nous demandent de nous engager dès maintenant à refuser, au moins en partie, la compensation financière de l'Etat portant sur les 10% restants. Ils veulent une victoire politique », interprète un fournisseur ayant requis l'anonymat.

Une analyse réfutée par le ministère de l'Economie. « Différentes options sont sur la table. [...] La mise en œuvre du plafond de 280 euros le MWh pour les TPE va reposer sur plusieurs textes réglementaires, dont un probablement sur l'amortisseur [...] mais on ne peut pas déduire que la contrainte légale de ne pas dépasser 90% de la consommation historique via l'amortisseur correspondra forcément à la part que devra payer l'Etat », explique-t-on à Bercy.

L'Etat ne peut rien imposer

Une chose est sûre : les marges de négociation s'avèrent étroites pour l'exécutif. Et pour cause, il paraît difficile (sinon impossible) d'imposer, par décret, aux fournisseurs d'énergie de payer afin de garantir aux TPE des tarifs encadrés. « S'ils refusent tous de participer, l'exécutif ne pourra rien y faire », estime même une source proche du dossier.

« Aucune loi ne pourrait obliger les fournisseurs à revoir les prix conclus lors de la signature du contrat avec leur client, ou à en prendre une partie à leur charge. Dire l'inverse, c'est politique », abonde Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN).

D'autant que le gouvernement leur a demandé, en septembre dernier, de se couvrir sérieusement sur les marchés, malgré les prix affolants constatés à ce moment-là. Autrement dit, il leur a été vivement conseillé d'acheter en avance, et à prix fort, l'énergie dont auront besoin leurs clients durant toute la durée de leur offre. « On ne peut pas nous dire : couvrez-vous de manière responsable, même si cela coûte plus cher, et nous planter quand le marché se retourne ! », réagit un petit fournisseur ayant requis l'anonymat.

Les gros fournisseurs feront des ristournes

Il n'empêche que certaines entreprises ont d'ores et déjà annoncé publiquement qu'elles accorderont, de leur plein gré, des ristournes à leurs clients professionnels. Et notamment le géant TotalEnergies, lequel a communiqué début janvier sur sa « volonté » de « se mobiliser pour aider [les TPE] à faire face aux difficultés causées par cette crise énergétique sans précédent ».

De quoi accentuer la pression sur les plus petits fournisseurs. « Si ces derniers ne peuvent pas contribuer, même à la marge, car ils n'ont pas les reins aussi solides qu'un mastodonte de l'énergie, on va encore les pointer du doigt ! », regrette un fournisseur ne comptant pas de TPE parmi ses clients, mais « solidaire » de ses confrères « en difficulté ».

Reste à voir si son ultimatum permettra au gouvernement d'obtenir assez de retours positifs de la part des fournisseurs, afin de communiquer sur les gestes commerciaux auxquels ils auront consenti. Et s'il maintiendra, par là même, son projet de décret.

Marine Godelier

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Commentaires 23
à écrit le 19/01/2023 à 12:38
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L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité en Europe (et notamment sa déclinaison en France) est un fiasco. On attendait des "fournisseurs" qu'ils réalisent des profits à réinvestir dans le déploiement des énergies renouvelables; On s'es...

à écrit le 19/01/2023 à 12:07
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Qu'on dise que "le conseil d’État est toujours suivi" est amusant. Le contraire est plus sûrement rencontré: "le conseil d’État entérine toujours les choix de l’État". Il suffit de voir qui sont les conseillers d’État et qui organise leur carrière. ...

à écrit le 19/01/2023 à 12:04
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Qu'on dise que "le conseil d’État est toujours suivi" est amusant. Le contraire est plus sûrement rencontré: "le conseil d’État entérine toujours les choix de l’État". Il suffit de voir qui sont les conseillers d’État et qui organise leur carrière. ...

à écrit le 18/01/2023 à 19:26
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Bonjour, Comme toujours s'est le peuple qui travail qui vas payer les aides au TPE... Pour faire plus précis, les français qui travail et qui regle l'impôt... Même si le prix du pain a augmenté de 1 euros la baguette a 1 euros 15 ... Bien sur ...

à écrit le 18/01/2023 à 17:53
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Sauver ou les achever pour coller au plan de destruction de 40 % des PME envisagé par schwab, l' ensemble au seul service du great reset des mondialistes? F Asselineau ce jour "LE MOZART DE LA FINANCE A ENCORE FRAPPÉ : rembou...

le 18/01/2023 à 18:25
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Et pour ceux qui oublient systématiquement de raccorder les tuyaux, j' entends là de travailler la causalité, il est où today mon bruno le petit robot du gvt de la province France? A davos..

à écrit le 18/01/2023 à 17:20
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le peuple qui paie !! les industries qui trinque et coule .les actionnaire qui s' enrichissent !!

à écrit le 18/01/2023 à 16:58
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Commencez par réformer le système fiscal français totalement obsolète qui fait la part belle au très très grande fortune comme aux multinationales cotées. Réduisez drastiquement les niches fiscales et vous allez en trouver des recettes, au lieu de po...

à écrit le 18/01/2023 à 16:49
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Allez demander une participation au groupe LVMH, il a déjà profité des aides gouvernementales avec la Covid 19 qui lui ont permis de réaliser un beau rebond en bourse.

à écrit le 18/01/2023 à 11:21
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Que tous ceux qui ont voulu et voté la libéralisation du marché de l'électricité payent !!!! Le peuple en a marre de souffrir des décisions de l'oligarchie.

le 18/01/2023 à 14:21
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" Le peuple en a marre " Qui est le peuple ? La libéralisation c'est une chose, les règles débile de l'UE et plus particulièrement de la Commission Européenne c'est autre chose !

à écrit le 18/01/2023 à 10:35
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Le problème vient de ses fournisseurs d’énergie qui ne produisent rien. Ces fournisseurs d’énergie ont acheté sur les marchés au prix fort et répercutent les prix sur les TPE à 400, voire 500 euros le MWh auxquels avaient dû se résoudre à souscrire u...

à écrit le 18/01/2023 à 10:31
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La France n'est plus en mesure d'assurer son autonomie électrique principalement en raison de la vétusté de son parc nucléaire donc il faut importer de l'électricité et au prix du marché comme pour n'importe quelle matière première. Les TPE n'ont qu...

le 18/01/2023 à 10:55
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Moins de consommation et de gaspi.. c a s appelle la sobriété…c est pas la privation pour autant … juste un mode de fonctionnement différent …ce système économique basé sur l’hyper- conso est dépassé faut s y adapter génération baby-boomers compris…...

le 18/01/2023 à 11:00
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Vétusté du parc nucléaire découlant du court- termisme et manque d anticipation des gouvernements de droite comme de gauche depuis 30 ans… n est ce pas Mr Ciotti ,mme Pecresse …Mr Sarkozy où sont passées les sommes mises de côté pour les maintenance...

le 18/01/2023 à 11:31
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Vous vous trompez .Le parc nucléaire n'est pas tout simplement était entretenu du temps de Hollande , Macron et consorts sur l'idée pourquoi entretenir puisque l'on va fermer.he oui pour collecter les vôtres écolos bobos notre président actuel avait ...

le 18/01/2023 à 14:05
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Entre 2005 et 2015, EDF a versé à l’État actionnaire plus de 20 milliards d’euros de dividendes. Ne cherchez pas où est passé le financement de la maintenance nucléaire.

le 18/01/2023 à 20:23
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@vetuste En parlant de Ciotti : Depuis plus de 18 ans, la mère d’Éric Ciotti occupe une place dans un hôpital de la vallée de la Vésubie pourtant réservé à des soins de courte durée. Conséquence : la prise en charge est entièrement assumée par...

le 19/01/2023 à 11:47
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...sans doute. A la réserve près que c'est une caractéristique fondamentale du capitalisme que de reposer sur la consommation et le gaspillage (le gaspillage étant d'ailleurs lui-même payé par les consommateurs). Quant à la sobriété - qui ne serait p...

le 19/01/2023 à 12:06
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...sans doute. A la réserve près que c'est une caractéristique fondamentale du capitalisme que de reposer sur la consommation et le gaspillage (le gaspillage étant d'ailleurs lui-même payé par les consommateurs). Quant à la sobriété - qui ne serait p...

le 19/01/2023 à 13:20
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sans doute, ...mais en français, cela signifie quoi au juste?

à écrit le 18/01/2023 à 10:28
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La réponse me paraît évidente, elle se trouve à la bourse de l'énergie ! Taxons les bénéfices pantagrueliques engrangés par ceux qui ne produisent rien et prennent impunément et gratuitement la totalité des richesses.

à écrit le 18/01/2023 à 10:02
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Voilà ce qui se passe quand on laisse des fanatiques du sacro saint "marché" aux commandes. Et c'est valable pour tous les autres fanatiques de diverses religions/sectes

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