Derrière les promesses politiques se cache bien souvent une mise en œuvre complexe. Celle portant sur l'aide aux toutes petites entreprises (TPE) afin de réduire leurs factures d'électricité, annoncée il y a deux semaines par le gouvernement, ne déroge pas à la règle. Car entre le discours officiel et celui tenu en coulisses, la tonalité diffère.
Officiellement, c'est le « partage de l'effort » entre l'Etat et les fournisseurs d'énergie qui permettra de financer cette mesure, consistant à limiter les tarifs à 280 euros le mégawattheure (MWh) en 2023 pour les TPE. Officieusement pourtant, l'exécutif se montre prêt à payer l'essentiel de la facture, à condition d'arracher aux opérateurs des gestes commerciaux à la marge. Lesquels permettront de sauver la face, alors qu'Emmanuel Macron a vivement dénoncé début janvier les « profits excessifs » de certains d'entre eux, et les a sommés de renégocier immédiatement les contrats.
« Amortisseur électricité »
En effet, dans un projet de décret envoyé lundi soir aux fournisseurs, qu'a pu consulter La Tribune, le gouvernement propose d'intégrer la fameuse aide aux TPE à un dispositif déjà existant : l' « amortisseur électricité ». Or, en vertu du Projet de loi de finances (PLF) pour 2023, c'est l'Etat qui finance intégralement cet outil, et aucunement les fournisseurs. Ces derniers, s'ils devront avancer les frais correspondant à la prise en charge des factures par l'Etat, seront donc « forcément compensés financièrement » puisque rien ne les oblige à assumer eux-mêmes les ristournes permises par l'amortisseur, expliquent plusieurs parties prenantes.
A une exception près : selon le texte provisoire, ce dispositif payé par le contribuable ne couvrirait « que » 90% de la consommation d'énergie « historique » des entreprises concernées, c'est-à-dire celle constatée ces cinq dernières années - une limite fixée là aussi par le PLF. Les fournisseurs pourraient donc devoir mettre la main à la poche afin de réduire le tarif des TPE pour les 10% restants. Reste que, dans le texte, aucune disposition ne les y oblige. A la place, l'exécutif leur pose un ultimatum. Dans un courrier envoyé aux fournisseurs (que La Tribune a également pu consulter), le ministère de la Transition écologique rappelle que le décret est conditionné « à leur engagement à partager la charge de manière volontaire », via des gestes commerciaux.
« Ils nous demandent de nous engager dès maintenant à refuser, au moins en partie, la compensation financière de l'Etat portant sur les 10% restants. Ils veulent une victoire politique », interprète un fournisseur ayant requis l'anonymat.
Une analyse réfutée par le ministère de l'Economie. « Différentes options sont sur la table. [...] La mise en œuvre du plafond de 280 euros le MWh pour les TPE va reposer sur plusieurs textes réglementaires, dont un probablement sur l'amortisseur [...] mais on ne peut pas déduire que la contrainte légale de ne pas dépasser 90% de la consommation historique via l'amortisseur correspondra forcément à la part que devra payer l'Etat », explique-t-on à Bercy.
L'Etat ne peut rien imposer
Une chose est sûre : les marges de négociation s'avèrent étroites pour l'exécutif. Et pour cause, il paraît difficile (sinon impossible) d'imposer, par décret, aux fournisseurs d'énergie de payer afin de garantir aux TPE des tarifs encadrés. « S'ils refusent tous de participer, l'exécutif ne pourra rien y faire », estime même une source proche du dossier.
« Aucune loi ne pourrait obliger les fournisseurs à revoir les prix conclus lors de la signature du contrat avec leur client, ou à en prendre une partie à leur charge. Dire l'inverse, c'est politique », abonde Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN).
D'autant que le gouvernement leur a demandé, en septembre dernier, de se couvrir sérieusement sur les marchés, malgré les prix affolants constatés à ce moment-là. Autrement dit, il leur a été vivement conseillé d'acheter en avance, et à prix fort, l'énergie dont auront besoin leurs clients durant toute la durée de leur offre. « On ne peut pas nous dire : couvrez-vous de manière responsable, même si cela coûte plus cher, et nous planter quand le marché se retourne ! », réagit un petit fournisseur ayant requis l'anonymat.
Les gros fournisseurs feront des ristournes
Il n'empêche que certaines entreprises ont d'ores et déjà annoncé publiquement qu'elles accorderont, de leur plein gré, des ristournes à leurs clients professionnels. Et notamment le géant TotalEnergies, lequel a communiqué début janvier sur sa « volonté » de « se mobiliser pour aider [les TPE] à faire face aux difficultés causées par cette crise énergétique sans précédent ».
De quoi accentuer la pression sur les plus petits fournisseurs. « Si ces derniers ne peuvent pas contribuer, même à la marge, car ils n'ont pas les reins aussi solides qu'un mastodonte de l'énergie, on va encore les pointer du doigt ! », regrette un fournisseur ne comptant pas de TPE parmi ses clients, mais « solidaire » de ses confrères « en difficulté ».
Reste à voir si son ultimatum permettra au gouvernement d'obtenir assez de retours positifs de la part des fournisseurs, afin de communiquer sur les gestes commerciaux auxquels ils auront consenti. Et s'il maintiendra, par là même, son projet de décret.
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