C'est un nouvel événement qui pourrait tendre un peu plus encore la situation sur le marché de l'énergie, déjà frappé par une crise sans précédent. Car l'offre d'électricité promet de se rétracter dans les prochains jours, tandis que la demande, elle, va bondir à l'approche de l'hiver. De quoi faire grimper les prix en flèche, même si ceux-ci atteignent déjà des niveaux historiques. Et peut-être même menacer la sécurité d'approvisionnement de l'Hexagone, pourtant longtemps exportateur net du fait d'une surcapacité de production.
Et pour cause, EDF a annoncé mercredi soir l'arrêt provisoire de deux centrales nucléaires, celles de Chooz, dans les Ardennes, et celle de Civaux (Vienne), à cause d'un défaut de soudure identifié dans cette dernière dans le circuit de refroidissement.
« Lors de la visite décennale du réacteur Civaux 1, nous avons détecté une fine fissuration du métal à proximité des tuyauteries du circuit d'injection de sécurité. Alors que le même défaut a été repéré à Civaux 2, nous avons décidé de fermer tous les réacteurs de même génération et puissance [la plus récente, et de 1.450 MW, Ndlr], soit deux autres qui se trouvent à Chooz », explique-t-on chez l'électricien.
Si l'opération reste « préventive » et que, selon l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), la décision s'avère « satisfaisante du point de vue de la sûreté », il n'empêche que près de 4,5 GW sur les 61 GW de capacité nucléaire installée(*) en France seront ainsi coupées du réseau jusqu'à la fin de l'année. Ce qui entraînera une perte « d'environ 1 TWh » sur cette période, selon EDF. Pour rappel, le pays dépend à environ 70% de l'atome pour produire son électricité.
Faiblesse de la production nucléaire
L'événement est d'autant plus significatif qu'il intervient alors qu'une vague de contrôles s'abat sur le parc installé, après de nombreux reports des inspections du fait de la crise sanitaire l'année dernière.
« Le Covid a désorganisé le rythme normal des maintenances, qui se multiplient en ce moment », confirme-t-on chez EDF.
Par conséquent, 30% des 56 réacteurs français ne se trouvaient en fait pas en service en novembre, réduisant la capacité nucléaire appelée à seulement 45 GW. Et cela risque d'empirer : des actions de contrôle « pourraient s'avérer nécessaires » sur les autres réacteurs en exploitation (celles-ci durant en moyenne trois ou quatre mois), a affirmé l'IRSN ce jeudi.
Résultat : la situation risque d'être « très tendue » pendant l'hiver, « notamment si les températures s'avèrent plus basses que les normales de saison », explique à La Tribune Nicolas Goldberg, consultant "Energie" à Colombus Consulting. En effet, alors que le froid s'accompagne toujours d'une hausse de la consommation d'électricité, les capacités risqueraient bien de ne pas suffire. En réaction, le ministère de la Transition écologique, qui doit recevoir en fin de semaine le PDG d'EDF, a néanmoins assuré jeudi « veiller en permanence à ce que toutes les dispositions soient prises pour assurer la sécurité d'approvisionnement » et « suivre régulièrement l'évolution de la disponibilité du parc électrique français ».
Manque de vent, en Allemagne aussi
Reste que le mouvement se couple à d'autres phénomènes qui l'aggravent, menaçant la capacité d'approvisionnement électrique du pays, explique Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden). Entre autres conjoncturels, puisque les sources d'énergies renouvelables ont, elles aussi, fourni moins d'électricité que prévu cette année.
« Sur 17.000 MW de capacités éoliennes installées en France, seulement 3.000 MW fonctionnent en ce moment car il n'y a pas assez de vent. Et l'hydraulique n'est pas très bonne non plus : les barrages sont peu remplis à cause de la météo », fait valoir l'économiste.
Un revers qui n'a pas touché que la France : en Allemagne, la part du renouvelable dans la consommation d'énergie a chuté en 2021 (une première depuis 1997) notamment à cause du manque de vent, malgré les fortes ambitions du pays en matière d'éolien. Résultat : « Il a fallu se fournir dans des centrales à gaz pour compenser, mais celles-ci sont actuellement extrêmement chères », précise François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE). Ce qui tire encore les prix de gros vers le haut. Dans cette même logique, « puisqu'elle va encore affecter les capacités disponibles, la fermeture des centrales de Chooz et de Civaux va forcément influencer le prix de l'électricité », note le chercheur. « Mais il est impossible de savoir à quel point, car cela dépend d'une variable difficile à prévoir longtemps à l'avance : la météo », ajoute-t-il.
De moins en moins de capacités pilotables
Surtout, la dynamique est aussi structurelle, alerte Jacques Percebois. « Ces dernières années, l'Europe a fermé énormément de centrales pilotables, que ce soit du nucléaire, mais aussi du charbon, du gaz ou de l'hydraulique, sans toujours les remplacer », explique-t-il. Par conséquent, alors qu'elle se trouvait auparavant en surcapacité électrique, sa marge est désormais extrêmement réduite. « Et c'est forcément dangereux en période de pointe », prévient le spécialiste.
« C'est déjà arrivé plusieurs fois que des réacteurs se trouvent en maintenance en hiver. Mais alors que beaucoup de centrales ont fermé, essentiellement charbon et fioul, l'Europe se trouve dans un entre-deux. C'est certes une excellente chose pour le climat, mais on attend désormais plus d'interconnexion, la mise en service de moyens de production, dont l'EPR de Flamanville, et la fin du pic de visites décennales, afin d'être plus serein », abonde Nicolas Goldberg.
De nombreux leviers qui réduisent le risque de black-out
Néanmoins, cela ne signifie pas que la France risque de subir un « black-out » cet hiver, rassure le consultant. « Plusieurs leviers immédiats existent pour l'éviter, en plus de l'importation d'électricité, qui devient récurrente. Notamment le fait de couper temporairement le courant à certains industriels, qu'on rémunère en échange. Ou alors, même si ça ne s'est encore jamais produit, diminuer la tension sur le réseau. Autrement dit, recevoir 215 volts plutôt que 220 chez soi », détaille-t-il.
Et si la situation devient vraiment critique, l'État pourrait même avoir recours à des coupures tournantes, c'est-à-dire couper l'électricité dans différentes régions à des horaires alternés au cours de la journée. « Je ne pense pas que ce soit le plus probable, mais c'est possible », estime Nicolas Goldberg.
Surtout, ajoute le consultant, la situation appelle une action forte sur le long terme. Notamment sur l'isolation des bâtiments, alors qu'une bonne partie de ces derniers restent des passoires thermiques, entraînant un gaspillage énergétique en hiver. Mais aussi, ajoute Jacques Percebois, sur la « nécessité d'investir massivement dans de nouvelles capacités pilotables » pour faire face à l'électrification des usages. Un constat qui interroge sur leur financement concret, alors qu'Emmanuel Macron a récemment annoncé son intention de construire de nouveaux réacteurs nucléaires en France.
Spectaculaire plongeon d'EDF à la Bourse, la cotation suspendue
Malgré la validation par l'IRSN, le bras technique de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), des opérations de contrôle engagées par EDF, et malgré des propos rassurants quant au risque réduit de survenue d'un black-out cet hiver, EDF annonçait qu'il produirait moins d'électricité ce qui le contraignait à revoir sa rentabilité sur l'année.
Aussitôt, les investisseurs sanctionnaient lourdement le titre tout au long de la journée d'hier, jusqu'à -16% au point que la Bourse de Paris déclenchait en urgence la suspension de la cotation du titre. Le spectaculaire plongeon s'est ainsi arrêté à un plus-bas de -15,46% à 10,04 euros.
En parallèle, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili assurait ce jeudi "veiller en permanence à ce que toutes les dispositions soient prises pour assurer la sécurité d'approvisionnement" et suivre "régulièrement l'évolution de la disponibilité du parc électrique français".
Ce faisant, son ministère indiquait que, ce vendredi matin, elle recevrait le PDG d'EDF Jean-Bernard Levy, "pour une réunion consacrée à la disponibilité du parc nucléaire français et à la sécurité d'approvisionnement cet hiver".
Pour rappel, fin novembre, la ministre de l'Industrie Agnès Pannier-Runacher, qui s'était émue que 30% du parc nucléaire français soit à l'arrêt, avait suggéré de "relever notre niveau d'exigence pour la disponibilité du parc", estimant que "nous pouvons collectivement faire mieux".
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NOTE
(*) Le parc nucléaire de la France, qui compte 56 réacteurs nucléaires en fonctionnement répartis sur 18 sites (centrales), est le numéro deux mondial avec une capacité installée de plus de 61 GW produisant quelque 380 TWh d'électricité d'origine nucléaire (sur un total de 538 TWh si l'on ajoute toutes les autres sources thermiques et renouvelables). Les États-Unis sont numéro un avec une puissance cumulée de 98,7 GW fournie par 99 réacteurs. Pour mémoire, un réacteur de 900 MW produit en moyenne chaque mois 500 000 MWh, ce qui correspond à la consommation de 400 000 foyers environ. (Source: EDF et Connaissance des énergies)
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