Hinda Gharbi, une patronne polyvalente pour assurer l’avenir de Bureau Veritas

Venue de Schlumberger, où elle a fait toute sa carrière jusqu'aux plus hautes fonctions depuis sa sortie de l'école d'ingénieurs de Grenoble, Hinda Gharbi a pris officiellement jeudi les rênes du leader mondial de la certification Bureau Veritas. Succédant à Didier Michaud-Daniel, elle va devoir poursuivre le développement international d'un groupe valorisé à plus de 11 milliards d'euros en Bourse et qui est déjà bien positionné sur la transition énergétique, les critères ESG et le développement de la digitalisation. Ayant la double nationalité, tunisienne et australienne, elle va pouvoir compter sur sa connaissance et son expérience du monde globalisé qui aujourd'hui se polarise entre l'Asie, l'Amérique et l'Europe pour relever ce nouveau défi.
Robert Jules
(Crédits : Thomas Laisné / La Compagne)

Jeudi, une nouvelle page s'est tournée dans la longue histoire de Bureau Veritas, entreprise française créée en 1848. Après 12 ans passés à sa tête, Didier Michaud-Daniel (lire encadré ci-dessous) a transmis la direction générale de l'entreprise à Hinda Gharbi, venue de chez Schlumberger, aujourd'hui devenu SLB. Dans le même temps,  Laurent Mignon remplace Aldo Cardoso à la présidence du conseil d'administration.

Coté en Bourse, Bureau Veritas reste peu connu du grand public malgré son rang de leader mondial du secteur du TIC (Testing, Inspection and Certification)Son activité consiste en effet à tester, inspecter, auditer et certifier pratiquement tout ce qui est produit, des infrastructures aux services, en passant par le transport - l'activité maritime fut son métier initial -, le bâtiment, l'agroalimentaire, les matières premières, le secteur manufacturier et les biens de consommation courante. Implantée dans 140 pays, l'entreprise dispose d'un réseau de 1.500 agences et laboratoires et emploie plus de 80.000 personnes.

C'est d'ailleurs en allant sur le terrain qu'Hinda Gharbi s'est familiarisée avec la culture de l'entreprise. « Pendant huit mois, je suis allée à la rencontre des équipes dans une quinzaine de pays, j'ai découvert un véritable attachement à la mission de l'entreprise, celle de construire un monde de confiance en assurant un progrès responsable », confie-t-elle.

« Il faut faire ce qu'on prêche »

Pour assurer son rôle de tiers de confiance, Bureau Veritas respecte des « absolus » : sécurité, contrôle financier et éthique. « C'est important pour nous d'avoir un système organisé autour de ces piliers, surtout quand il s'agit d'éthique. En tant que tiers de confiance, notre mission est d'être exemplaire », souligne-t-elle. « Il faut absolument faire ce qu'on prêche. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Bureau Veritas les appelle des absolus. Il ne peut pas y avoir d'ambiguïtés sur ces sujets-là. C'est intemporel, en raison du risque de réputation », philosophe-t-elle.

D'autant que l'entreprise s'appuie sur une large décentralisation. « On a une très grande agilité sur le terrain, où les managers prennent des décisions. Dans un monde intégré, où tout va vite, et où les défis sont permanents, il est important de ne pas perdre cette agilité car cela favorise l'innovation et renforce la relation avec les clients », souligne-t-elle.

Pour les entreprises, un tel contrôle assure à leurs clients et aux consommateurs que ce qu'ils achètent est bien conforme à ce qui est affirmé. Mais pour mener de telles missions, « il faut être proche du client et des autorités locales car la conformité s'articule autant sur une dimension nationale que globale », constate-t-elle.

Cette diversité géographique lorsqu'on est un leader mondial est un atout que Hinda Gharbi connaît bien. Embauchée dès sa sortie de l'INP, l'école d'ingénieurs de Grenoble, par Schlumberger, elle va gravir les échelons en occupant de nombreux postes dans les diverses activités du groupe mondial de services para-pétroliers jusqu'en 2021 : de la gestion des plateformes pétrolières au Nigeria, dans le golfe du Mexique et en mer du Nord, jusqu'à la tête de Wireline, fleuron technologique de Schlumberger, où elle développe les solutions digitales, en passant par six années passées en Asie, une première fois à Bangkok et une deuxième à Kuala Lumpur.

« Durant trois ans, j'ai géré toute l'activité de Schlumberger dans la région, de la Chine à la Nouvelle-Zélande. C'était l'époque du boom des infrastructures du GNL (gaz naturel liquéfié) en Chine, en Australie et en Asie du Sud-Est. En tout, j'ai passé 6 ans en Asie », se souvient-elle.

Expérience polyvalente

Elle a aussi connu les affres des restructurations de l'entreprise et de sa résilience, après la crise financière de 2008, l'effondrement des cours du pétrole (2014-2016) et la pandémie du Covid-19. Lors de la réorganisation de Schlumberger, elle se voit confier la gestion d'un portefeuille d'activités élargi : gisements, activités technologiques, digitales, sismiques.

« Je me suis occupée de l'activité digitale mais aussi celle de grande fabrication, manufacturière, notamment les plateformes. Et puis avec la pandémie du Covid, Schlumberger a réorganisé ses activités et j'en ai pris la tête », énumère-t-elle.

Une expérience polyvalente acquise au plus haut niveau de la direction de l'entreprise qui intéresse Bureau Veritas.

Alors que l'industrie pétrolière est sommée de réduire ses activités en raison des fortes émissions de gaz à effet de serre que dégagent les énergies fossiles, l'ingénieure formée à Grenoble s'intéresse de plus en en plus aux industries d'énergies nouvelles, qui sont en plein boom avec la nécessité de décarboner l'industrie. Or, depuis la sortie de la pandémie du Covid-19, Bureau Veritas a lancé sa stratégie de la « ligne verte » qui s'inscrit dans le changement de paradigme qu'est la transition énergétique. « Bureau Veritas est bien positionné sur les enjeux cruciaux d'aujourd'hui», constate-t-elle, avec une approche où le développement de solutions pour accompagner le client se substitue au développement technologique tel qu'il était fait chez Schlumberger.

Durant ces 8 premiers mois passés sur le terrain, elle a d'ailleurs vu « comment nos collègues réfléchissent à ce qu'ils font, à notre mission, comment ils interagissent avec leurs clients, comment ils comprennent les grandes tendances ».

Ces tendances, elle les résume à quatre. Il y a évidemment la transition énergétique, qui vise à substituer une électricité « verte » aux énergies fossiles. « C'est un grand changement car elle touche toutes les entreprises et pas seulement les énergéticiens, ce qui nécessite d'innover », explique l'experte de l'industrie des hydrocarbures. « Il faut imaginer de nouvelles méthodes pour transformer des pans entiers industriels pour décarboner l'économie mondiale ». Or Bureau Veritas a énormément investi ces dernières années pour se positionner sur ces nouvelles énergies, des renouvelables à la nouvelle génération du nucléaire en passant par l'hydrogène.

« L'ESG est un impératif incontournable »

La deuxième tendance est celle des critères ESG (Environnementaux, sociaux et de gouvernance). « Ce n'est plus une option, c'est un impératif incontournable pour nos clients quelle que soit la taille de l'entreprise et le pays même si les réglementations ne sont pas homogènes entre elles », affirme-t-elle. Aujourd'hui, il ne s'agit plus seulement pour une entreprise de se mettre en conformité pour rester dans la compétition, elle doit aussi prendre en compte la gestion d'autres risques, notamment celui de sa réputation. « Les clients demandent comment ils vont devoir changer leur processus de production, car ils doivent décarboner leurs activités pour devenir acteur du développement durable », pointe-t-elle. Plus qu'un projet, c'est une transformation complète qui touche l'ensemble de leur chaîne de valeur.

« Aujourd'hui, les clients ne doivent pas seulement faire tester leurs produits, il leur faut un tiers de confiance qui les accompagne dans leurs efforts de durabilité », dit-elle.

C'est le cas par exemple pour les batteries pour véhicules électriques. Il faut une traçabilité complète, où va être contrôlé par exemple dans quelles conditions environnementales mais aussi sociales a été extrait de la mine le lithium qu'elle incorpore. « Il faut valider les bonnes pratiques de gouvernance, sociales et environnementales. Et ça, c'est le rôle du tiers de confiance », assure la nouvelle directrice générale de Bureau Veritas. Il ne s'agit plus de se cantonner à faire des bilans carbone.

Troisième tendance : la digitalisation. Si certains secteurs ont déjà pris de l'avance, par exemple la finance ou le tourisme, les autres, notamment dans la consommation, sont en train d'accélérer leur transformation digitale en raison de la baisse des coûts de stockage des données et de la puissance de calculs.

« La digitalisation est importante pour nous car elle permet de créer des opportunités et de la valeur pour nos clients, grâce à l'accès aux données et aux solutions pour se protéger. Elle permet d'améliorer la sécurité, l'intégrité, la qualité, la conformité. C'est un atout, un outil pour monter en puissance grâce à son effet démultiplicateur », explique-t-elle.

Quatrième tendance : le changement géopolitique - tensions entre la Chine et les Etats-Unis, pénuries liées à la pandémie du Covid-19, guerre en Ukraine... - modifie les flux et les échanges commerciaux, les chaînes d'approvisionnement, en particulier avec la Chine. Il y a un risque de dépendance et un enjeu de souveraineté.

Cela oblige à investir dans certains pays. Au cours des cinq dernières années, Bureau Veritas l'a fait en Asie du Sud-Est, notamment au Vietnam. « J'ai été impressionnée par le développement de nos laboratoires dans ces pays pour tester notamment les
produits technologiques »
, reconnaît-elle. D'autres ont été ouverts en Turquie. Un mouvement lié à la hausse des coûts de production en Chine dont l'appareil de production devient de plus en plus sophistiqué. Il y a aussi l'Inde, qui monte en puissance, où Apple a commencé à produire son Iphone. « Le risque géopolitique nous oblige à gérer des transitions pour être moins dépendant de certains marchés », constate Hinda Gharbi, en bonne connaisseuse du marché globalisé.

D'autant que Bureau Veritas, qui a réalisé de bons résultats en 2022 et a réduit son endettement ces dernières années, dispose des moyens pour saisir des opportunités de croissance externe pour continuer à se développer sur les nouvelles tendances.

L'IRA et le Green Deal européen, des catalyseurs d'investissements

« Ce n'est pas un secret, on regarde des opportunités potentielles sur le marché des nouvelles énergies », affirme-t-elle, soulignant qu'elle bénéficie d'une bonne information grâce à la veille des managers locaux dans les 140 pays pour les identifier. Elle compte aussi bien profiter des opportunités aux Etats-Unis et en Europe grâce aux catalyseurs d'investissements que sont l'IRA et le Green Deal européen.

« L'IRA c'est une refonte de toute l'infrastructure américaine classique mais aussi celle liée à la transition énergétique. On a acquis en Californie un spécialiste de l'infrastructure et en Floride, un État qui est particulièrement concerné par les conséquences du réchauffement climatique, une entreprise qui fait de la vérification des constructions. Les Etats-Unis restent pour nous une priorité de développement », explique-t-elle, sans omettre évidemment la Chine, un marché majeur pour Bureau Veritas qui a généré 16% de ses revenus en 2022.

La reprise économique devrait s'y afficher à 5% cette année selon le gouvernement. Ce n'est pas la dynamique à deux chiffres d'il y a quelques années, mais son économie devient plus mature et, surtout, pour Bureau Veritas, le marché chinois avec son 1,7 milliards de consommateurs, couvre toutes ses activités, de l'industrie aux biens de consommations en passant par les infrastructures. Nul doute que les six années que Hinda Gharbi a passées en Asie seront précieuses pour y identifier les futures opportunités.

Didier Michaud-Daniel part sur un bon bilan

Après onze années passées à diriger Bureau Veritas, Didier Michaud-Daniel tire sa révérence sur un bon bilan. L'entreprise a acquis une dimension mondiale, le chiffre d'affaires est passé de 3,9 milliards d'euros à plus de 6 milliards d'euros en 2022, l'effectif de 52.000 à 85.000 employés. L'activité était centrée sur l'Europe, aujourd'hui, elle est géographiquement équilibrée: un tiers pour l'Europe, un tiers pour l'Asie et un tiers pour les Amériques. Plus de 30 % du chiffre d'affaires est réalisé aux Etats-Unis et en Chine. « Nous étions fortement exposés à l'évolution du commerce international, aux cycles économiques. Aujourd'hui, Bureau Veritas est une entreprise résiliente, solide financièrement. Sa mise aux normes internationales, notamment sa plateforme informatique performante, lui donne une colonne vertébrale robuste qui lui permet de délivrer une bonne croissance depuis 4 ans, supérieure à celle de nos concurrents », constate Didier Michaud-Daniel. Le désendettement de l'entreprise affiche désormais un ratio inférieur à 1, un atout pour poursuivre l'indispensable croissance externe. Et elle peut compter sur son actionnaire de référence, Wendel. «. « Je n'aurais jamais pu faire la centaine d'acquisitions durant ces années sans leur soutien. C'est un actionnaire de long terme, avec des valeurs familiales, qui a toujours répondu présent, concerné par les problématique de durabilité. Lors de la pandémie du Covid, Wendel a accepté que Bureau Veritas ne verse pas de dividende, cela mérite d'être souligné », rappelle Didier Michaud-Daniel.

Au-delà des chiffres, il y a des femmes et des hommes. « Ce fut aussi une aventure humaine passionnante, avec une féminisation de nos instances de direction, notamment au Comex. Quand je suis arrivé, les hommes français étaient majoritaires. C'est une équipe très internationale et féminisée puisqu'à fin 2022 un tiers des membres de mon équipe sont des femmes même si j'aurais souhaité atteindre 50 % pour des questions de valeurs », s'enorgueillit-il.

En outre, le tournant stratégique majeur pris à la sortie de la pandémie du Covid-19, notamment sur l'énergie, s'est révélé payant. En lançant sa « ligne verte », Bureau Veritas a développé ses compétences dans les secteurs de la construction et des infrastructures « green », dans l'énergie qui doit se substituer aux hydrocarbures: éolien, solaire, hydrogène... « Nous avons des compétences dans presque tous les secteurs d'activité économique et dans nos trois grands métiers que sont les tests, les inspections et les certifications. On certifie également les chaînes d'approvisionnement dans l'agroalimentaire. Nous sommes toujours présents dans la marine, notre métier historique qui va connaître de grandes évolutions notamment sur le plan des énergies de propulsion. Avec l'arrivée de Hinda Gharbi, l'entreprise est bien positionnée pour écrire une nouvelle page de cette belle histoire », estime Didier Michaud-Daniel.

Aujourd'hui, aux Etats-Unis, en Europe, mais aussi en Chine, Bureau Veritas travaille sur des programmes d'infrastructures « green ». L'entreprise y occupe une bonne place, grâce à la décision de Didier Michaud-Daniel dès sa prise de fonction de développer les expertises et les solutions de Bureau Veritas en tant qu'acteur global, grâce à sa bonne connaissance du pays acquise à son précédent poste, chez Otis, le spécialiste des ascenseurs qui y gérait cinq usines et une importante activité locale de services. Aujourd'hui, le verdissement et la durabilité des activités sont des priorités pour le gouvernement. « Il n'y a aucun doute sur ce point. Ceux qui s'y rendent régulièrement depuis une quinzaine d'années notent le changement. Aujourd'hui, le ciel de Shanghai n'est plus le même, il est bleu », constate-t-il.

Cette diversification géographique et des métiers a payé, mais n'est pas allé sans certains écueils, car durant des années, nombre d'entreprises ont plus ou moins fait du greenwashing. « Il y a 5 ans j'ai commencé à être préoccupé par ce phénomène. Je voyais que des CEO s'engageaient par exemple à avoir avant la fin de l'année 75% de leurs produits recyclables. Mais l'étaient-ils vraiment? Il fallait donc le vérifier », se rappelle-t-il. Prenant conscience que Bureau Veritas, entreprise globale et indépendante, avait un rôle à jouer dans la vérification et la certification mais aussi, au nom de certaines valeurs, en prenant en compte la préoccupation de laisser un monde meilleur à nos enfants et nos petits-enfants. Car en cinq ans, l'histoire s'est accélérée. Outre la pandémie, le réchauffement climatique provoque de gigantesques incendies de forêts, de nombreuses inondations... « Bureau Veritas a un rôle social à jouer, ce qu'il fait d'ailleurs depuis près de 200 ans, en contrôlant la qualité, l'hygiène, l'environnement, les droits humains et la sécurité. Cela a toujours été notre métier », rappelle-t-il. Quant à l'avenir, Didier Michaud-Daniel n'envisage pas de prendre sa retraite. Il a déjà signé d'autres engagements. A partir de juillet, il travaillera sur un projet qui sera dévoilé à la rentrée.

Robert Jules

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Commentaire 1
à écrit le 23/06/2023 à 10:41
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Voilà une activité sympathique, comme les assurances, les labels et les contrôles et diagnostics techniques de toutes sortes.. Rendues obligatoires par les règlementations, ces "activités" rapportent beaucoup d'argent sans grand risque pour le contrô...

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