Statut des chauffeurs : Uber déplore l'immobilisme européen

Jill Hazelbaker, l’une des dirigeantes de la plateforme de transport et de livraison, estime que la directive de l’UE ne résout pas la question du statut des conducteurs et des livreurs.
Marie-Pierre Gröndahl
Jill Hazelbaker à Paris mercredi.
Jill Hazelbaker à Paris mercredi. (Crédits : LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Son parcours relie deux des univers les plus emblématiques des États-Unis : Washington DC et le gratin de la scène politique américaine d'un côté, et la Silicon Valley, centre névralgique de la tech mondiale, de l'autre. Jill Hazelbaker, 42 ans, est désormais vice-présidente pour le marketing et les affaires publiques d'Uber et membre de son comité exécutif. Soit l'un des postes les plus exposés, puisque la plateforme de VTC et de livraisons de repas à domicile n'a pas cessé depuis sa création, en 2009, de gérer des conflits sur ses différents marchés. En matière de régulation de professions encadrées, comme celle des chauffeurs de taxi, ainsi que dans le domaine du droit du travail, entre le statut de travailleur salarié ou indépendant.

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L'ancienne étudiante en sciences politiques de l'université de l'Oregon a été l'une des plus jeunes directrices de communication engagées dans une élection présidentielle américaine. À 27 ans, Jill Hazelbaker a fait partie de l'équipe du sénateur républicain John McCain, candidat malheureux face à Barack Obama en 2007 : « Ce fut une bonne leçon pour la suite de ma carrière en politique ou dans la technologie, souligne-t-elle lors de son passage à Paris cette semaine. On peut passer très rapidement de l'euphorie à l'échec. » Elle rejoint ensuite le milliardaire Michael Bloomberg pour sa réélection au poste de maire (républicain) de New York. « Un homme politique très intéressant, parce qu'il a l'esprit entrepreneurial. Même la ville fonctionnait comme une entreprise », se souvient-elle.

De la politique vers la tech

Malgré le succès de son candidat, qui rempile pour un troisième mandat, Jill Hazelbaker choisit de bifurquer de la politique vers la tech, de la côte Est vers la Californie. Bien qu'elle ne sache pas alors, de son propre aveu, faire la différence entre un système d'exploitation et un navigateur, la jeune femme se voit néanmoins proposer un poste par Google en 2010. Un écosystème radicalement différent de celui dont elle vient : « La politique est un monde uniformément gris, où tout le monde porte des costumes. Chez Google, on joue au beach-volley à 14 heures, et un fossile de dinosaure trône devant la cafétéria. La première fois que je suis allée au siège de Mountain View, l'un des fondateurs était pieds nus », raconte celle qui a été distinguée il y a quelques années par le magazine américain Fortune comme l'un des talents les plus prometteurs chez les moins de 40 ans dans la tech. Le choc est immédiat : « Mon premier jour chez Google a été celui où le groupe s'est retiré de Chine, à la suite d'attaques contre des militants des droits de l'homme. »

 Jill Hazelbaker y reste pendant quatre ans, le temps de devenir la patronne de la communication du géant des Gafam. Un périmètre qui comprend les relations avec l'Union européenne et les gouvernements de 27 États membres, alors que Google fait l'objet d'une enquête des autorités de la concurrence. Après un bref passage chez Snapchat, au côté de son fondateur, Evan Spiegel, la dirigeante rejoint en 2015 un autre patron à la réputation sulfureuse, Travis Kalanick, l'un des cofondateurs d'Uber. La plateforme, qui a inventé l'activité de VTC (véhicules de transport avec chauffeur), puis de livraison de courses à domicile (Uber Eats) souffre d'une culture interne jugée toxique par nombre de ses salariés. Mais elle pâtit aussi d'un scepticisme généralisé sur la pertinence de son modèle économique. Malgré des centaines de millions de dollars investis, l'entreprise brûle du cash et accumule les pertes. Ainsi que les procédures juridiques, tant sur son marché domestique qu'à l'international, au fur et à mesure de ses implantations.

J'étais consciente des problèmes de nature réglementaire à mon arrivée

« J'étais consciente des problèmes de nature réglementaire à mon arrivée chez Uber, confie cette mère de trois enfants. Je savais que l'entreprise avait beaucoup de travail à faire en matière de réputation, ce qui, très franchement, était un défi intéressant pour moi. » Deux ans plus tard, le groupe prend un tournant drastique. L'arrivée à sa tête d'un manager reconnu et consensuel, Dara Khosrowshahi, rompt avec les codes originels et met progressivement en place une stratégie de maîtrise des coûts. « Il fallait construire une entreprise rentable et durable et la préparer à une future introduction en Bourse », se souvient Jill Hazelbaker.

Sept ans plus tard, le pari est en partie réussi. Uber a réalisé les premiers bénéfices de son histoire en 2023, même si les questions juridiques sur le statut des chauffeurs demeurent irrésolues dans plusieurs de ses marchés. « Uber opère aujourd'hui dans 70 pays et 10 000 villes, insiste-t-elle. Sept millions de personnes utilisent l'application pour gagner de l'argent chaque mois. Nous déplaçons 28 millions de personnes par jour. »

Des règles nationales différentes

En Europe, l'accord ratifié le 11 mars par les 27 ministres de l'Emploi et des Affaires sociales concernant les travailleurs des plateformes numériques et l'amélioration de leurs conditions de travail (congés payés, protection maladie...) n'a pas harmonisé les règles nationales. Un statu quo demeure pays par pays. « Il me semble que la directive européenne a manqué une occasion de réconcilier l'indépendance et une meilleure protection sociale. J'ai examiné des centaines, voire des milliers d'études au cours des neuf années que j'ai passées au sein de l'entreprise. Les chauffeurs souhaitent conserver indépendance et flexibilité, mais avec des protections et des avantages. La directive européenne repose sur un choix binaire qui implique que cela soit l'un ou l'autre. C'est une erreur. » Selon elle, l'exemple à suivre est le Brésil, où une récente législation combine le statut de travailleur indépendant avec une protection sociale.

Autre préoccupation, la baisse des ventes de véhicules électriques, en particulier en Europe : « Le véhicule le plus populaire aux États-Unis pour un chauffeur Uber est une Prius d'occasion. Cela signifie que le prix doit être suffisamment bas pour que les chauffeurs puissent profiter de la technologie électrique. Nous avons besoin des équipementiers. Mais aussi des pouvoirs publics pour subventionner la transition vers l'électrique et mettre en place les infrastructures de recharge. Uber ne peut pas être le seul à agir, nous avons besoin d'un sursaut collectif. »

Marie-Pierre Gröndahl

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Commentaire 1
à écrit le 21/04/2024 à 8:44
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Ben oui d'habitude politiciens et financiers s'arrangent bien plus vite ! Certainement que cela arrange les deux de ne plus bouger. Puis c'est tellement facile de rien faire, tellement confortable...

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