Que cherche Easyjet ? Ce jeudi 9 septembre, la compagnie à bas coût britannique a annoncé le lancement d'une opération de recapitalisation auprès de ses actionnaires et l'obtention d'une nouvelle facilité de crédit, tout en dévoilant simultanément le fait qu'elle avait reçu une proposition préliminaire de rachat non sollicitée. Bien que celle-ci ait été unanimement refusée par le conseil d'administration et que l'acheteur potentiel - dont l'identité n'a pas été révélée - ait déclaré ne plus être intéressé, Easyjet laisse donc entendre qu'elle ne ferme pas la porte à de futures offres.
Recapitalisation défensive
Confronté, comme le reste du transport aérien, au choc de la crise sanitaire, Easyjet lance donc une augmentation de capital de 1,2 milliard de livres (1,4 milliard d'euros), avec une souscription ouverte jusqu'au 27 septembre. Si des manœuvres financières étaient attendues (recapitalisation, nouvel emprunt obligataire, cession-bail d'avions supplémentaires...), l'ampleur de cette opération n'avait pas été anticipée.
Cette recapitalisation est en grande partie défensive comme ce fut le cas pour d'autres compagnies européennes jusque-là, à commencer par Air France. Elle doit permettre à la compagnie orange de faire remonter ses fonds propres et d'améliorer significativement son bilan, mis à mal par la crise sanitaire.
Avec 1,4 milliard d'euros à venir, Easyjet se veut aussi offensif. Son directeur général, Johan Lundgren, estime ainsi que cette augmentation de capital « nous permettra également de nous positionner pour de la croissance, afin que nous puissions tirer parti des opportunités d'investissement stratégiques qui devraient se présenter à mesure que l'industrie aéronautique européenne émerge de la pandémie. »
La compagnie à bas coût entend donc bien profiter des difficultés des opérateurs traditionnels en reprenant les créneaux horaires que ces derniers seraient contraints de lâcher, faute de moyens financiers suffisants. De quoi renforcer ses parts de marchés, en priorité sur les aéroports principaux notamment ceux soumis à des contraintes de créneaux horaires. Paris-Orly, Amsterdam-Schiphol ou Milan-Linate font ainsi figure de cibles potentielles. Pour cela, Easyjet doit être capable de mettre de la capacité, elle qui a réduit sa flotte de 10 % et qui n'a pris livraison d'aucun nouvel avion auprès d'Airbus cette année, malgré 101 avions en commandes.
Les cartes pourraient néanmoins être chamboulées par la possibilité d'un rachat de la compagnie dans les prochains mois. Une première approche a ainsi été formulée. Le conseil d'administration l'a « soigneusement étudiée avant de la rejeter à l'unanimité. » Il a notamment jugé que cette proposition de transaction par action « sous-évaluait fondamentalement la société ». Pour autant, il n'a visiblement pas fermé la porte à de futures offres.
Un rapprochement avec Wizzair aurait du sens
Cette approche serait le fait de la compagnie Wizzair selon l'agence Bloomberg, mais la compagnie hongroise n'a pas souhaité apporter de commentaires jusqu'à présent. Selon des observateurs, la manœuvre pourrait également être le fait de son actionnaire, le fonds d'investissement américain Indigo Partners qui possède également des participations chez Frontier Airlines aux Etats-Unis ou Volaris au Mexique.
Selon des connaisseurs du secteur, un tel rapprochement pourrait avoir du sens au vu des réseaux des deux compagnies, avec peu de chevauchement entre Wizzair qui offre une densité inégalée sur l'Europe centrale et orientale et Easyjet qui est implantée sur les principaux marchés d'Europe de l'Ouest.
L'homogénéité de la flotte n'est pas non plus à négliger : les deux compagnies exploitent une flotte 100 % Airbus composée d'appareils des familles A320 et A320 NEO (new engine option). Wizzair met ainsi en œuvre environ 140 appareils et dispose de 236 commandes chez l'avionneur européen, tandis qu'easyJet exploite 330 avions et doit en recevoir une centaine d'autres.
La question du modèle des deux compagnies reste le principal obstacle à un potentiel rapprochement. D'un côté, Easyjet fait évoluer ses pratiques depuis plusieurs années en s'implantant dans les aéroports principaux et en offrant de la fréquence, notamment pour toucher une clientèle affaires en sus de son offre loisirs. De l'autre, Wizzair affiche un modèle ultra low cost, proche de celui de Ryanair, privilégiant notamment les aéroports secondaires et limitant les services gratuits au minimum. Néanmoins, la compagnie hongroise pourrait évoluer au fur et à mesure que ses marchés d'Europe centrale gagnent en maturité. Elle pourrait ainsi chercher de nouveaux relais de croissance pour pérenniser son activité en se tournant vers de nouveaux segments de clientèle.
Quoi qu'il en soit, c'est bel et bien une fenêtre de tir qui s'ouvre pour un éventuel rachat d'EasyJet. Confrontée au manque de visibilité qui pèse sur le secteur aérien, particulièrement en Europe, la direction de la compagnie n'est pas en mesure aujourd'hui d'offrir des garanties suffisantes à ses actionnaires. Et parmi ces derniers, aucun ne devrait s'opposer coûte que coûte à un rachat.
Le fondateur ne semble pas opposé à un désengagement
Tout d'abord, son fondateur Stelios Haji-Ioannou - qui, avec sa famille, représente plus du quart du capital - ne semble pas opposé à un désengagement. Il a déjà réduit sa participation à plusieurs reprises ces dernières années, et il n'avait pas hésité à s'opposer frontalement à la direction d'easyJet pour obtenir l'annulation d'une commande de 107 avions chez Airbus.
Au vu de la composition du reste du capital, essentiellement détenu par des acteurs financiers, il ne devrait pas y avoir non plus beaucoup de résistance chez les autres actionnaires en cas d'offre intéressante.
Au moins 7 milliards d'euros à mettre sur la table
L'affaire pourrait donc intéresser d'autres acteurs au-delà de Wizzair. Il existe néanmoins un certain nombre de freins. Tout d'abord l'opération reste très conséquente sur le plan financier : selon un analyste, compte tenu de la capitalisation boursière d'Easyjet de l'ordre de 4 milliards d'euros, de la dette qui dépasse les deux milliards et des primes d'émissions conséquentes, il faudrait ainsi mettre au moins sept milliards d'euros espérer emporter la mise. Un montant qui exclut la plupart des acteurs de l'aérien en Europe.
En dépit d'un véritable intérêt sur le plan opérationnel, Air France-KLM, qui avait regardé le dossier en 2009, ou Lufthansa auraient du mal à débloquer de telles sommes alors qu'elles ont fait elles-mêmes appel aux Etats pour se recapitaliser. D'ailleurs, en contrepartie de ces aides publiques, les deux groupes ont reçu l'interdiction par Bruxelles de réaliser des prises de participations d'envergure tant que les Etats ne sont pas rentrés dans leur frais à hauteur de 70 % des sommes qu'ils ont engagées (prêts garantis inclus). Reste IAG, mais le groupe anglo-espagnol possède déjà Vueling et n'a pas de réel intérêt dans une telle opération.
Reste à étudier voir les possibilités chez les acteurs financiers, alors que beaucoup d'argent est disponible et qu'Easyjet a su démontrer par le passé qu'elle savait être rentable.
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