Si ses effets concrets sur le climat restent peu perceptibles, la transition énergétique semble bel et bien entamée en Allemagne, dix ans après sa décision structurante de se passer du nucléaire. En effet, alors que la nouvelle coalition au pouvoir (SPD, Verts et Libéraux) affiche désormais une ambition de sortie du charbon « dans l'idéal » dès 2030 (contre 2038 auparavant), elle entend, dans le même temps, donner un coup de fouet à l'installation d'éoliennes et de panneaux solaires. Un sujet pour le moins brûlant, à l'origine de résistances locales outre-Rhin, mais aussi de turbulences au sein-même du parti écologiste.
De fait, sans nucléaire ni augmentation des combustibles fossiles, les marges de manœuvre du pays s'avèrent limitées pour espérer atteindre la neutralité carbone d'ici à 2045 - cinq ans avant l'échéance fixée par la Commission européenne pour tout le continent. D'autant que le temps presse : d'ici à 2030, l'Allemagne devra diminuer de pas moins de 65% ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, a rappelé ce mardi 11 janvier le ministre de l'Economie et du Climat, Robert Habeck (Les Verts). Par conséquent, a-t-il annoncé, Berlin prévoit d'assouplir les règles d'implantation de parcs éoliens, et leur dédier 2% de son territoire contre moins de 1% disponible à cette fin actuellement. Quant à l'énergie solaire, elle sera « obligatoire pour les nouvelles constructions commerciales », et deviendra « la règle pour les nouvelles constructions privées », a indiqué le ministre. Par ailleurs, alors que l'Allemagne devrait réduire sa consommation d'énergie « de 20 à 25% », la coalition entend produire 50% du chauffage d'une manière neutre en carbone d'ici 2030, et accélérer l'isolation des bâtiments. Autant de mesures que le gouvernement soumettra dans les prochains mois, par le biais de « plusieurs grandes lois climat ».
« Nous devons accélérer le rythme et être plus efficaces dans les prochaines années. [...] Nous avons réussi à réduire les émissions de 15 millions de tonnes de 2010 à 2020, et de 2022 à 2030, nous devons les réduire de 40 millions de tonnes par an en moyenne. [...] La tâche est grande. C'est gigantesque », a ainsi fait valoir Robert Habeck, en présentant sa feuille de route pour la transition énergétique.
L'implantation des éoliennes divise les Verts
Sans surprise, ces propositions s'inscrivent en droite ligne avec l'objectif ambitieux récemment fixé par la coalition de 80% d'énergies renouvelables dès 2030 dans la consommation d'électricité, contre environ 45% en 2020. Mais toutes sont loin de faire l'unanimité, alors qu'une partie des Verts s'inquiète des risques d'un déploiement trop rapide des éoliennes, qui pourrait selon eux s'avérer néfaste pour l'environnement et la biodiversité locale.
« Le sujet provoque des tensions au sein de l'appareil du parti des Verts, qui se divisent entre deux grandes lignes, les « fondamentalistes » et les « pragmatiques » », précise Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors, qui a récemment publié une note sur la transition énergétique allemande.
Conscient des divisions sur le sujet, Robert Habeck a reconnu que ces nouvelles installations pouvaient susciter des résistances locales, et appelé à la « coopération du plus grand nombre ».
« Il ne faut pas se faire d'illusions; il ne s'agit pas seulement d'une question technique, mais aussi d'une question qui touche profondément à la réalité sociale et qui ne peut être gagnée que si elle est menée comme un débat de société », a-t-il affirmé.
La consommation d'électricité issue du charbon augmente
Il n'empêche que l'exécutif compte bien accélérer la cadence, alors que l'Allemagne prend « la mauvaise direction » en matière d'émissions de CO2, a martelé Robert Habeck. En effet, les perspectives sont peu reluisantes : alors que la consommation d'énergie du pays a augmenté de 2,6%, après le plus fort de la crise sanitaire, le gouvernement s'attend à une hausse de 4% des émissions de gaz à effet de serre pour 2021.
« Il est probable que nous rations nos objectifs climatiques en 2022 et 2023 », a ainsi regretté le ministre.
Pour cause, si la part d'électricité d'origine renouvelable a beaucoup progressé ces dernières années, et même doublé en une décennie, son niveau a chuté l'an dernier (une première depuis 1997) à 42% du mix électrique. L'une des principales raisons tient en la faible performance des éoliennes, du fait d'un manque de vent.
Fatalement, dans le même temps, la production d'électricité produite à partir d'énergies fossiles n'a pas faibli, au contraire. Et notamment celle issue du charbon, dont la consommation a crû de près de 18% en 2021, contre +4% pour le gaz naturel. Ainsi, au global, bien que la demande de ce combustible en Allemagne ait été divisée par trois depuis 1990, 28,9% de l'électricité injectée dans le réseau du pays provenait encore de centrales à charbon au premier trimestre 2021, « contre 13% en moyenne dans l'Union européenne », peut-on lire dans la note de l'Institut Jacques Delors. Et l'explosion récente des prix du gaz a encore accentué le phénomène.
« Alors qu'ils atteignent des niveaux jamais vus, la crise donne forcément un avantage au charbon. Et notamment à la lignite [extraite directement sur le territoire, ndlr], qui est le pire de tous. Il faudra observer ce qu'il se passera quand les tarifs du gaz atteindront un niveau plus « normal » », fait valoir Thomas Pellerin-Carlin.
Bientôt des centrales à hydrogène ?
Nul doute que la question fondamentale de la place du gaz dans le mix électrique allemand se posera également. Car là encore, la dépendance du pays à ce combustible fossile persiste. Et ne devrait pas faiblir avec la prochaine mise en route du gazoduc géant Nord Stream 2 (même si l'Allemagne a pour l'heure suspendu le processus de certification). D'autant qu'une sortie du charbon dès 2030 impliquera, pour compenser la perte de production associée, « la construction de centrales à gaz modernes sur le territoire, afin de couvrir les besoins croissants en électricité et en énergie au cours des prochaines années à des prix compétitifs », a récemment fait valoir le chef de la coalition, Olaf Scholz (SPD). Or, les centrales au gaz fossile, si elles polluent moins que celles à la lignite ou la houille, restent aujourd'hui bien plus émettrices de gaz à effet de serre que les réacteurs nucléaires.
Pour s'en sevrer peu à peu, le gouvernement compte notamment s'appuyer sur l'émergence des gaz bas carbone. Parmi lesquels le biométhane, issu de la fermentation des déchets, ou encore l'hydrogène produit par électrolyse de l'eau grâce au boom des renouvelables. Mais alors qu'un tel scénario implique des paris technologiques forts, la partie semble loin d'être gagnée.
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