Un dispositif « inutilement complexe » et « déséquilibré », qui manque d' « efficacité ». Alors qu'elle arrive mardi à la Chambre haute, les sénateurs comptent mettre leur grain de sel à la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, adoptée fin juin à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Ils proposent en effet de la modifier pour la rendre « plus opérationnelle », afin de « rééquilibrer le rapport de force entre distributeurs et fournisseurs »
Concrètement, le texte voté par les députés prévoit de sanctuariser la part du prix correspondant au coût des matières premières agricoles, qui ne sera ensuite plus négociable par les différents maillons de la chaîne (industriels et distributeurs). Le tout dans le cadre d'un contrat pluriannuel obligatoire entre l'agriculteur et l'entreprise qui transforme ses produits, pour éviter que le premier ne se retrouve finalement à vendre à perte. Par exemple, si un producteur de porc décide de vendre à un abattoir son jambon à un certain prix, le charcutier ne pourra plus négocier, par la suite, la part du prix correspondant à l'achat du jambon lorsqu'il le revendra en barquette à la grande distribution.
Mais l'article a été entièrement réécrit en commission par les sénateurs. Car si ces derniers affirment « souscrire à l'objectif de transparence », ils regrettent que la mesure ne « conduise les industriels à dévoiler leurs marges aux distributeurs ». « Ce qu'on veut, c'est de l'efficacité », a expliqué à l'AFP la rapporteuse du texte au palais du Luxembourg, Anne-Catherine Loisier (centriste).
La réécriture permet en outre de toucher des produits alimentaires qui auraient pu échapper au dispositif : une ratatouille composée de nombreux ingrédients par exemple, ou encore une soupe aux cinq légumes.
Prix révisé en fonction du coût de la matière première
Autre modification de taille, les sénateurs ont renforcé l'encadrement des produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (MDD), « aujourd'hui point de fuite de la réglementation ». Ceux-ci représentent, selon la sénatrice, « 30% des rayons alimentaires ». Mais ils sont aujourd'hui circonscrit à quelques 15 % des revenus réels des agriculteurs. L'amendement adopté, « plus équitable », prévoit notamment une clause de révision automatique des prix en fonction de la variation du coût de la matière première agricole.
Par ailleurs, les sénateurs ont supprimé les dispositions encadrant l'utilisation du drapeau français ou de tout autre symbole représentatif de la France, la jugeant « contraire au droit européen en matière d'étiquetage des produits alimentaires ». A la place, elle a exigé un contrôle plus étroit en amont, avec une transparence du gouvernement sur la fréquence des contrôles, sur leur objet, les résultats obtenus, et l'identité des entreprises sanctionnées.
La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont rapidement réagi, et affirmé « la nécessité absolue de rétablir » le dispositif. Les syndicats demandent également « la réintégration, à l'article 2, de la mise en place d'une option de transparence totale, matière agricole par matière agricole ».
Dérives de la loi EGAlim
Le texte intervient plus de deux ans après la promulgation de la loi alimentation (EGAlim), dénoncée par de nombreux agriculteurs pour ses dysfonctionnements. Car celle-ci n'a pas tenu ses promesses, le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, ayant lui-même admis « ses limites », évoquant « des dérives à la fois chez les industriels et les distributeurs ».
Par conséquent, « les plus forts et les mieux organisés, en l'occurrence la grande distribution et les grandes entreprises, sont les gagnants du système actuel », tandis que « les agriculteurs, moins bien organisés et moins bien équipés pour la négociation, sont le maillon faible de la filière », regrettait en mars Serge Papin, l'ancien patron de Système U, missionné à l'époque par le gouvernement pour remettre un rapport sur le sujet. Ainsi, selon le dernier rapport de l'Observatoire de la formation des prix et des marges, sur 100 € de dépenses alimentaires, 6 € seulement reviennent au producteur.
(Avec l'AFP)
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