Grande distribution VS agriculteurs : les pistes des députés contre la guerre des prix

C'était l'une des promesses du candidat Emmanuel Macron : permettre aux agriculteurs de « vivre dignement de leur travail », alors qu'une grande partie d'entre eux crient leur précarité. Tandis que la loi EGAlim de 2018 a déjà montré ses limites, la nouvelle proposition de loi des députés peut-elle inverser le rapport de force ? Explications sur les cinq points clés du texte.
Marine Godelier
Le contrat proposé par l'agriculteur, qui devra comporter des indicateurs de coûts de production, constituera le socle de la négociation des prix.

Unanime, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi de la majorité qui entend rééquilibrer les relations entre industriels et supermarchés, une « impérieuse nécessité » selon le gouvernement Macron. Car pris en étau dans des négociations de prix déséquilibrées, parfois brutales, avec les distributeurs et les industriels, ils doivent souvent se résoudre à vendre leurs produits... à perte.

Au-delà de la promesse politique, le but de la proposition est donc clair, il s'agit de garantir une construction du prix des denrées alimentaires de l'amont (le producteur) à l'aval (le distributeur), plutôt que l'inverse, comme c'est aujourd'hui le cas - au détriment des revenus des paysans, contraints de s'adapter à une course au rabais. Un tournant dans la relation groupes de la grande distributeurs-agriculteurs ? Rien n'est moins sûr.

Votée en 2018, la loi EGAlim devait en effet déjà mettre fin à cette « guerre des prix », en encadrant les promotions et en relevant le seuil de revente à perte. Mais force est de constater qu'elle n'a pas tenu ses promesses - le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, ayant lui-même admis « ses limites » dans Le Figaro, évoquant « des dérives à la fois chez les industriels et les distributeurs ».

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Face à ces lacunes, l'ancien président du Système U, Serge Papin, avait remis un rapport au gouvernement en mars dernier, après avoir auditionné 60 acteurs du secteur. Ses conclusions ont été reprises par les députés de la majorité, pour rédiger une proposition de loi sur une rémunération « juste » des agriculteurs, avec l'appui de Julien Denormandie.

Alors que le texte est arrivé jeudi à l'Assemblée nationale, les députés l'ont adopté dans la soirée à l'unanimité, en ajoutant plusieurs modifications. Tour d'horizon des principales mesures, avant l'examen du texte par le Sénat.

  • Sanctuarisation du prix des matières premières

C'est le principal changement par rapport à la loi EGAlim : la proposition de loi prévoit de sanctuariser la part du prix correspondant au coût des matières premières agricoles, qui ne sera ensuite plus négociable par les différents maillons de la chaîne (industriels et distributeurs). Le tout dans le cadre d'un contrat pluriannuel obligatoire entre l'agriculteur et l'entreprise qui transforme ses produits, pour éviter que le premier ne se retrouve finalement à vendre à perte.

Par exemple, si un producteur de porc décide de vendre à un abattoir son jambon à un certain prix, le charcutier ne pourra plus négocier, par la suite, la part du prix correspondant à l'achat du jambon lorsqu'il le revendra en barquette à la grande distribution.

« Cela accroît la transparence du coût d'achat de la matière première agricole par l'industriel et en consacre le caractère non négociable », s'est félicité dans l'hémicycle le rapporteur du texte Besson-Moreau.

Pour muscler cette disposition, les députés ont voté un amendement afin de renforcer la prise en compte des indicateurs de coûts de production dans la négociation. Concrètement, le contrat proposé par le producteur, qui devra comporter des indicateurs de coûts de production, constituera le socle de la négociation. Ce ne sera cependant pas le seul déterminant du prix, puisque d'autres critères pourront toujours être pris en compte, comme le service associé ou la transformation du produit.

Par ailleurs, si ce prix non négociable de la matière première restera au libre choix des parties, le texte prévoit de renforcer la publication des indicateurs de référence des coûts de production par les interprofessions, afin qu'ils soient bien pris en compte lors des négociations.

  • Tunnel de prix

En plus de cette disposition, afin d'éviter que l'exploitant ne concède aux entreprises un tarif trop bas, l'Assemblée a également adopté à l'unanimité la mise en place d'une expérimentation obligatoire autour d'un tunnel de prix pour certaines filières, dont la viande bovine, avec des bornes maximales et minimales. Concrètement, ce mécanisme devra garantir aux producteurs que la négociation ne pourra pas aboutir à une baisse en-dessous d'un certain prix, tout en permettant au distributeur de ne pas dépasser un montant défini par les parties.

Il ne s'agit néanmoins pas pour les pouvoirs publics d'imposer eux-mêmes le prix minimum, celui-ci revenant à la libre négociation, ont précisé des députés de la majorité face à François Ruffin (LFI), qui a défendu en vain l'instauration de « prix planchers » au profit des agriculteurs.

« Peut-être souhaitez-vous que les agriculteurs soient des salariés de l'Etat, ce n'est pas notre choix », lui a opposé Besson-Moreau dans l'hémicycle.

En cas de non-accord entre les parties, le texte propose également l'intervention d'un comité de règlement des différends. Si la loi EGAlim a déjà renforcé la médiation des relations commerciales agricoles, beaucoup d'entre elles traînent encore en longueur. Dans des circonstances très particulières et encadrées, ce comité pourra ainsi prendre le relais et décider d'un montant, le temps que les deux parties tombent d'accord.

  • Tiers de confiance

Encore faut-il disposer des moyens de s'assurer que ces mécanismes seront bien mis en place. Comment connaître cette fameuse part du prix correspondant aux coûts des matières premières qui deviendra non négociable - la part "soclée" -, tout en protégeant le secret des affaires ? L'Assemblée a répondu par la mise en place d'un tiers indépendant qui pourrait certifier cette part "soclée" dans le produit.

Par exemple, lorsqu'une entreprise propose un tarif à +3%, si parmi ces +3% il y a +1% lié à matière première agricole, ce tiers indépendant devra en attester, afin que cette matière première agricole ne soit en effet plus négociable.

Face aux fluctuations des prix des matières premières, il est d'ailleurs prévu que le contrat soit assorti d'une clause d'indexation, de manière à ce que le prix correspondant aux coûts des matières premières soit réévalué si la production augmente ou si le marché change. Celle-ci sera obligatoire afin de prendre en compte les hausses ou les baisses dans le prix d'achat par les différents maillons, en permanence, selon une période décidée à l'avenir.

  • Encadrement des tarifs de vente pour les transformateurs

Se pose également la question des tarifs d'achats après la vente par les agriculteurs, à partir du deuxième maillon de la chaîne - les industriels ou les coopératives - qui après avoir acheté aux paysans et transformé la matière première, souhaitent l'écouler. Ceux-ci craignaient en effet d'être pris en étau, et que la négociation avec la grande distribution ne se concentre désormais que sur la partie négociable que sont les coûts industriels, en les revoyant à la baisse.

Pour prévenir cet effet pervers, les députés ont voté hier soir une mesure de protection : la non discrimination tarifaire. Concrètement, l'industriel devra proposer le même tarif à tous ses distributeurs. Celui-ci ne sera négociable qu'en échange de conditions particulières de vente, c'est-à-dire du fait d'une justification précise de la part des acheteurs. Par exemple, une place particulière dans un rayon pour mettre en valeur le produit, ou un achat en plus grande quantité de la part du distributeur.

Car ce n'est pas le cas aujourd'hui : une entreprise peut imposer son tarif, parfois sans justification, et discuter des services après coup seulement. Avec le principe de non discrimination, l'industriel ne pourra donc plus accorder un avantage comparatif d'entrée à un distributeur par rapport à un autre.

  • Ligne à ligne

Dans le même ordre d'idée, l'Assemblée a adopté un amendement sur le « ligne à ligne ». Lorsqu'un industriel vend des produits à un distributeur, celui-ci lui propose donc souvent des services pour mettre en avant son produit - le placer en tête de gondole dans un rayon, ou en faire la publicité dans catalogue par exemple. Aujourd'hui, ces services se paient souvent de façon globale, c'est-à-dire que le distributeur propose un plan d'affaire général - en exigeant tant d'argent de la part de l'industriel, en échange d'une augmentation des ventes promise.

Avec le « ligne à ligne », ils devront désormais fournir un un coût unitaire aux industriels sur les services proposés, de manière ciblée et non plus globale, pour permettre une négociation plus transparente. Si la mesure avait été rejetée par le gouvernement, les députés en ont décidé autrement hier soir dans l'hémicycle.

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Adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, le texte doit maintenant passer l'épreuve de l'examen des sénateurs - dont la date n'est pas encore précisée -, qui pourraient encore largement le modifier avant son adoption définitive.

Marine Godelier

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Commentaires 2
à écrit le 26/06/2021 à 10:20
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Plutôt que de générer des coopératives de vente... L'impasse agro-industrielle.

à écrit le 25/06/2021 à 20:04
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D'abord, les agriculteurs qui ne sont pas des "Industriels" de l'agriculture devraient quitter la FNSEA. Ce syndicat, à la botte de l'agroindustrie est leur premier ennemi. Leur seul salut est dans une agriculture plus responsable et pour le dire cla...

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