LA TRIBUNE - Crise sanitaire, crise économique... est-on à une période charnière pour la transition écologique ?
ROBERTO BOCCA - La grande question désormais est de savoir ce qu'il va se passer au sortir de la crise sanitaire: va-t-elle accélérer ou au contraire décélérer la transition ? Les gouvernements doivent poursuivre deux objectifs: un plan de relance, pour relancer l'économie et créer des emplois, et une accélération de la transition énergétique. Les investissements en infrastructures énergétiques représentent leur plus petit dénominateur commun. Mais il faut bien investir dans les infrastructures du futur, pas dans celles du passé. Le risque c'est de relancer l'économie qui existe déjà au lieu de faire émerger celle du futur. Autrement dit de vouloir préserver les emplois d'aujourd'hui au détriment des emplois de demain. Il faut donc investir en priorité dans les infrastructures pour l'hydrogène, les véhicules électriques, la capture du carbone...
La période ne constitue-t-elle pas aussi un test pour les entreprises, notamment les groupes pétroliers qui ont pris des engagements pour atteindre la neutralité carbone ?
En effet, ces entreprises génèrent aujourd'hui moins de profits pour investir. Elles ont réaffirmé leurs engagements, et c'est très positif. Mais il faudra maintenant surveiller quelle proportion de leurs investissements est fléchée vers les énergies renouvelables, la décarbonisation des énergies fossiles ou encore les nouvelles infrastructures énergétiques. Et au-delà des producteurs, il faudra aussi regarder les investissements des industries qui utilisent beaucoup d'énergie.
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Alors que les déficits publics explosent, faut-il craindre que le soutien public ne soit pas au rendez-vous ?
La question est davantage de savoir si nous avons besoin que l'État investisse ou qu'il crée les conditions nécessaires pour accélérer les investissements. Pour les pouvoirs publics, il ne s'agit pas simplement de mettre la main à la poche en s'endettant encore plus. La finance et les industriels cherchent à investir dans des nouvelles technologies, mais il faut que cela soit possible et facile. C'est une opportunité à saisir pour les pouvoirs publics, qui peuvent par exemple accélérer la délivrance de permis et d'autorisations. Ils doivent donner des coups de pouce et orienter la machine dans la bonne direction, mais ensuite c'est au secteur privé de prendre le relais.
L'essayiste américain Jeremy Rifkin prédit l'effondrement des énergies fossiles, pensez-vous que celui-ci puisse se produire rapidement ?
J'ai 53 ans et, sans m'avancer sur mon espérance de vie, je ne pense pas que cela se matérialisera de mon vivant. Mais le débat ne doit pas porter sur les énergies fossiles. Nous ne sommes pas contre elles, mais contre les émissions. Il faut donc se demander ce que nous pouvons faire pour réduire nos émissions. Le gaz, par exemple, ne s'en sort pas trop mal si on met en place des solutions de réduction des émissions de méthane ou de capture et de séquestration. En outre, la transition énergétique ne se limite pas au sujet de la durabilité environnementale. Il faut prendre en compte deux autres dimensions: la sécurité de l'approvisionnement et le prix de l'énergie. C'est ce que nous appelons le triangle de l'énergie. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas effectuer la transition, au contraire, nous pensons qu'il faut l'accélérer. Mais il ne faut pas trop pencher d'un coté au détriment des deux autres.
Dans le dernier indice de transition énergétique publié mi-mai par le Forum économique mondial, vous soulignez d'ailleurs que les progrès dans les pays développés ralentissent. Comment l'expliquer ?
Ces pays ont en effet atteint un cap. Pour le franchir, il va falloir accélérer de façon substantielle. Atteindre un indice de 74 [le score de la Suède, première du palmarès établi par le Forum économique mondial, Nldr] était déjà un long voyage. Pour passer de 74 à 100, les efforts seront exponentiels. Les mesures qui ont été prises étaient les plus simples. Il faut désormais des mesures plus structurelles qui demandent du courage car nos sociétés sont encore basées sur les énergies fossiles. Pour l'État, les recettes fiscales sont conséquentes. La crise du Covid a rappelé qu'une baisse de la consommation d'essence avait aussi un impact sur les recettes de l'État. Pour les marchés financiers, les groupes pétroliers représentent encore une part importante des dividendes versés. La bonne nouvelle, cependant, c'est que les pays en voie de développement se sont rapprochés des pays développés.
C'est le cas notamment de la Chine, mais l'écart reste important. Que reste-t-il à améliorer ?
Les progrès ont été énormes et la direction est bonne. Mais le problème vient de l'infrastructure historique au charbon. Et comme le pays est grand, le stock de centrales à charbon est important. Sans oublier que leur durée de vie est de 50 ans. Tous les investissements réalisés il y a dix ans, vingt ans, trente ans sont toujours en exploitation. Cela va donc prendre du temps mais il est déjà important de constater des progrès en Chine ou en Inde: ce qui compte aujourd'hui, c'est ce qu'il se passe dans cette région du monde.
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