Plus que jamais, la question agite le débat public : alors qu'une transition énergétique vers un modèle décarboné s'impose, faut-il continuer de subventionner les combustibles polluants ? Dans une France marquée par le mouvement des Gilets jaunes, le sujet est pour le moins brûlant puisqu'il concerne directement le pouvoir d'achat des consommateurs, touchés de plein fouet par la flambée des prix. Un terrain miné que le gouvernement souhaite garder sous contrôle, en mettant en avant son ambition de concilier « fin du monde et fin du mois ». En témoigne son coup de pouce apporté aux ménages les plus modestes, quelque soit leur mode de chauffage, via l'extension du chèque-énergie. Mais aussi la multiplication des déclarations des candidats à la présidentielle, de Marine Le Pen à Anne Hidalgo, qui se rejoignent sur une ligne d'abaissement de la TVA sur l'essence. Entraînant par là-même un décalage criant entre les discours d'urgence climatique et les objectifs politiques, économiques et sociaux.
Et la France est très loin d'être le seul pays touché par ce phénomène : à l'échelle mondiale, la production et la combustion de charbon, de pétrole et de gaz étaient subventionnées à hauteur de presque 6.000 milliards de dollars en 2020 (5.900.000.000.000 dollars, soit 5.108.869.000.000 euros), alerte le Fonds Monétaire International (FMI) dans un rapport publié mercredi. Par conséquent, les prix étaient au moins 50% inférieurs à leurs coûts réels pour 52% du diesel, 47% du gaz, et 99% du charbon, ce dernier étant pourtant pointé du doigt comme le combustible le plus polluant de tous. Et cinq pays étaient responsables de pas moins de 2/3 de ces subventions : la Chine, les Etats-Unis, la Russie, l'Inde et le Japon. De quoi « ajouter de l'huile sur le feu » de la crise climatique, à un moment où des réductions rapides des émissions de gaz à effet de serre sont nécessaires, font valoir les auteurs.
Le G20 pointé du doigt
Et cela ne va pas en s'arrangeant : en 2015, le FMI avait communiqué le chiffre, déjà considérable, de 5.300 milliards de dollars de soutien des Etats aux énergies fossiles. Quatre ans plus tôt, celui-ci s'élevait à 4.151 milliards de dollars. Force est de constater que le montant gonfle, sans interruption. Et le rebond des prix des carburants et de la consommation d'énergie devrait encore pousser ces aides à la hausse en 2021, à mesure que la pandémie s'affaiblit et que les économies se relancent. « Sans actions, les subventions atteindront 6.400 milliards de dollars en 2025 », alerte ainsi le FMI.
« Nous ne faisons qu'effleurer la surface, et il y a un très long chemin à parcourir », commente Ian Parry, expert en politique budgétaire environnementale au Département des finances publiques du FMI, dans les colonnes du Guardian.
En juillet, un rapport de l'OCDE intitulé « Mise à jour 2021 sur les progrès récents dans la réforme des subventions aux combustibles fossiles inefficaces qui encouragent la consommation gaspillante » montrait notamment que les pays du G20 avaient subventionné les combustibles fossiles à hauteur de milliers de milliards de dollars depuis 2015. En 2009 pourtant, le G20 s'était entendu pour supprimer progressivement les subventions « inefficaces » aux combustibles fossiles, c'est-à-dire celles qui encouragent le gaspillage, faussent les marchés, entravent les investissements dans les sources d'énergie propre et sapent les efforts pour faire face au changement climatique.
Des aides mal ciblées
Il existerait donc, parmi les 6.000 milliards d'aides, de « bonnes » subventions aux énergies fossiles. Concrètement, ces dernières comprennent, entre autres, « l'accompagnement de la transition industrielle pour améliorer l'acceptabilité sociale, les réformes « en faveur des pauvres » pour une transition juste, la tarification basée sur le marché pour limiter les défis du contrôle des prix et les examens des dépenses pour améliorer leur hiérarchisation », selon l'OCDE. Par exemple, il peut s'agir de mesures pour réduire la précarité énergétique, pour développer l'accès à l'énergie, ou encore pour redistribuer la richesse issue de l'exploitation de ressources nationales.
Afin de ne conserver que celles-ci, le G20 avait bien fixé en 2016 une échéance de sortie des aides inefficaces d'ici à 2025. Mais depuis, « peu de progrès ont été réalisés », estime le FMI, d'autant que les pays ne se sont toujours pas mis d'accord sur une définition claire des subventions néfastes. Résultat : nombre d'aides sont encore mal ciblées, et bénéficient de manière disproportionnée aux segments les plus riches de la population - qui utilisent par exemple plus de carburant subventionné.
« Certains pays hésitent à augmenter les prix de l'énergie parce qu'ils pensent que cela nuira aux pauvres. Mais maintenir les prix des combustibles fossiles est un moyen très inefficace d'aider les pauvres, car la plupart des avantages reviennent aux ménages les plus riches. Il vaudrait mieux cibler les ressources pour aider directement les personnes pauvres et vulnérables », développe Ian Parry.
Flécher les aides vers la transition
Pour le FMI, se débarrasser de ces subventions constituerait « un grand pas vers la réalisation de l'objectif 1.5°C convenu au niveau international », en arrêtant de fausser la concurrence avec les énergies renouvelables. De fait, celles-ci deviendraient plus séduisantes si le prix réel des combustibles fossiles était pris en compte, estime l'organisation. D'autant que supprimer les aides nocives à la nature permettrait de « réduire les émissions mondiales de plus d'un tiers », avancent les auteurs du rapport. Et empêcherait « environ un million de décès par an » liés à la pollution de l'air.
Enfin, cela rapporterait des milliards de dollars aux gouvernements, grâce à des rentrées fiscales supplémentaires et une baisses des dépenses de santé, pointe le FMI. Des fonds bienvenus, alors que la feuille de route « net zéro » de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) prévoit que 5.000 milliards de dollars seront nécessaires d'ici à 2030 pour décarboner le mix énergétique. Mais dans une société encore engluée dans les combustibles fossiles, la tâche risque de ne pas être aisé. D'autant que l'inflation menace de nombreux ménages déjà touchés par la précarité énergétique, et risque de bouleverser le quotidien des citoyens consommateurs. Jusqu'à porter le germe d'une possible révolution sociale et politique si l'accompagnement de ces derniers n'est pas à la hauteur, s'est récemment inquiété le gouvernement français.
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