Carton rouge pour le "droit au pari" !

Par Georges Decocq, professeur agrégé de droit privé (université Paris-XII).

L'ouverture prochaine à la concurrence des jeux en ligne aiguise les appétits. Ainsi, les fédérations sportives n'hésitent pas à réclamer un "droit au pari"?: le versement d'une part des gains réalisés sur les paris portant sur le résultat des compétitions qu'elles organisent. Une telle approche entre pourtant en contradiction absolue avec notre droit, et notamment avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) qui consacre un principal fondamental de notre système juridique?: la liberté d'information.

Ce texte dispose clairement que? "toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière".

Or, quand une société de jeux en ligne lance un pari sur une compétition sportive, les seuls éléments nécessaires à cette activité sont les résultats de celle-ci, qui ne sont rien d'autre qu'une information dont la liberté d'obtention et de communication est protégée par le droit.

La Cour européenne des droits de l'homme a en effet déduit de l'article 10 de la CEDH que toute personne physique ou morale, même à but lucratif (comme un exploitant de sites Internet), a le droit, sans que les autorités publiques (par exemple, un juge) s'y opposent, de diffuser ou de recevoir des informations, quel que soit leur contenu (par exemple, les résultats de compétitions sportives), par quelque moyen que ce soit, actuel ou futur.

En conséquence, si les événements sportifs font effectivement l'objet d'un droit de propriété des fédérations, des ligues ou des clubs sportifs, les seuls résultats de ceux-ci ne peuvent être appropriés. Dès lors, quand le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a, de manière très surprenante, interdit les paris sur les résultats des matchs de la dernière édition de Roland-Garros, et alloué des dommages-intérêts à la Fédération française de tennis (FFT) en prétextant que l'organisation de paris en ligne est un mode d'exploitation des manifestations sportives, dont le monopole doit être réservé à la FFT, il a développé une argumentation "patrimoniale" on ne peut plus contestable que la cour d'appel de Paris, saisie d'un appel contre ces décisions, ne manquera probablement pas d'infirmer.

Ce faisant, le TGI de Paris a en effet oublié que la jurisprudence des plus hautes cours reconnaît avec force et constance la valeur essentielle du droit à l'information et considère qu'un message "ouvert", devenu "public", ne saurait en aucun cas être approprié et induire des droits et redevances. Comment peut-on, d'ailleurs, s'approprier une information connue ? ou connaissable ? de tous??

Si l'on devait suivre le raisonnement ? intenable ? du tribunal et des défenseurs du "droit au pari", le supposé "droit de propriété" des fédérations sportives sur les résultats des compétitions qu'elles organisent serait opposable "erga omnes" (à l'égard de tous). Pourquoi, dans ce cas, ne pas invoquer ce droit pour réclamer des royalties aux médias, généralistes ou spécialisés, qui n'ont de cesse de diffuser les résultats des compétitions sportives?? Au moment où la presse écrite ne va pas très bien, va-t-on bientôt consacrer un prélèvement sur les recettes des journaux, notamment sportifs, qui exploitent indûment les informations "détenues" par les fédérations?? Quel serait ce droit d'exploitation sur une information qui, s'il était consacré dans la loi à l'initiative du législateur, n'aurait non seulement aucun sens, mais aucune limite??

Si l'existence d'un "droit au pari" tel qu'invoqué par les fédérations sportives n'est juridiquement pas tenable, il n'est, sur le plan du bon sens, tout simplement pas sérieux. Il ne mérite en conséquence rien d'autre qu'un... carton rouge?!

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