Montre-moi ton bureau et je te dirai qui tu es...

Par Ludwig Siegele, journaliste spécialiste des nouvelles technologies à The Economist, ancien collaborateur de Die Zeit et du Monde.

Dans un monde où l'ego pèse lourd, il est souvent beaucoup plus intéressant de jeter un coup d'?il sur le cadre de vie d'un dirigeant plutôt que d'écouter ses réponses en pure langue de bois. Le bureau de Larry Ellison chez Oracle est un bon exemple. Meubles design de couleur sombre, lignes tranchantes, murs blancs : cela correspond à son mode de pensée, qui tend à voir les choses en noir et blanc. Marc Benioff, le patron de Salesforce.com, connu pour son côté juvénile et joueur, travaille entouré d'une vieille planche de surf, d'un ours en peluche ou de sabres lumineux genre Star Wars. Quant à Thomas Siebel, fondateur éponyme du groupe racheté par Oracle, il avait orné son bureau d'immenses tableaux de batailles, ce qui confirme sa réputation de gestionnaire dictatorial.

Si l'on s'en tenait à ce critère, Léo Apotheker, qui s'apprête à prendre la direction du géant allemand du logiciel SAP, ne paraîtrait pas des plus intéressants. Le bureau qu'il occupait à Paris avait à peu près autant de charme qu'une salle d'attente de docteur. Mais si son bureau est à ce point impersonnel, c'est qu'il est rare de l'y trouver. Léo Apotheker est un nomade digital qui, ces dernières années, a passé plus de la moitié de son temps à faire la tournée des clients ou prospects. Autrement dit, c'est le monde qui est son bureau, équipé seulement d'un PC portable et de deux Blackberry. Sous d'autres aspects aussi, il est difficile d'imaginer un dirigeant plus international, qui parle couramment cinq langues. "Je me considère comme un citoyen du monde", explique Léo Apotheker. Les Etats nations, pour lui, sont des constructions du XIXème siècle auxquelles il ne faut pas s'accrocher. "Je ne suis pas sûr qu'ils existeront encore au XXIIème siècle."

L'un des défis qu'il aura à relever sera de transformer SAP en groupe global. Le géant du software a déjà beaucoup changé : l'ancienne organisation, très germano-centrée, a laissé place à une firme déployée dans le monde entier. Mais les commandes sont toujours à Walldorf et les laboratoires à travers le monde sont des courroies de transmission. Léo Apotheker veut remplacer ce modèle par un réseau d'entités égales mais spécialisées. Il reconnaît que les ingénieurs allemands ne sont peut-être pas les plus créatifs, mais ils savent faire fonctionner des systèmes complexes.

Leurs collègues israéliens manquent parfois de discipline mais ils ont souvent des idées formidables. Les Indiens savent développer des logiciels à l'échelle industrielle et les Américains excellent dans la vente des nouvelles technologies. "Si nous réussissons à combiner tous ces points forts, nos concurrents ont du souci à se faire !", lance-t-il.

La recette semble bonne, mais elle en inquiète plus d'un à Walldorf, où l'on craint que le berceau de SAP ne perde son importance. Beaucoup rappellent que la mondialisation n'a pas toujours réussi à SAP : les logiciels écrits par les équipes virtuelles laissent souvent à désirer et doivent être corrigés à Walldorf. C'est d'ailleurs pour cette raison que Business ByDesign, la nouvelle offre en ligne, a été remise à plus tard. Avec la crise, les sceptiques risquent de se faire entendre davantage. Si la situation s'aggrave et qu'il doit faire partir des gens, il va sans nul doute se voir reprocher son cosmopolitisme et son indifférence au sort de la maison mère.

Mais y a-t-il d'autres choix pour SAP ? Moins du tiers de ses 52.000 salariés sont en Allemagne, où il réalise moins du cinquième de son chiffre d'affaires. Et le gros de sa croissance viendra des grands pays émergents. "Si nous n'avions pas adopté une stratégie globale, nous aurions du travail pour à peine 8.000 personnes à Walldorf", observe-t-il. C'est une bonne piqûre de rappel : la mondialisation a désormais mauvaise réputation, et c'est en partie mérité. Il y a de grandes chances pour qu'elle ralentisse ou régresse pendant un moment. Mais elle retrouvera un jour son dynamisme. Et les entreprises seraient bien inspirées de rechercher des dirigeants internationalistes comme Léo Apotheker, même si le bureau cesse dès lors de dire grand-chose sur leur personnalité.

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