Les signes inquiétants de l'arrivée d'une déflation

Par Gabriel François, conseiller économique à La Française des placements.

Une fine analyse de l'économie japonaise dans les années 1990 suggère que la crise actuelle prend, par certains aspects, la voie de la déflation. A la différence toutefois que les réponses politiques des grandes économies devraient permettre de l'éviter. Néanmoins, l'énormité du coût du sauvetage bancaire pour les finances publiques débouchera inévitablement sur une création monétaire massive.

La crise que nous vivons risque-t-elle d'entraîner nos économies vers une véritable déflation ? La déflation doit être distinguée d'une simple inflation négative qui n'est en fait qu'une désinflation poussée à l'extrême. Elle correspond à une baisse des prix durable accompagnée d'une profonde dépression de l'activité économique. Ce phénomène gravissime est heureusement très rare. Depuis un siècle, on ne l'avait connu que deux fois : après la crise de 1929 et dans le Japon des années 1990.

C'est ce dernier cas, plus proche de nos économies contemporaines qui peut le mieux nous éclairer actuellement. Après l'euphorie des années 1980, marquée par une hausse extravagante des prix d'actifs, la Banque du Japon ne s'est décidée à intervenir que tardivement : elle n'a commencé à relever son taux qu'en 1989. Or, dès 1990, pendant que les taux d'intérêt continuaient de progresser, les prix de l'immobilier commençaient de refluer. Tout s'est alors enchaîné très vite : éclatement des bulles immobilière et boursière, effondrement des prix sur ces marchés, retournement de la conjoncture réelle et recul rapide de l'inflation. A ce choc macroéconomique s'ajoutait une crise bancaire sans précédent due à une montagne de créances irrécouvrables (évaluée à 20% du PIB !) Malgré une politique de taux 0, la récession ne fit qu'empirer, prenant l'allure d'une véritable dépression, les banques restant tétanisées par le montant de leurs "bad debts".

L'expérience japonaise a permis de mettre en lumière, à côté des deux données de base que sont la baisse des prix et le recul de l'activité, deux phénomènes qui peuvent être considérés comme des signaux avertisseurs de déflation. D'abord la constitution d'une "trappe à liquidités" : dans une situation de pessimisme extrême, les agents économiques, victimes d'une sorte d'anorexie, épargnent toute injection nouvelle de liquidité. Autre indice important, l'apparition d'une remontée des taux réels, le taux d'escompte étant bloqué à 0 alors que les prix continuent de baisser.

L'expérience japonaise a aussi montré l'extrême importance d'un bon timing, les diverses mesures prophylactiques, notamment l'assouplissement de la politique monétaire, étant d'autant plus efficaces qu'elles interviennent plus tôt. Elle a aussi mis en lumière le danger d'être trop attaché à une conception rigide de l'orthodoxie qui conduit à refuser une reprise massive des créances bancaires rendue pourtant indispensable lors d'une crise systémique.

A l'aune de l'exemple japonais, on peut mieux analyser la véritable nature de la crise actuelle de nos économies : la croissance négative du PIB ? Elle est déjà observée aux Etats-Unis et en Europe. La baisse absolue des prix ? On ne la constate pas encore, mais clairement, la désinflation s'accélère. La hausse des taux réels ? On commence aussi à l'apercevoir. Quant à la constitution d'une "trappe à liquidité", elle n'existe sans doute pas encore, mais il faut bien reconnaître que la croissance de la base monétaire (monnaie banque centrale), plus rapide que celle de la masse monétaire elle-même, est un signal inquiétant.

Au total, on peut donc conclure que les Etats-Unis et l'Europe montrent le tableau d'économies qui ne sont pas encore en déflation, mais qui se dirigeraient sans doute dans ce sens si elles étaient livrées à elles-mêmes. Or, c'est justement la mise en ?uvre résolue de politiques correctrices qui différencie aujourd'hui les économies occidentales de l'expérience japonaise, et plus encore du précédent des années 1930. On note à la fois une volonté des autorités politiques et monétaires de tout faire pour éviter une dépression et la grande liberté de man?uvre dont elles jouissent du fait que les banques centrales ne sont plus liées par les contraintes d'une convertibilité-or ou d'un taux de change fixe.

Aujourd'hui, la bataille doit être menée sur deux fronts : le soutien de certaines industries en péril et la consolidation du système bancaire. Sur ce dernier point, si la politique envisagée paraît un peu fluctuante, on peut penser qu'à côté des efforts de recapitalisation, l'assainissement du secteur bancaire passera nécessairement par une très large reprise des créances douteuses. L'idée commence certes à faire son chemin. Mais il faudra sans doute aller plus loin dans les modalités.

En effet, le processus qui est à l'?uvre actuellement transite par le budget des Etats. Or, selon toute vraisemblance, les sommes en jeu, qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars, risquent de se révéler hors de portée d'une gestion budgétaire normale même très accommodante. Il faudra peut-être alors se résoudre à user du moyen ultime et imparable qu'est la création monétaire : soit que la Fed achète des obligations du Trésor (ce qui est déjà commencé) soit même qu'elle intervienne directement en achetant elle-même des créances toxiques.

Aux esprits orthodoxes qui ne manqueront pas d'être effrayés par un tel afflux de liquidité, une double réponse pourra être faite : d'une part, il faut choisir le moindre mal, or à présent la déflation est sans conteste plus dangereuse que l'inflation ; d'autre part, le risque inflationniste peut être jugulé en stérilisant, par le jeu de réserves obligatoires, la plus grande partie de la monnaie ainsi créée.

Ces opérations nécessitent évidemment un lien très étroit entre un gouvernement et sa banque centrale. Le problème ne se pose pas aux Etats-Unis. Mais en Europe, l'existence d'une monnaie commune pourrait créer quelque flottement. Même si on peut parier qu'en fin de compte la BCE, mise au pied du mur, acceptera d'oublier sa légendaire orthodoxie pour éviter l'éclatement de la zone euro, un moment de doute peut survenir. Ce qui provoquerait temporairement un élargissement des spreads de taux au sein de la zone euro.

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Commentaires 6
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je ne vois pas très bien coment on pourrait éviter la déflation puisque les acteurs, c'est-à-dire tous les ménages sont déjà en place et la pratique depuis des mois. On n'a pas envie d'acheter d'une part et d'autre part si on décide d'acheter on atte...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Comme on dit maintenant : mort de rire! Deflation? Et puis quoi encore? Pourquoi pas protectionnisme? Extreme droite tant qu'on y est ?

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Comme on dit maintenant : mort de rire! Deflation? Et puis quoi encore? Pourquoi pas protectionnisme? Extreme droite tant qu'on y est ?

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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on est déjà en déflation, il suffit de regarder les salaires nominaux qui commencent à baisser ici et là. Espérer de juguler l'inflation par les réserves obligatoires est une pure illusion: une inflation programmée (comme semble probable) de 10 ou 15...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La déflation on y est.... Je dois refaire mes tarifs en mars, ils vont diminuer de 15% pour la première fois depuis 16 ans. D'octobre à décembre, -15% de CA. Janvier : -50%. Février : on est à 10% du CA de l'an dernier.... Bref, on est certes très to...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Le probleme actuel est plus complique a cause de la concurrence deloyale des pays emergents comme la Chine l'Inde et surtout le protectionnisme deguise

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