C'est avec plus d'Europe que l'on sortira au mieux de la crise

S'alarmant de la montée des réflexes protectionnistes, Gilbert Gélard, expert-comptable, dénonce le caractère illégal et surtout vain de ces défenses nationales contre la crise. Pour lui, c'est une réaction court-termiste, qui menace l'Union, et contre laquelle il faut lutter en renforçant les compétences de la Commission.

Un des effets pernicieux de la crise que nous vivons est qu'elle risque de conduire à un retour du protectionnisme économique, qui serait une catastrophe pour tous. Si les échanges commerciaux étaient durablement atteints par un retour de barrières de toute nature et de préférences nationales, on assisterait à une régression de grande ampleur dont les conséquences seraient gravissimes.

La réunion du G7 qui s'est tenue à Rome le 14 février a été décrite dans le quotidien italien La Repubblica du 16 février comme une imposture : "En un ch?ur unanime les leaders réunis ont mis au ban le protectionnisme. Ils ont menti sciemment. Personne n'a l'intention d'être fidèle à cet engagement solennel..." Même si l'affirmation est sans nuances, les propos récents de hauts responsables européens ne sont pas rassurants. Qu'il s'agisse des déclarations de Nicolas Sarkozy sur les conditions attachées à l'aide à nos "champions nationaux" du secteur automobile ou de la faible réaction de Gordon Brown à l'appel de syndicats britanniques à proscrire l'emploi d'étrangers ? pourtant européens ? dans le secteur du bâtiment, ces propos nous ramènent au moins cinquante ans en arrière.

La plupart des propositions ainsi avancées pour protéger l'emploi national sont contraires au droit communautaire et aux fondements mêmes du traité de Rome sur la libre circulation des hommes et des capitaux. Or, ce traité engage les Etats. En renier les principes fondamentaux conduirait à désagréger l'Union patiemment construite.

Il semble que les politiques, et souvent l'opinion, ne veulent pas regarder les réalités en face, alors que la lucidité est particulièrement nécessaire. Dans l'Union européenne, un Etat membre a moins de pouvoir qu'un Etat américain. Le parlement californien a plus de pouvoir sur ses propres lois que le parlement français sur les siennes, parce que la Constitution et les lois fédérales américaines lui laissent beaucoup plus d'initiatives dans de nombreux domaines que les règlements et directives européens n'en laissent aux Etats membres. Il est inexact de comparer le statut de Mme Merkel, de M. Sarkozy ou de M. Brown avec celui de M. Obama ; à bien des égards, le bon niveau de comparaison pour ces leaders européens est le statut de M. Schwarzenegger.

Une exception importante, bien sûr : la politique étrangère. Mais si M. Sarkozy a pu déployer avec talent une activité diplomatique intense au cours de l'été 2008, par exemple en Géorgie, c'est parce qu'il parlait au nom de l'Europe. La voix d'un Etat membre aurait été inaudible.

Il nous faut donc plus d'Europe, et vite. Un Etat de l'Union européenne, même parmi les plus grands, ne peut plus agir sur les grands problèmes du monde que dans le cadre européen. Il ne faudrait pas que la crise plonge la zone euro ou l'Union en général dans le chaos économique, des solutions disparates étant appliquées au coup par coup.

Depuis le traité de Rome, la Commission européenne est le gardien et le promoteur du libre-échange à l'intérieur de l'Union, les Etats étant le plus souvent les défenseurs de positions acquises pas toujours justifiables au plan de l'intérêt général.

Il faut ainsi renforcer au plus vite les institutions européennes. La crise est la preuve, par l'absurde, que l'économie est irréversiblement mondialisée. Aussi, la notion de champion national qu'il faudrait aider n'a-t-elle plus de sens. Les sociétés du CAC 40 sont des multinationales dont, en moyenne, la moitié du capital est détenue par des non-Français et dont souvent la majorité des emplois se situe en dehors de l'Hexagone. Il suffit de transférer le siège social dans un autre pays de l'Union pour que des pans entiers du droit français ne s'appliquent plus. Pourquoi le contribuable devrait-il aider des entreprises, alors que cela n'offre aucune garantie réelle que l'emploi sera bien développé ni même maintenu en France ? Discriminer contre un autre pays de l'Union est illégal et exercer une préférence communautaire à l'égard des pays tiers ne tient que si les conditions de concurrence ne sont pas trop déséquilibrées.

Sur ces sujets essentiels, les politiciens doivent la vérité à eux-mêmes et au public. La tentation du chacun pour soi n'est bonne pour personne. C'est la pente facile, celle du court terme. Il faut donc résister au retour possible au protectionnisme, en respectant les textes qui ont établi un marché unique, réglementé la concurrence et fixé des bornes salutaires aux aides d'Etat. L'Europe doit parler d'une seule voix vis-à-vis des autres grandes puissances.

Le renforcement de l'Europe implique à la fois le respect des règles communautaires existantes et le transfert vers la Commission et le parlement d'autres compétences, à l'instar de celles qui ont déjà été transférées dans les domaines de la concurrence et du commerce par exemple.

L'Europe sera alors en mesure de jouer sa partie avec de vrais atouts. Il y aura nécessairement des bras de fer avec les autres grands partenaires, transatlantique et asiatiques, qui sont eux aussi inévitablement la proie de tentations protectionnistes.

Certains voient dans la crise actuelle la justification de leurs tendances nonistes au repli. Au contraire, elle indique clairement que la construction européenne doit être accélérée et approfondie.

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