"Class actions" américaines  :  vers le chantage organisé

Par Hervé Pisani, avocat au barreau de Paris, associé du cabinet Darrois, Villey, Maillot, Brochier (avocat de Vivendi, poursuivi dans une "class action" aux Etats-Unis. Version résumée d'un article à paraître dans la Revue trimestrielle de droit financier).

Régulièrement, la possible introduction des actions de groupe, ou "class actions", en France est évoquée. Quelques entreprises françaises ont subi cette épreuve aux Etats-Unis ; leur expérience peut contribuer à notre débat hexagonal. La philosophie de ces "class actions" est simple : un individu, compte tenu du faible montant de son préjudice, répugnera à engager une action en justice contre l'auteur du prétendu dommage. Dès lors, ce dernier n'est pas sanctionné pour sa négligence, car les poursuites seront peu nombreuses. Par l'action de groupe, il pourra être poursuivi.

La "class action" veut donc avoir un effet punitif, et par son exemplarité, dissuasif. Sa vocation essentielle n'est pas indemnitaire : le plus souvent, le montant perçu in fine par chaque bénéficiaire est très faible, mais l'addition de ces montants individuels constitue une somme importante pour l'entreprise. Si l'intention de départ est honnête, la confiscation de cette intention première au profit d'un petit nombre est une réalité : les class actions sont aux Etats-Unis une activité extrêmement rentable pour des professionnels spécialisés dans leur conduite, rémunérés par un pourcentage relativement important des dommages et intérêts acquittés par l'entreprise poursuivie, pouvant aller jusqu'à 25%. En outre, les "class actions" concernant le droit boursier sont le plus souvent animées par des acteurs financiers importants (type fonds d'investissement), qui en tirent le bénéfice essentiel, la défense de l'actionnaire individuel ne constituant qu'un alibi.

Or, très peu d'actions vont jusqu'au stade du procès : elles se soldent le plus souvent par une transaction. Si les entreprises poursuivies transigent, nous dira-t-on, c'est qu'elles se savent coupables, et qu'elles préfèrent la voie de la transaction, qu'elles présument plus clémente que celle du procès. C'est inexact : si elles préfèrent transiger, c'est qu'elles sont confrontées à un système dont elles n'ont que très peu de chance de sortir indemnes, même si elles considèrent n'avoir commis aucune faute. Elles devront engager des millions de dollars pour produire, à la requête des demandeurs, des quantités colossales de documents et faire entendre des dizaines de témoins en sachant que, si l'affaire va jusqu'au procès, elles seront jugées par un jury composé de membres issus de la société civile, dont le mode de sélection va conduire à ce qu'il soit aussi peu familier que possible des questions en débats.

L'entreprise poursuivie risque ainsi de dépenser des dizaines de millions de dollars, dans une procédure longue au résultat pour le moins aléatoire. La possibilité d'une transaction, sous réserve qu'elle soit raisonnable, apparaît ainsi comme une issue heureuse, réduisant une addition qui se serait alourdie mécaniquement. C'est de ce système, pas très éloigné du chantage organisé, dont il convient de se tenir à l'écart.

Nous devons donc tirer les leçons de ces dérives : une industrie des class actions, dont le moteur principal est l'intérêt financier des différents prestataires, présente un coût important pour l'économie, qui dessert en définitive les intérêts des ceux-là même que ces actions étaient censées protéger. Lorsqu'une société en vient à préférer transiger pour 50 millions de dollars afin d'éviter de supporter 200 millions de dollars de frais de procédure qu'elle ne pourra pas récupérer, même si elle gagne, il n'est pas difficile de conclure à une perversion du système.

Certes, l'attraction véritable, mêlée d'inquiétude, pour les "class actions" en France s'explique en partie par le sentiment assez répandu que l'accès à la justice est difficile. Mais ne pourrait-on, plus simplement, améliorer des règles du procès civil, afin de le rendre plus rapide et plus efficace, sans qu'il soit nécessaire de bouleverser les principes fondamentaux gouvernant l'action en justice ?

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Commentaires 3
à écrit le 27/01/2010 à 5:47
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Nul de nul, n'apporte rien aux actionnaires actuels de Vivendi, aucune stratégie de définie pour contrer l'action, aucun suivi du procès en cours aux US. Une censure médiatique en place sur ce qui se passe ou se dit au procès ? Rien pour permettre a...

à écrit le 27/01/2010 à 2:13
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Un bien curieux article, M. Pisani. Vous faites passer, par un tour de bonneteau étrange, le problème de personnes possiblement lésées, et de fait, incapables de réclamer individuellement leur droit contre des entreprises de grande taille, voire des ...

à écrit le 26/01/2010 à 10:13
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De telle déclaration n'est pas fondée car une entreprise qui publie de fausses informations en violation flagrante de la loi et dont les dirigeants actuels se mettent plein les poches et qui ne cherche pas une transaction individuelle pour accorder r...

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