En Asie, les politiques de change nourrissent la bulle immobilière

Le boom de l'immobilier en Asie est alimenté par une politique de contrôle des changes qui revient à importer les politiques monétaires laxistes des banques centrales des pays industrialisés. Les pays asiatiques devront s'engager dans l'appréciation de leurs monnaies s'ils veulent éviter un krach.
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DR (Crédits : Simon Smith)

Les marchés immobiliers asiatiques sont à nouveau en plein boom et les prix dépassent les pics atteints avant la crise de 1997. Ainsi, à Hong Kong, un "condo" de cinq chambres a été vendu 69.000 euros le m2, ce qui en fait la propriété la plus chère du monde. Comment expliquer cette effervescence ? Contrairement aux Etats-Unis ou à l'Europe, l'Asie n'a pas traversé de crise bancaire et les économies se sont vite remises de la crise, grâce aux mesures de relance prises au niveau mondial. Les tendances démographiques constituent également un facteur important de soutien du marché immobilier, avec la venue de nouvelles générations de primo-accédants. Parallèlement, l'urbanisation bat son plein : 45% des Chinois et 30% des Indiens sont déjà des citadins, un pourcentage qui devrait grimper respectivement à 73% et à 55% d'ici à 2050.

La Chine contribue par ailleurs à la fièvre immobilière à Hong Kong et à Taïwan. La Chine a relâché certains contrôles de capitaux qu'elle exerçait sur Hong Kong, qui devient rapidement le centre financier offshore du continent et qui développe activement un marché d'obligations d'entreprise en renminbi. Ce qui n'a pas échappé à l'attention des investisseurs du continent qui affluent sur le marché immobilier de Hong Kong. Quant à l'île de Taïwan, elle a récemment signé un accord de libre-échange avec le continent. Ce qui a eu pour effet de réveiller le marché immobilier qui était en sommeil il y a encore quelques années.

Mais le moteur principal de la spéculation immobilière en Asie se trouve ailleurs, dans la tradition, bien ancrée dans la région, de contrôle des monnaies. Singapour et Hong Kong poursuivent un objectif en matière de taux de change et les autres pays asiatiques limitent la volatilité de leurs monnaies en achetant des devises. En 2010, les réserves chinoises en devises étrangères ont ainsi augmenté de 400 milliards de dollars pour atteindre 2.600 milliards et, dans les autres pays asiatiques, les réserves de devises se sont "modestement" accrues de 250 milliards pour atteindre 1.900 milliards de dollars.

Les interventions sur les changes ne sont pas récentes en Asie. La nouveauté réside dans l'ampleur de la politique d'assouplissement pratiquée par les banques centrales du monde entier. Comparée à la réaction de l'Asie à la crise de 1997, la politique occidentale à sa propre crise financière a été moins radicale. Plutôt que d'opter pour une stratégie de désendettement massive et de restructuration douloureuse, les économies industralisées ont mis en oeuvre des politiques monétaires très accommodantes qui entraînent une forte instabilité financière pour les marchés émergents. Dans les faits, en empêchant une réévaluation de ses monnaies, l'Asie importe la politique monétaire très souple de la Réserve fédérale des Etats-Unis. A Hong Kong, un prêt immobilier sur vingt ans est assorti d'un taux d'intérêt inférieur à 1%.

Les taux d'intérêt très bas, dans un contexte de vif rebond économique, ont amené une forte reprise de la croissance du crédit qui se situe maintenant bien au-dessus de la croissance du PIB à Hong Kong, en Malaisie, en Chine, en Indonésie et en Inde... et un gonflement des prix de l'immobilier. Dans le même temps, l'inflation des prix à la consommation remonte lentement et se situe dans la plupart des pays asiatiques bien au-dessus des moyennes historiques. Hong Kong, Singapour, la Chine, l'Inde, Taïwan, la Malaisie et la Thaïlande ont mis en place des mesures pour contenir l'inflation des prix de l'immobilier, comme des exigences accrues en termes de garanties, des ratios dette/revenu plus faibles ou une augmentation de la fiscalité. Mais ces mesures seront inefficaces si les Etats de la région continuent à pratiquer des conditions monétaires aussi souples.

L'Asie a besoin de resserrer ses politiques monétaires pour reprendre le contrôle sur ses marchés immobiliers. Ce qui ne peut s'effectuer sans une appréciation de la monnaie, dès lors que les augmentations des taux d'intérêt non assorties d'une appréciation de la monnaie n'entraînent que des afflux de capitaux. Or, l'expérience montre que le contrôle des capitaux n'offre que très peu de protection à long terme contre une revalorisation de la monnaie lorsque les marchés financiers locaux sont déjà ouverts.

Le maintien d'une stabilité financière pourrait contraindre Singapour ou Hong Kong d'abandonner leurs politiques monétaires reposant sur le taux de change. Un tel ajustement risque pourtant de s'avérer difficile : dans les deux pays, les régimes de taux de change arrimé ont en effet constitué la pierre angulaire de leur succès économique et financier. Mais l'alternative, qui serait de continuer à pratiquer des taux d'intérêt très bas pendant longtemps, n'est plus tenable.

La réticence de l'Asie à s'engager dans une politique d'appréciation de ses monnaies est donc culturel : l'actuel politique de change reflète un ancien mais efficace modèle de développement, basé sur l'exportation, qui a passé la région du statut de pays sous-développés à celui de pays émergents. Toutefois, le ralentissement de la croissance, plus sensible dans les années 2000 (Chine exceptée) suggère que ce modèle économique perd en efficacité alors même que la demande des pays industrialisés ne devrait plus constituer un moteur de croissance. Il serait dès lors dangereux de laisser gonfler les bulles immobilières dans un contexte moins porteur. L'Asie devra assouplir sa politique de change pour naviguer avec succès sur le tsunami de liquidités et éviter les conséquences désastreuses d'un krach immobilier. Trop tôt vaut mieux que trop tard.

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