Des exils fiscaux "résistibles", à condition d'une pérennité fiscale

Par Philippe Baillot, professeur associé à Paris II et directeur de département d'une banque privée.
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En mars dernier, un banquier vaudois met, à titre privé, sa maison en vente. Sur quinze visiteurs, dix s'avéreront des Français candidats à l'exil fiscal, à la recherche d'une résidence cossue sur la rive suisse du Léman.

Dans le même temps, un entrepreneur français vend son entreprise 6 millions d'euros. Elle représentait la quasi-totalité de son patrimoine. Préalablement, il était devenu résident belge sans guère attirer l'attention des statistiques. Il n'était pas même assujetti à l'ISF. Ce faisant, son économie fiscale, au titre de la plus-value, s'élèvera à 2 millions d'euros : soit l'équivalent d'un chèque du trésor français de 500.000 euros au titre des quatre prochains 1er janvier qu'il envisage de passer à Bruxelles...

Avons-nous les moyens de cette hémorragie ? La perte induite est immense : la disparition de toute imposition sur la consommation et les revenus futurs de nos exilés - voire in fine leur succession -... sans parler des talents. Plus grave encore, vue de l'étranger, la France ne saurait représenter plus de 5% d'un portefeuille de placement. Un transfert quasi total des capitaux détenus en découle, encore accéléré par la crainte révérencielle de contestation sur la localisation de la nouvelle résidence.

Naturellement, ces exils fiscaux sont consécutifs au poids des prélèvements grevant les contribuables français les plus aisés. En l'absence de contraction massive de nos dépenses publiques, cette difficulté paraît durable. Ils découlent également d'une seconde spécificité de notre fiscalité plus aisément amendable : son vibrionnisme. Notre législation se caractérise, en effet, par un erratisme extrême, assorti d'une rétroactivité de fait. Naturellement, les multiples lois nouvelles s'appliquent à des faits générateurs (vente d'un actif, rachat d'un contrat...) postérieurs à leur adoption. Pour autant, en matière patrimoniale, elles seront légitimement ressenties comme de nature rétroactive. Elles aggravent de facto la taxation applicable à un stock d'épargne constitué au regard d'une législation antérieure.

Cette agitation extrême interdit tout calcul économique aux contribuables et l'atteinte d'un optimum patrimonial. L'insécurité induite est exceptionnellement dommageable. Elle justifie pleinement la paranoïa des contribuables, ferment de leur départ. En l'occurrence, le doute ne saurait bénéficier à l'accusé. Le coût affectif d'un exil est toujours extrêmement lourd (éloignement de la famille, rupture avec le cercle amical, ses lieux de vie...). Ce frein naturel aux pulsions d'expatriation serait favorablement renforcé par une pérennité nouvelle et, par suite, une prévisibilité de notre fiscalité. Sur le seul plan patrimonial, elle devrait revêtir un caractère viager, aussi durable que l'épargne sous-jacente pour bannir toute destructrice inquiétude chez le contribuable aisé.

Les choix patrimoniaux s'inscrivent sur la très longue durée. Comment les envisager sereinement avec un législateur saisi de la danse de Saint-Guy ? A l'image d'un bouclier fiscal inscrit dans le marbre de l'article 1er du Code général des impôts, supprimé moins de trois ans plus tard ; ou de l'exonération des plus-values des actions détenues depuis plus de huit années, promise en 2006 pour 2014, et dont l'entrée en vigueur semble s'éloigner comme l'horizon physique...

Notre législateur devrait prendre conscience du fait qu'un cadre patrimonial éventuellement moins favorable, mais enfin pérenne, éviterait nombre d'exils fiscaux et leurs coûts induits pour nos finances et notre collectivité.

Ainsi devrait-il réfléchir à éradiquer les causes des exils fiscaux plutôt que d'essayer d'en réduire les effets. A l'évidence, cette prévention s'avérerait plus efficiente que l'adoption de sanctions incertaines. Ainsi la conformité de la future "exit tax" au principe fondateur de la construction européenne - la liberté de mouvement des personnes ET des capitaux -, et surtout aux conventions fiscales en vigueur, est-elle loin d'être acquise.

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