Construire une tour sans grue

Une entreprise de Montréal, Upbrella Construction et l'ingénierie 3L Innogenie construisent un immeuble de dix étages au coeur de Montréal, en commençant par la toiture et un premier plancher.

Puis on soulève et on construit l'étage suivant qui est en dessous. Les premiers étages construits peuvent être habités, les ouvriers travaillent à l'abri des intempéries, l'effet urbain est réduit et sans grue. Et l'on peut construire des étages « à la demande ». Je vous recommande de voir l'évolution du chantier que propose Upbrella.

Imaginer de construire ainsi un immeuble est pour moi absolument admirable.

Nous sommes de la civilisation du Lego et de la brique que l'on pose et que l'on assemble. Même l'imprimante 3D n'en est qu'à ses débuts, tant elle change la vision de la fabrication industrielle : on n'assemble plus, on imagine d'emblée une globalité avec la possibilité d'introduire dix matériaux différents. La rupture mentale est poussée en dehors des limites du concevable traditionnel. On entre là pleinement dans la prospective : imaginer l'impensable, c'est la rupture cognitive totale. Je suppose que bien des fous ont imaginé la technologie développée par Upbrella et 3L. Ils ont dû se faire rembarrer brusquement, comme Steven Sasson à Kodak en 1975, présentant la première photo numérique.

L'histoire est ingrate. Steven Sasson est devenu célèbre lorsque Kodak, en 2012, a déposé le bilan. Combien de Steven Sasson ont été oubliés alors qu'ils avaient proposé des systèmes révolutionnaires d'immeubles ! Il faut le courage d'entrepreneurs pour se lancer dans un tel projet. Peut-être qu'Upbrella connaîtra un succès extraordinaire. Peut-être pas.

Il y a eu le créateur, il y a le développeur, il faudra le gestionnaire. L'histoire est ingrate, car on ne se souvient que des succès. Semmelweis a découvert la nécessaire hygiène des médecins environ trente-cinq ans avant Pasteur.

Il est mort dans un asile. Bien des créateurs n'ont pas été écoutés par des développeurs.

C'est ici le créateur qui m'interpelle : imaginer construire le toit d'un immeuble puis le soulever pour construire les étages ! Quels signaux faibles ont bien pu déclencher l'hypothèse ? Combien de fois a-t-il entendu « tu marches sur la tête » ? Souvent l'entreprise - et donc ses cadres - n'a pas la culture du risque pour dire « Essayons ! » Marcher sur la tête est un exercice utile à faire pour changer le regard. Exemple : prenez la carte du monde sur une feuille de papier, avec l'océan Pacifique au centre, tournez en mettant le pôle Nord en bas... Vous marchez sur la tête !

Je repars en plongée.

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L'ouvrage le plus récent de Philippe Cahen :
Les Secrets de la prospective par les signaux faibles, Éditions Kawa, 2013

À découvrir aussi sa contribution à l'ouvrage collectif Rupture, vous avez dit disrupture ? Le futur est déjà derrière nous, Éditions Kawa, 2015.

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