Arnaud Montebourg et la « grammaire des affaires »...

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Ainsi donc en France, en 2012, un ministre, fut-il du « Redressement productif », peut s'affranchir des bornes de l'impuissance publique en menaçant un investisseur étranger d'un pays ami de l'exproprier (contre indemnisation, quand même) parce qu'il ne se plie pas aux conditions fixées par un de ses concurrents pour reprendre un site industriel menacé... Drôle de conception du droit de propriété, garanti par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et drôle de vision de la concurrence dans un monde ouvert.

Ironie de l'histoire, au moment même où Arnaud Montebourg lançait, dans les « Echos », sa violente charge contre Mittal -« Nous ne voulons plus de Mittal en France, parce qu'ils n'ont pas respecté la France »- sa colloègue de Bercy, la ministre au commerce extérieur, Nicole Bricq publiait un communiqué tonitruant sobrement intitulé « Les investisseurs russes sont bienvenus en France » ! Piquant, lorsque l'on sait que parmi les candidats à la reprise du site de Florange, dans sa totalité, y compris la filière "aval", celle que Mittal considère comme « stratégique », figure le russe Severstal, principal concurrent de Mittal sur le marché mondial.

L'idée séduit à gauche et les élus concernés (dont certains de droite), c'est normal

On l'aura compris, à force de mouliner, Arnaud Montebourg a fini par franchir le Rubicon. Avec sa nationalisation-sanction, on se croirait revenu en 1981, voire en 1946, quand l'Etat avait repris, avec de plus solides arguments historiques, le contrôle de la Régie Renault. Mais, puisque c'est d'une nationalisation temporaire qu'il s'agirait, pour céder le site de Florange à un nouvel investisseur, parlons plutôt d'une ingérence de l'Etat dans les affaires privées. L'idée séduit à gauche et les élus locaux concernés (dont certains d'opposition), c'est normal. Elle a des partisans à droite, notamment Thierry Breton, l'ancien ministre de l'Economie et des Finances, qui avait vainement tenté de s'opposer en 2006 à l'OPA de Mittal sur Arcelor, en invoquant ce qu'il appelait la « Grammaire des Affaires ». L'Etat n'étant plus actionnaire d'Arcelor, il s'était efforcé de faire signer au milliardaire anglo-indien installé à Londres une série d'engagements avec les parties prenantes de l'aciériste, Etat, collectivités locales et salariés.

Parmi ceux-ci figurait la promesse de ne pas fermer les hauts-fourneaux de Gandrange et de Florange. Mais c'était compter sans la crise. Prudent, Mittal avait bien pris soin de préciser que cet engagement nécessitait « des perspectives favorables à moyen et long terme ». Or, le marché de l'acier s'est retourné depuis 2007, notamment avec la chute des ventes automobiles en Europe. Et la restructuration, inévitable et longtemps retardée, de la sidérurgie lorraine est revenue en boomerang à la figure de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande. Arcelor avant Mittal prévoyait déjà de fermer Gandrange et Florange. C'est Mittal qui en subit les conséquences politiques.

Bien sûr, le groupe Mittal n'est pas loin s'en faut un enfant de ch?ur. Son comportement évoque plus celui d'un investisseur financier sans états d'âme qu'un véritable industriel qui a une stratégie et un projet pour les pays où il a investi. Avec ses 20.000 emplois, ses 4,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires et ses 150 implantations, la France ne pèse que 7% sur l'échiquier du premier groupe mondial. Le gouvernement lui reproche à raison de n'avoir pas tenu les engagements pris lors de son OPA sur Arcelor-Mittal en 2006. Mais le risque d'une nationalisation même temporaire en vaut-il vraiment la chandelle ? Qu'est-ce qui garantit l'existence de  repreneurs pour les hauts-fourneaux de Florange et sa pérennité dans un marché mondial de l'acier en surcapacités ? Le vrai faux repreneur libyen de Petroplus ne vient-il de s'évanouir dans les sables du désert..

Quoi qu'on en pense, c'est le droit de Lakshmi Mittal de fermer ces usines

Même s'il a en partie adouci son propos ce lundi en déclarant qu'il ne visait que le site de Florange et pas la totalité des activités de Mittal en France, Arnaud Montebourg a-t-il mesuré les dégâts qu'il vient de faire pour l'attractivité de la France ?Quels que soient les torts du groupe Mittal, lui reprocher de vouloir rationaliser ses activités de hauts-fourneaux sur les sites de Fos et de Dunkerque, bien mieux placés pour des raisons géographiques évidentes, est une ingérence de l'Etat dans sa liberté de gestion. Quoi qu'on en pense, c'est le droit de Lakshmi Mittal de fermer ces usines, tout comme cela a été le droit et la responsabilité des dirigeants de PSA-Peugeot-Citroën de fermer le site d'Aulnay, ou de Danone de fermer ses biscuiteries. D'ailleurs, sur Aulnay, Arnaud Montebourg n'a rien pu y faire, en dépit de ses attaques répétées contre la famille Peugeot.

Comment justifier en gouvernance publique, un acte aussi fort qu'une nationalisation de la sidérurgie lorraine, sans immédiatement se voir appelé à faire de même pour toutes les industries en difficultés ? Pourquoi ce qui serait valable pour 650 salariés de Florange ne le serait-il pas pour 500 ouvriers de l'automobile (PSA) ? Pour 350 chercheurs en pharmacie (Sanofi) ? L'Etat va-t-il avec Montebourg sauver sur fonds publics toute l'économie française ? C'est peut-être le rêve secret du chevalier blanc du redressement productif, un rêve sympathique et populaire, mais en réalité populiste. Ce n'est évidemment pas possible, avec une dette publique qui se rapporche des 100% du PIB et les agences de notation en embuscade. Sauver PSA, à l'image de la nationalisation de General Motors par Obama (qui a d'ailleurs accepté une très dure restructuration du groupe automobile) ou bien une banque comme le Royaume-Uni, pour éviter de faire sauter la planète financière, pourquoi pas. Mais sauver un haut-fourneau, aussi symbolique soit-il, entre-t-il vraiment dans la vocation de l'Etat en 2012 ?

François Hollande ferait donc bien d'y réfléchir à deux fois avant de suivre son ministre du redressement productif

Enfin, quel investisseur étranger va prendre au sérieux un gouvernement qui changerait à ce point la grammaire des affaires en France ? Voilà un pays où l'on vous accueille à bras ouverts quand tout va bien mais où l'on vous conchie lorsque les affaires vont mal et qu'il faut restructurer une activité pour s'adapter à un changement durable de l'environnement économique. Ajouté à un environnement fiscal parmi les plus défavorable des pays développés, la France qui ne manque pourtant pas d'atouts, de par sa position géographique, la qualification et la productivité de sa main d'?uvre et la qualité de ses infrastructures publiques, va finir par faire fuir les meilleures volontés.

François Hollande ferait donc bien d'y réfléchir à deux fois avant de suivre son ministre du redressement productif sur ce terrain. La méthode Montebourg qui sait à merveille se servir des médias pour faire parler de lui, pourrait bien finir par détruire plus d'emplois qui ne se créeront pas ou plus qu'il ne parviendra à en sauver, de guerre lasse, parce que l'Etat, sans aucune légitimité autre qu'un politique industrielle défensive, viendra se substituer à des investisseurs privés.
 

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Commentaires 47
à écrit le 29/11/2012 à 13:34
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"Or, la vérité et la politique habitent rarement sous le même toit, et là où l?on veut dessiner une figure avec l?intention de plaire à la multitude, il y a peu de justice à attendre des serviteurs complaisants de l?opinion publique." Stefan Zweig Ma...

à écrit le 27/11/2012 à 21:42
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C'est n'importe quoi ce qui se passe contre un investisseur!! C'est n'importe quoi ce qui se passe contre un investisseur!! Si Mittal déménagerais ailleurs, licenciant au passage les 20.0000 employés d?Arcelor en France, ça réveilleras peut être M...

à écrit le 27/11/2012 à 19:34
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avoir du travail, aujourd'hui fait aussi partie de la charte des des droits de l'homme, et un industriel comme Mr Mittal qui c'est goinfrais des deniers publique il les temps qu'il dégage

à écrit le 27/11/2012 à 18:04
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Avec des entreprises de cette taille et "quoi qu'on en pense" (magnifique argument au passage...), l'intérêt national et commun dépasse de très loin le supposé "droit" de Mittal de mettre au chômages 3000 personnes pour une supposée "rationalisation"...

à écrit le 27/11/2012 à 15:05
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Ce que propose Montebourg n'est peut être pas la meilleure solution mais il envoi e un signal d'alarme aux investisseurs et je trouve ça plutôt courageux sinon laisser faire les investisseurs appliquer leur dictat sans réagir comme le souhaite la dro...

le 27/11/2012 à 15:24
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faire respecter le droit de propriété, c'est la loi de la jungle ??? vous confondez, c'est tout l'inverse.

à écrit le 27/11/2012 à 14:14
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Le ministre du Redressement Productif ou le branquignol a du mal a s'arrêter de parler, par ailleurs on peut constater qu'il s'écoute beaucoup quand il parle.

à écrit le 27/11/2012 à 12:04
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Montebourg est un paysan qui ne comprend rien aux affaires! Il doit être vendu à 1 centime symbolique!

le 27/11/2012 à 12:25
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L'état français ne sait pas créer des jobs! Plus de 30 ans que ça dure!! Alors qu'ils arrêtent de mettre leurs nez dans les affaires!

à écrit le 27/11/2012 à 10:43
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A nous de créer un climat économique qui fasse que les entreprises aient le désir de travailler chez nous. Une autre solution ? Ne cherchez pas il n'y en a pas.

le 27/11/2012 à 21:25
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Avec des salaries en grÚve constante... Il et beau le climat économique !!!

à écrit le 27/11/2012 à 10:04
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Oui, la liberté d'entreprendre existe en France. Cependant Mittal ne peut se retrancher derrière "la crise" pour ne pas tenir ses engagements, n'a t-il pas fait 8 milliards de profits en 2011 (et les perspectives pour 2012 sont encore meilleures!) Co...

le 27/11/2012 à 10:18
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les perspectives 2012 de la sidérurgie sont catastrophiques, mittal est super endetté, comme d'habitude, les lunettes roses permettent de voir le patron plus beau qu'il ne l'est ..

le 27/11/2012 à 11:07
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et le groupe possède 11,5 millions de tonne de capacité de production en France sans Florange. Florange ne pèse que 16% de la capacité française , ce qui laissera finalement toujours Mittal en situation de domination.... sauf si , pour compenser la p...

le 27/11/2012 à 11:14
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si la siderurgie est strategique, que dire de l'agriculture, ..... bien évidemment, la siderurgie n'a rien de stratégique !!! et quand De Gaulle nationalise les banques, cela nous coûte des milliards !! quelle opération stupide dont nous payons enco...

à écrit le 27/11/2012 à 9:40
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Comme tout patron c dans son droit de fermer, malheureusement c comme ça. nous avons la même choses ici au Luxembourg

le 27/11/2012 à 19:44
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peu être mais ici ont en France les salariés ont des droits, le droit de vivre et d'avoir un travail.

le 27/11/2012 à 21:30
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Et aussi le droit de grÚve qui a tué, tué et tuera tant d'entreprises... Ouvrez les yeux, nous passons pour des fainéants dans le monde entier, alors mettez vous au travail et arrêtée de vous plaindre si vous voulez avoir des droit !!

le 30/11/2012 à 15:48
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Si les gens étaient mieux payés et surtout ressentaient de la reconnaissance pour le travail qu'ils font il y aurait moins de grèves... on récolte toujours ce que l'on sème. Concernant le fait que nous soyons des fainéants, je ne connais pas d'entre...

à écrit le 27/11/2012 à 9:29
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dans ce dossier, il faudrait aussi faire le parallèle entre notre site français, et la situation, pas plus brillante, de Seraing, où les deux hauts fourneaux sont eux aussi à l'arrêt, attendant des jors meilleurs, mais aussi coulés par la fameuse ta...

à écrit le 27/11/2012 à 9:09
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Encore une fois, il faudrait virer ces ENARques, avocats ou autres personnels politiques qui n'ont jamais travaillé. Facilitons l'alternance privé - public - politique (où hors fonctionnaire, Enarchie et docteur, il n'y a quasiment pas d'autres repr...

le 27/11/2012 à 10:45
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Pour votre info, Montebourg a raté le concourt de l'ENA et il est avocat

à écrit le 27/11/2012 à 8:45
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Au lieu de soutenir des industries de l?avenir, on soutien les industries mortes et perdons notre temps et argent ! La gesticulation politique et presque raciste dans l?affaire Mittal est la preuve que nous sommes bien en décadence aggravée !!

à écrit le 27/11/2012 à 8:41
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Notre Zorro national qui n'a jamais travaillé dans une entreprise, et qui veut apprendre aux autres comment il faut faire, comment va-t-il le vendre, son acier produit à Florange ? Via le réseau de Mittal ?

le 27/11/2012 à 15:55
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Non ; il va mettre des tonnes d'acier à bon marche dans le bon coin, avec photos de lui déguisé en col bleu !

à écrit le 27/11/2012 à 7:24
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merci pour cet article nuancé

à écrit le 26/11/2012 à 23:42
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Voila comment le contrat de fusion a été fait à l?époque... Je crois que, malheureusement, Montebourg préfère les cameras aux gens.

à écrit le 26/11/2012 à 23:41
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Ce n'est pas en insultant les ressortissants indiens, à cause d'un vieux fond raciste latent qui caractériserait le personnage, qu'on vendra nos avions Rafales à ce pays (ni à aucun autre, d'ailleurs).

à écrit le 26/11/2012 à 22:36
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C'est vraiment intéressant tous vos commentaire, mais perso moi je travail chez ARCELORMITTAL Florange et je ne comprends pas pourquoi des gens sont capable de dire que MITTAL emploi des de la main d??uvre peu qualifié alors que cet personne n'a sans...

le 26/11/2012 à 22:59
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C'est peut-être triste mais il y a déjà 4 millions de chômeurs en France qui attendent aussi une solution. Aller Arnaud encore un petit effort!

le 27/11/2012 à 0:51
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Je t''approuve à 100%, Arnaud.

le 27/11/2012 à 2:56
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@Merci Arnaud : Quand Mittal met des gens dehors, ce n'est jamais par plaisir. jusqu'à ce jour personne n'a été capable de démontrer la rentabilité de Florange. J'y suis allé, et l'état de rouille de ce site amène à se demander les raisons qui ont am...

le 27/11/2012 à 9:49
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Ce n'est pas à la société ou à l'état à fournir du travail aux chômeurs. Et pourquoi pas un compagnon pour les célibataires, une salle de sport pour les non sportifs, un cinéma pour les amoureux du cinéma, etc etc etc ...

le 27/11/2012 à 9:53
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Ar naud montebourg, un avocat au service des syndicalistes de florange....ferait bien de derouler le tapis rouge aux entrepreneurs qui veulent encore travailler en France au lieu de les invectiver de facon irresponsable....quand va t il sauter de s...

à écrit le 26/11/2012 à 21:47
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La bande d'amateurs aux commades depuis mai dernier va conduire le pays a sa perte.

le 27/11/2012 à 6:33
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A défaut de "démondialisation" commençons par la "démontebourisation" suivie de "dégauchisation"

le 27/11/2012 à 17:37
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c'est vrai que l'UMP a l'air de bien se porter...

à écrit le 26/11/2012 à 21:39
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Florange est aux enchères négatives. A quel moindre prix pour l'état français un industriel reprendrait-t-il le site, sous contrainte de conserver l'exploitation des 2 hauts fourneaux obsolètes, mal situés géographiquement, mais fierté de la France e...

à écrit le 26/11/2012 à 21:39
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La France est un des derniers pays communistes. Encore un peu de patience et.... on se retrouve au niveau de la Corée du Nord. Demandez aux restos du coeur le nombre de nouveaux venus cette année. Hallucinant.

à écrit le 26/11/2012 à 21:06
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A tous ceux qui constestent le droit de Mittal de gérer ses affaires comme bon lui semble dans le respect de la loi Française, il serait intéressant d'imaginer le gouvernement indien nationaliser les grosses sociétés Françaises implantées en Inde pro...

le 26/11/2012 à 21:22
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D'autant plus que Mittal emploie en France une main d'ouvre peu qualifiée, chère et sur un marché en totale déperdition. Amusant comme parralèle :-))

le 26/11/2012 à 21:55
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C'est justement parce que les autres defendent leurs interets que l'on serait bien avise d'en faire autant. aleez faire du business en chine vous verrez comment ca se passe. Et surtout n'oubliez pas la DDH histoire de faire rire vos hotes....

à écrit le 26/11/2012 à 20:38
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Montebourg, le Hugo Chavez français !!

à écrit le 26/11/2012 à 20:36
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Est-ce que M Montebourg a jamais travaillé dans une industrie ? Dans un poste si importante, Ministre du Redressement Productive, on ne place pas quelqu'un qui n'a aucune expérience... D'au moins dans le monde réel

à écrit le 26/11/2012 à 20:29
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Le droit de fermer les usines n'est pas de droit divin, ni metaphysique. Il est assis sur la loi qui est fait par des hommes dont l'objectif est d'assurer leur developpement, ce qui se traduit dans le cas extreme par leur survie. Aujourd'hui le compo...

le 27/11/2012 à 13:18
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"le droit de fermer des usines" ???? "la loi est faite par les hommes" ???? il me semble que vous devriez vous pencher sur l'analyse du concept de droit de propriété, et sur la différence entre le droit naturel et le droit positif. Vous sortiriez ain...

le 28/11/2012 à 20:01
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Oui je serai plus nuancé , je penses que les entreprises , dont le nombre d'actionnaires n'est pas supérieur au minimum légal et qui n'ont jamais reçu des aides d'un organisme public , aient conservent les mêmes droits et devoir d'avant la crise . Le...

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