S'il te plaît, dessine-moi une casserole  !

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Emmanuel Macron retourne sur le terrain bravant la foule en colère. Pour apaiser, il multiplie les mesures sucrées et les promesses risquées, mais dans une France désormais désargentée. En une journée, les 100 jours jusqu'au 14 juillet ont été reportés à la fin de l'année. Sa vie sans Laurent Berger ne sera pas forcément plus facile...
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

Je suis un objet, de forme cylindrique (et creux en règle générale), présent dans tous les foyers français. Mon nom est originaire du latin cattia, ou du grec kuathion, ou cassa en vieux provençal. Au sens figuré, j'évoque un instrument de musique peu harmonieux ou une personne qui chante faux. En termes familiers, je suis une sale affaire dont on peine à se débarrasser, qui donne une mauvaise image de soi. En Belgique, je suis une marmite. Au Québec, un chaudron. On me trouve dans toutes les cuisines et depuis une semaine, j'accompagne bruyamment chaque déplacement du président de la République française ou d'un membre de son gouvernement. Je suis interdite de sortie par arrêté préfectoral.

Je suis, je suis... ? S'il te plaît, dessine-moi une casserole, pourrait dire le Petit Prince qui célèbre son 80ème anniversaire cette année. Les « moutons » apprécieront.

Mais enfin, « ce n'est pas avec des casseroles qu'on fera avancer la France », a rétorqué Emmanuel Macron lors de sa première sortie dans le Bas-Rhin mercredi dernier, face à la cacophonie organisé par une partie de la population. Depuis la promulgation, nuitamment, de la loi sur les retraites, la veille du long Pont de Pâques, les cloches sonnent pour marquer le mécontentement populaire, qui reste majoritaire dans l'opinion toujours aussi opposée au relèvement de l'âge à 64 ans, applicable dés septembre prochain. « Ta retraite, on en veut pas, qu'est que t'as pas compris, tdc... », lui a lancé non sans une pointe de vulgarité un retraité à Sélestat en Alsace.

Bref, le temps de l'apaisement n'est pas encore venu, en dépit des efforts du chef de l'Etat pour renouer avec les Français. En moins de 24 heures, ses 100 jours évoqués lundi lors de son allocution sont devenus « à la fin de l'année » mardi après la rencontre avec le patronat, appelé à rouvrir le chantier de la pénibilité et des seniors avec les syndicats. Bref, Macron, après avoir posé ses trois chantiers pour tenir jusqu'en 2027, a passé le mistigri : il a fait le sale boulot, au patronat de se débrouiller avec les seniors... Après un temps de décence, comme l'a réclamé Laurent Berger avant de tirer sa révérence, comme prévu. Eclipse provisoire ? A suivre.

Il faut reconnaître cette vertu à Emmanuel Macron, il faut un courage certain pour retourner au contact, comme lors du Grand Débat. Pour réexpliquer inlassablement les raisons qui le font affronter une impopularité record pour imposer sa réforme des retraites, pour maintenir le cap des transformations du pays avec conviction, à défaut d'être compris. Bref, cette semaine, Emmanuel Macron est redescendu dans l'arène, et il n'avait pas la besace vide, malgré le discours de rigueur tenu par les duettistes de Bercy, Bruno Le Maire et Gabriel Attal, qui ont passé la semaine à expliquer qu'avec la hausse des charges de la dette, la France allait devoir se serrer la ceinture.

Que nenni, le président a trouvé les moyens de redistribuer un peu d'argent aux profs qui seront augmentés de 100 à 500 euros nets par mois, à condition de faire des heures sup'... C'est le retour du « travailler plus pour gagner plus » à la mode Education nationale. Cela tombe bien, Nicolas Sarkozy, inventeur de cette formule en 2007, « se verrait bien », dit-on sans rire, rempiler à... Matignon.... Ce qui placerait de facto d'emblée Emmanuel Macron dans une forme de cohabitation forcée avec la droite. Mais a-t-il le choix, sans autre majorité possible à l'Assemblée nationale.

Pour l'instant, le chef de l'Etat n'a pas l'air pressé de remplacer Elisabeth Borne. Car qui mettre à sa place sans se lier les mains avec un Premier ministre devenu tout-puissant ? Jupiter hésite et on le comprend. Il n'a pas envie de finir les quatre dernières années de son deuxième mandat « chiraquisé » en « roi-fainéant » cantonné au « domaine réservé », l'international. Non ! Le seul maître à bord, après Dieu, c'est lui ! N'a-t-il pas reconstruit Notre-Dame de Paris ? Emmanuel Macron en reprenant ses déplacements malgré les casseroles et les sifflets, a été clair, net et incisif : « Il y a une Constitution, c'est le président qui décide. J'ai un CDD jusqu'en 2027. (Elisabeth Borne) a ma confiance sinon elle ne serait pas en charge de la feuille de route ».

Le chef de l'Etat, enfin débarrassé de l'ombre de Laurent Berger, le leader de la CFDT qui a annoncé son départ programmé en fait de longue date, a multiplié les contre-feux pour adoucir ou faire oublier le sel des retraites. L'école d'abord, avec l'augmentation des profs ou la promesse du remplacement systématique des enseignants absents dès 2023. Risqué... La santé ensuite, avec l'engagement, tout aussi hasardeux, de désengorger les urgences d'ici fin 2024. « Inatteignable » selon les syndicats. Emmanuel Macron devrait faire attention car les Français pourraient bien faire le décompte de toutes les promesses qu'il n'a pas tenues ... ou qu'il ne tiendra pas. Par exemple, celle de baisser les droits de succession et de faciliter les donations anticipées aurait du plomb dans l'aile.

Malgré le retournement du cycle budgétaire, Emmanuel Macron est entré dans une nouvelle séquence plus sociale pour arrondir les angles. Outre la liste à la Prévert de la CFDT, léguée par Laurent Berger à Marylise Léon, qui sera abordée dans la grande négociation lancée entre les partenaires sociaux et à l'occasion de la future loi Travail (semaine de quatre jours, compte épargne temps, partage de la valeur), le gouvernement va être tiraillé entre la rigueur budgétaire et la défense du pouvoir d'achat. Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, incarne ce grand écart : il a annoncé vendredi que le bouclier tarifaire sur les prix de l'électricité sera prolongé d'un an pour éviter une explosion des factures pour les ménages.

Il n'a guère le choix, car l'effet de rattrapage à la hausse pourrait plomber les plus bas revenus en 2024. En revanche, grâce à la baisse des prix, il peut renoncer pour le moment aux tarifs réglementés sur le gaz.

Reste que la stratégie de compensation de la hausse des prix de l'énergie depuis le début de la guerre en Ukraine a été ruineuse pour les comptes publics : plus de 100 milliards dépensés depuis l'automne 2021 !

Il est donc plus que temps de refroidir la dépense publique, non seulement pour revenir dans les clous du pacte de stabilité, même si celui-ci sera adapté par Bruxelles aux réalités des temps, mais surtout pour éviter qu'un Premier ministre ne se réveille un matin en s'écriant, tel François Fillon le 21 septembre 2007 : « je suis à la tête d'un Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier ».

Cette sombre perspective, avec d'ici 2027 une dérive de 10 milliards d'euros des charges de la dette par rapport aux prévisions, autant que le gain de la réforme des retraites, ne dissuade en rien les ambitions pour succéder à Elisabeth Borne : Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Gabriel Attal, Clément Beaune, Olivier Dussopt, Olivier Véran, au sein du gouvernement (tiens, que des hommes !) Et pourquoi pas aussi Olivia Grégoire, la ministre des PME, très en vogue à l'Elysée. Ou même Gérard Larcher, Nicolas Sarkozy, Eric Woerth, pour assumer le virage à droite...

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Qui veut la mort des ZFE (Zones à faibles émissions) ? C'est le débat de la semaine entre Olivier Blond, conseiller régional d'Ile-de-France délégué à la santé environnementale, et David Belliard, adjoint à la maire de Paris en charge des mobilités.

La collecte de tous les records du Livret A, à 3% net d'impôts. L'encours du placement le plus populaire avec l'assurance-vie frôle les 400 milliards d'euros. A noter que selon la Banque de France, les épargnants âgés de plus de 65 ans détiennent 34% des encours des livrets A, mais 21% des livrets - soit leur poids dans la population française au 1er janvier 2022.

Bientôt le retour de la taxe carbone pour les ménages, et celui des Gilets jaunes en Europe ? Le Parlement européen a adopté cette semaine la réforme du marché carbone, qui s'étendra dès 2027 au chauffage et au carburant pour les particuliers et risque forcément d'aboutir à une hausse des factures.

La guerre de l'IA s'intensifie. Champion de l'intelligence artificielle, Google n'a pas réussi à suivre la vague d'innovations lancée par OpenAI et Microsoft depuis la sortie de ChatGPT fin 2022. Pour rattraper son retard, le géant de la tech a donc décidé de fusionner ses deux laboratoires de recherches en IA, Google Brain et DeepMind, au sein d'une même méga-division. Décryptage de François Manens.

L'avenir de la presse écrite à suivre en écoutant au volant. Une tribune de Jérôme Doncieux sur l'avenir brillant de Votre Tribune et des médias en général dans la future voiture autonome.

Pour celles et ceux qui partent ce week-end à Biarritz, voici comment le Pays Basque veut mettre de l'ordre dans les excès des locations saisonnières sur Airbnb.

A ne pas manquer, retrouvez la liste des 10 startups lauréates du Concours Tech For Future 2023. Et la newsletter de Sylvain Rolland, rédacteur en chef adjoint Tech. Parmi les près de 1.000 candidats, nous avons sélectionné près de 220 « vraies » innovations, utiles et souhaitables, qu'elles soient technologiques ou d'usage. 51 ont été primées. Dix d'entre elles ont l'honneur d'être désignées « startups de l'année 2023 » par La Tribune, et présentées sur la scène mythique du Grand Rex le 6 avril, en présence de l'ensemble de la French Tech réunie pour l'occasion. Les 51 femmes et hommes que nous proposons de découvrir viennent de tous les milieux économiques et sociaux, ils ont entre 22 ans et 67 ans, 35% sont des femmes, plus de la moitié sont des deeptech, ces innovations de rupture issues de l'excellence de la recherche française.

Enfin, notre nouvelle superbe newsletter hebdomadaire CONTRE-COURANT, L'ÉNERGIE AUTREMENT, conçue et réalisée par notre duo Juliette Raynal et Marine Godelier, qui suivent pour La Tribune les défis de la transition énergétique avec un regard très « Tribune ». A la Une cette semaine, neuf questions pour comprendre la disparition du tarif réglementé du gaz.

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Philippe Mabille

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Commentaires 6
à écrit le 22/04/2023 à 11:06
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Ces français qui tapent sur des casseroles parce qu'ils ne veulent pas travailler. C'est tout ce qu'ils ont trouvé à faire. Le président à raison : Ce n'est pas ça qui fait avancer la France

le 23/04/2023 à 11:08
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Avancez le pays ? Mais de quel pays parlez vous : celui des retraités. à 4000€ roulant en tesla, des salariés vendus à la clique anglo- germano saxonnes a 5000€ net mensuel ? Vous oubliez un peu rapidement que c est sur le dos des salariés aux missi...

le 23/04/2023 à 11:14
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Vous avez raison on va vous enlevez votre retraite vu que ce sont les actifs actuels qui payent ce qu eux même n auront pas : preretraite à 58 ans, carrière lineaire, ascenseur social, bien immo paye par l’inflation des années 70-80…. Ramenez là p...

à écrit le 22/04/2023 à 10:48
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Macron récolte la colère après avoir semé la misère au travail. En détériorant la vie des travailleurs, en ignorant leur aspiration à une vie plus apaisée, plus reposante, moins productiviste, il a semé la colère, la défiance toujours plus grande à l...

le 22/04/2023 à 19:53
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Bienvenue au pays des Calimeros...mdr

le 22/04/2023 à 21:52
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" plus reposante, moins productiviste " C'est certainement possible mais pas en gagnant plus de salaire et plus de retraite. Tout choix de vie est respectable dans la mesure où l'on en accepte les conséquences. C'est l'éternel beurre et l'argent du ...

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