Faut-il réinventer la croissance ?

Marie-Ange Andrieux, directeur des Partenariats de Deloitte, s'interroge sur le changement de nature de la croissance économique. La Tribune a publié un extrait de ses idées ; Le Blog Initié en propose l'intégralité. Expert-comptable, diplômée d'HEC et Sciences-Po, Marie-Ange Andrieux est également titulaire d'une maîtrise en droit des affaires.  Expert reconnue en matière de gouvernance et Président, à ce titre, de la Commission internationale et membre du Collège de l'Institut français des administrateurs (IFA), Marie-Ange Andrieux mène depuis une dizaine d'années des recherches approfondies et des activités de conseil sur la valorisation et le capital immatériel des entreprises. Dans ce cadre, elle co-préside la Commission « Innovation et Immatériel» du Groupement des Professions de Services et dirige la Tribune Sciences-Po de l'économie de l'immatériel.

Voici son essai.

L'économie du XXIème siècle est entrée dans une civilisation du quaternaire, où les besoins des « consom-acteurs » et des citoyens sont passés de l' « avoir plus » au « vivre autrement », tendance catalysée par la crise actuelle, démontrant les limites d'une économie trop financiarisée et court termiste.

Face à ce nouveau paradigme, la croissance va changer de nature : plus uniquement financière, elle devient aussi équilibrée et équitable (allocation des richesses au sein des pays riches, entre les pays développés, émergents et pauvres), verte (en réponse aux enjeux climatiques et environnementaux), éthique (pour faire face à la recherche de sens et limiter les risques de démobilisation ou de dérapages sociaux).

En conséquence, les racines de la croissance à réinventer et de la compétitivité se déplacent du capital technique et financier vers les actifs immatériels, notamment l'innovation et la connaissance : une économie de l'immatériel (1), où tous les acteurs doivent se mobiliser tant au niveau micro que macro économique.

Au-delà de leur contenu visible, les produits et les services doivent être porteurs d'une offre plus immatérielle, qu'ils soient fournis par le monde marchand (les entreprises tous secteurs confondus), la sphère publique ou le territoire social et associatif (qui, avec une personnalité macro-économique incontournable, assure des activités désormais essentielles à la collectivité) :il s'agit de satisfaire aux exigences de savoir-être, de gain de temps et de bien-être, de santé, de beauté, de sécurité, et, aux préoccupations croissantes de qualité environnementale (habitat, alimentation, transport...), et de style de vie.

Dans cette course vers une nouvelle croissance, les atouts décisifs des entreprises sont les actifs immatériels. Les entreprises de services en sont convaincues et s'organisent en conséquence. Mais, les industries sont également concernées car la valeur ajoutée et la compétitivité de leurs produits reposent sur leur association à des services et de l'immatériel.

La responsabilité des entreprises est donc de mettre en place une gouvernance de leur capital immatériel (capital clients, capital humain, marques notoriété, réputation, innovation...). La gestion des actifs immatériels, au service de la stratégie au même titre que les autres investissements de long terme, contribue aux fondamentaux de la performance et de la valeur durable :

-Un capital clients reconstruit et une innovation dynamisée, par la création d'un lien direct et intime avec le consommateur. Les nouvelles technologies de communication seront d'excellents catalyseurs, en permettant la création de communautés multiples, favorisant un processus de co-création des produits entre l'entreprise et ses clients. L'innovation est autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise et permet une réponse fine aux besoins immatériels exprimés.

-Dans cette perspective, si les marques restent nécessaires, elles ne sont plus suffisantes.  La « personnalité corporate » des entreprises et les valeurs qui l'expriment jouent un rôle déterminant dans la genèse du lien de confiance avec le client final. Le temps des entreprises est arrivé, celui où les consommateurs exigent des valeurs au-delà des marques.

-Quand les valeurs font la valeur, le capital humain retrouve une place centrale, car cette dynamique repose sur un ensemble de comportements professionnels optimisés par l'efficience collective. La notoriété et la réputation rejoignent le chemin de l'exemplarité des managers.

En contrepartie, la responsabilité des acteurs des marchés financiers serait une reconnaissance effective de ces efforts de long terme dans leur analyse et valorisation des entreprises. D'où un enjeu: pour les entreprises, construire des outils de mesure (critères extra-financiers) et une communication enrichie; pour les marchés, adapter les méthodes de rating et de valorisation, avec une pondération mieux équilibrée entre les critères financiers ayant souvent favorisé les comportements court-termistes et les critères extra-financiers, donnant une juste place aux actifs immatériels long terme.

Les enjeux macro-économiques sont considérables: en France, jusqu'à 1% de croissance et 1 millions d'emplois à la clé (1). L'Europe en a pris conscience, avec l'objectif de Lisbonne (2000) de devenir un leader de la « knowledge economy » et en mettant l'accent sur l'innovation au sommet de Barcelone (2003). Il devient toutefois urgent de mettre en place -c'est la responsabilité des pouvoirs publics- une politique concertée et coordonnée de l'innovation et de l'immatériel pour maîtriser et s'approprier les sources de cette croissance, face aux pays émergents : sur les 15 dernières années, le poids relatif de la zone euro dans le PIB mondial est passé de 19% à 15% et l'Asie de 17,5 à 30,5%. La France, pionnière de l'immatériel (Commission de l'immatériel en 2006, Création de l'Agence pour le Patrimoine Immatériel de l'Etat en 2007) pourrait jouer un rôle leader. Pourquoi ne pas créer un Secrétariat d'Etat à l'Economie de l'Immatériel et de la Connaissance ? Pourquoi pas une autre mesure pour une autre croissance : un PIB, Produit Intérieur Brut, et un PIB, Produit Immatériel Brut ? Pour rester compétitive, la France doit repousser les frontières de l'innovation et réinventer la croissance en exploitant ces nouveaux gisements de croissance et d'emploi!

Marie-Ange Andrieux

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