Loi de programmation militaire : et si le Parlement votait une rallonge financière (1/2)

Le groupe Mars critique à la fois la méthode et le fond de la prochaine loi de programmation militaire (LPM). Il estime également que la trajectoire budgétaire de 400 milliards a vocation à augmenter au cours des débats parlementaires : « Deux fois. Une première fois à l'Assemblée pour attirer les voix manquant à la majorité ; une seconde fois au Sénat pour qu'il adopte le texte, dans un contexte de méfiance, voire de ressentiment, à la suite de la révision manquée de 2021 ». Par le groupe Mars.
« Admettons qu'après avoir voté ces 13 milliards supplémentaires à l'Assemblée, le législateur adopte une nouvelle hausse au Sénat. La cible de 420 milliards reste dans le milieu de la fourchette en discussion avant l'arbitrage présidentiel. L'effort est important et remarquable, à condition d'être fixé en euros constants pour ne pas subir les effets de l'inflation. Mais n'est-ce pas la moindre des choses dès lors que la guerre est à nos portes ?  » (Le groupe Mars)
« Admettons qu'après avoir voté ces 13 milliards supplémentaires à l'Assemblée, le législateur adopte une nouvelle hausse au Sénat. La cible de 420 milliards reste dans le milieu de la fourchette en discussion avant l'arbitrage présidentiel. L'effort est important et remarquable, à condition d'être fixé en euros constants pour ne pas subir les effets de l'inflation. Mais n'est-ce pas la moindre des choses dès lors que la guerre est à nos portes ? » (Le groupe Mars) (Crédits : DR)

En présentant ses vœux aux armées le 20 janvier sur la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan, le président de la République a dévoilé les arbitrages rendus en Conseil de défense en vue de la prochaine loi de programmation militaire (LPM). Rappelons que l'actuelle LPM court théoriquement jusqu'en 2025 inclus, mais que les deux derniers exercices ne sont pas couverts financièrement, ce qui retire tout intérêt à un texte dont la valeur juridique est déjà contestée, notamment à Bercy, qui ne veut connaître que des lois de finances annuelles et des lois de programmation des finances publiques imposées par Bruxelles.

L'exercice de révision à mi-parcours, qui devait avoir lieu en 2021, n'ayant pas été concluant, c'est le moins qu'on puisse dire (le Sénat s'en est d'ailleurs montré fort marri), il fallait refaire une LPM qui s'applique à partir de 2024.

Pas de Livre Blanc

L'idéal eût été de faire précéder l'exercice par un Livre blanc. La guerre en Ukraine justifiait amplement cet effort de débat, de réflexion et d'analyse. Au lieu de cela, une prétendue et prétentieuse « revue nationale stratégique » est sortie d'on-ne-sait-où, aussi indigente qu'inadaptée au contexte. Depuis cinquante ans que la Ve République fait des Livres blancs sur la défense, c'est pourtant la première fois qu'une guerre de haute intensité se déroule à nos portes, mettant en jeu une puissance nucléaire. Mais non, circulez, il n'y a rien de nouveau à voir ! Consternant...

Nous aurons donc de nouveau une LPM tombée de l'Olympe, sortie du seul cerveau fécond de notre vieux pays de « gaulois réfractaires », donc inaptes à comprendre les évolutions du monde. Seule la « Seine de la pensée stratégique » est en effet apte à en saisir toutes les subtilités. Les arbitrages jupitériens sont donc rendus. Que le verbe divin devienne loi !

Ciel, un examen parlementaire !

Certes, la République impose de passer par le vote du Parlement, c'est fâcheux. Que de temps perdu en joutes oratoires, en débats passionnés, en amendements et sous-amendements portant sur tout sauf l'essentiel : la programmation financière. Les arbitrages sont déjà rendus et les équilibres sont si délicats qu'il paraît inconcevable d'y changer un iota. On laisse aux parlementaires un os à ronger avec la partie normative de la LPM, qu'ils peuvent amender pour ajouter ou retirer un jour d'obligations de réserve aux employeurs, et autres sujets hautement stratégiques. Les dispositions les plus techniques feront l'objet d'une habilitation à légiférer par ordonnance. C'est une affaire qui roule. Plus besoin des parlementaires pour faire la loi : la technocratie est affaire de gens sérieux, pas de bavards impénitents. Reste le rapport annexé.

En l'absence de Livre blanc digne de ce nom, ce long texte placé en annexe de la LPM pour en expliquer les tenants et les aboutissants (car les articles de loi sont souvent illisibles pour le commun des lecteurs), aura un rôle pédagogique majeur. Dépourvu de valeur juridique, son rôle politique n'est tout de même pas négligeable. Le projet de texte élaboré par les services et les états-majors, puis relu par le SGDSN avant son adoption en Conseil des ministres et son dépôt sur le bureau de l'une ou l'autre Chambre (c'est indifférent) ne ressort pas indemne des débats parlementaires. Au terme d'une vingtaine d'heures de débats en séance publique, précédées par les discussions au sein des commissions qui se sont déclarées compétentes, le rapport annexé est profondément révisé.

Gageons qu'avec une Assemblée nationale sans majorité, le phénomène soit exacerbé. La programmation financière peut-elle également évoluer ? Jusqu'à présent, ce n'était pas le cas, phénomène majoritaire oblige. Mais cette fois, le gouvernement ayant besoin d'attirer quelques dizaines de voix supplémentaires pour adopter le texte, le contexte politique est très différent.

La trajectoire financière peut-elle bouger ?

Disons que les ordres de grandeur dévoilés à Mont-de-Marsan constituent la base de départ d'une discussion. Et dans toute négociation, l'acheteur a intérêt de se positionner dans le bas de la fourchette. Il est donc vraisemblable que le chiffre de 400 milliards ait vocation à augmenter au cours des débats. Deux fois. Une première fois à l'Assemblée pour attirer les voix manquant à la majorité ; une seconde fois au Sénat pour qu'il adopte le texte, dans un contexte de méfiance, voire de ressentiment, à la suite de la révision manquée de 2021. Il est vrai que la ministre d'alors ne comprenait pas grand-chose au Parlement, alors que son successeur est un élu sachant parler à ses pairs. Donc la cible de 400 milliards sur 7 ans devrait augmenter, au moins en affermissant les 13 milliards de ressources exceptionnelles attendues, une pratique peu vertueuse justement dénoncée par la Cour des comptes, car on ne programme pas des dépenses sur la base de recettes hypothétiques.

Admettons qu'après avoir voté ces 13 milliards supplémentaires à l'Assemblée, le législateur adopte une nouvelle hausse au Sénat. La cible de 420 milliards reste dans le milieu de la fourchette en discussion avant l'arbitrage présidentiel. L'effort est important et remarquable, à condition d'être fixé en euros constants pour ne pas subir les effets de l'inflation. Mais n'est-ce pas la moindre des choses dès lors que la guerre est à nos portes ? La France n'est pas directement menacée, mais plusieurs de ses alliés en Europe le sont, notamment tous les pays européens frontaliers de la Russie.

Trois décennies de disette budgétaire

Il faut donc accélérer la reconstitution de nos stocks stratégiques et la modernisation de nos armements. Il n'est pas question d'en revenir aux gros bataillons et aux flottes pléthoriques, mais simplement de remettre à niveau une « armée complète » qui n'a maintenu sa complétude pendant trois décennies de disette budgétaire qu'au prix de son « épaisseur », de son « endurance » et de sa « masse », en maintenant une gamme variée de capacités mais à un niveau d'échantillon, pour ne pas perdre les compétences. L'efficacité de l'outil militaire a été sacrifiée au profit de sa prétendue « performance ». Et l'on parle de nouveau de « transformation », comme si les armées ne s'étaient pas transformées depuis 30 ans...

Pourtant, c'est bien une « transformation » d'un autre ordre qui devrait accompagner cet effort budgétaire pour la défense du pays. Rappelons que les « dividendes de la paix » perçus depuis 30 ans ont été investis dans la construction européenne. A la suite de la récession de 1993 qui a suivi l'adoption du traité de Maastricht, les gouvernements de droite qui se sont succédé jusqu'en 1997 n'ont eu de cesse de ponctionner le budget des armées pour satisfaire aux « critères de Maastricht », en vue de l'entrée dans l'euro, au point que c'est le gouvernement Jospin qui a dû trouver les moyens de financer la professionnalisation, il est vrai dans un contexte fiscal plus favorable. Rebelote à partir de 2002, quand les armées sont mises à contribution pour financer l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union européenne.

Il manque systématiquement une annuité en fin de LPM dans la décennie qui suit, sans parler de la « casse sociale » qu'a été la RGPP pour la défense (perte de 20% des effectifs militaires, davantage qu'aucune guerre) à l'époque du tandem Sarkozy-Fillon. Enfin, la crise de l'euro au début de la décennie 2010 a bien failli emporter le « modèle d'armée complet », avec des hypothèses de programmation de Bercy beaucoup trop draconiennes pour supporter la cure. Il a fallu toute l'habileté du ministre Le Drian pour sauver ce qui pouvait l'être en 2013, appuyé il est vrai par un Parlement majoritairement socialiste, y compris au Sénat (heureuse époque !)... et le déclenchement de Serval. On sait que le redressement commence à partir du budget 2016, avec une LPM exécutée en excédent et des effectifs repartis à la hausse, dans un contexte de menace terroriste.

Les coupes claires de la droite

Par rapport au budget de 1991, post-guerre froide et malgré les enseignements de la guerre du Golfe, la saignée est considérable. L'armée perd 18% de pouvoir d'achat en francs constants entre 1991 et 2001 soit 1 point de PIB. Le léger redressement engagé en 2002 par le gouvernement Raffarin (et son ambitieuse ministre Alliot-Marie) n'est pas poursuivi par ses successeurs. En 2010, le budget des armées est, en monnaie constante, au même niveau qu'en 1981, c'est-à-dire avant la phase d'investissement impulsée par le président Mitterrand. Dans cette période de 30 années, c'est le gouvernement Mauroy (fort de 4 ministres communistes) qui détient le record des meilleurs taux de croissance du budget des armées, alors même que le budget de 1981 (adopté par un Parlement de droite) était déjà en très forte augmentation afin de rattraper la purge des trois gouvernements Barre. Comme le révèle une étude de l'IFRI [1] en 2012, entre les 14 années de présidence de gauche et les 17 de droite dans la période, la comparaison est sans appel.

Plus étonnant, lorsqu'il faut privilégier le « welfare » sur le « warfare », la droite se distingue encore ! L'absence de vision stratégique d'une droite orpheline du gaullisme historique n'explique pas tout. Convertie au libéralisme incarné par Giscard, la droite de ces trente années piteuses pour la défense a adopté la croyance selon laquelle la libéralisation de l'économie imposée par l'UE contribue davantage à la croissance que les dépenses publiques, notamment l'investissement de défense. Dorénavant, la croissance est tirée par la consommation et les gains de productivité (sur le dos des salariés et de la sécurité sociale par l'allègement des charges patronales) plutôt que par la production industrielle. Vive l'entreprise sans usine et la flexibilité du travail ! Pour donner le change vis-à-vis de l'électorat populaire attaché au gaullisme, on fait suffisamment de « welfare », mais c'est au prix de la paupérisation des armées.

Dans la décennie suivante, le rattrapage lancé en 2016 ne fait que redresser la courbe du budget des armées qui, après l'illusion du « plan de relance » de 2009, chute dramatiquement conformément à la « transformation » consécutive à la RGPP. En 2021, malgré une LPM réputée exécutée « à l'euro près », le budget défense retrouve à peine son niveau de 1981 en monnaie constante. Entretemps, le PIB en volume (hors inflation) a gagné plus de 90% en 40 ans (ce qui en soi n'est pas un exploit). Cela signifie que les armées n'ont absolument pas profité de la croissance de ces 40 années. Les budgets successifs n'ont fait que maintenir tant bien que mal un étiage « tout juste suffisant » (expression favorite des sénateurs) pour permettre à la France de garder son rang, dans une période dépourvue de conflits majeurs et de risques vitaux pour la sécurité nationale.

[1] Martial Foucault, Les budgets de défense en France, entre déni et déclin, IFRI, Focus stratégique n°36, 2012.

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(*) Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Commentaires 5
à écrit le 06/02/2023 à 11:56
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Le général nous protégeait par la dissuasion nucléaire, préférant la diplomatie pour les tensions ineluctables a venir ... A l'époque la France possédait sa souveraineté et n'était pas aux ordres de blackrock ,de Biden, pire du comédien Zelinski,

à écrit le 06/02/2023 à 11:07
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"La guerre en Ukraine justifiait amplement cet effort de débat, de réflexion et d'analyse. " Ailleurs : Il y a quelque chose de changé au Royaume du Danemark. Le pays nordique s’apprête à sacrifier l’un de ses onze jours fériés, en l’occurrence ...

à écrit le 06/02/2023 à 9:03
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Tout est visiblement fait pour enrichir les actionnaires sans protéger le français, qui ne sait plus quoi faire en cas de conflit ou de catastrophe naturelle !

à écrit le 06/02/2023 à 8:31
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L'argent ne fait pas une politique, quel est l'objectif ? Sentinelle, les jeunes des quartiers..

à écrit le 06/02/2023 à 7:30
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Bonjour, Ils est claire que suite a la fin de la conscription, le budget militaire de la france seraient en reduction , cela explique les 30 années de reduction ... Bien sur ils ne faut pas le dire...

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