L'Etat hébreu n'est pas Netanyahou

OPINION- Assimiler un Etat à ses gouvernants est une tentation naturelle, qui n'est pas sans péril. L'antisémitisme qui caracole depuis le 7 octobre trouve une partie de son venin dans la confusion entre l'Etat hébreu et « l'œuvre » de celui qui le gouverne : Benyamin Netanyahou. Lequel devra rendre des comptes qui pourraient solder le sien. Ouvrant un jour l'espoir, même infime, d'une catharsis.
Benjamin Netanyahou
Benjamin Netanyahou (Crédits : POOL)

En France, près de 900 actes antisémites répertoriés depuis le 7 octobre, funeste jour des assassinats et des enlèvements perpétrés par le Hamas en territoire israélien. Sur l'ensemble de l'année 2022, ce sinistre décompte s'était établi à 436 (donnée ministère de l'Intérieur et Service de protection de la communauté juive). Le rapport est simple : deux fois plus de délits sur une période dix-sept fois plus courte. Simple et vertigineux. Effrayant. Et la gangrène s'étend partout, du Daghestan à Londres.

Il n'est pas nouveau, malheureusement, que le conflit israélo-palestinien « s'exprime » au-delà du Proche-Orient. Dans l'Hexagone, que distingue un cosmopolitisme unique en Europe par sa représentativité, ce conflit une fois mué en guerre et en drame humanitaire ne pouvait qu'exacerber ressentiments et haine entre membres de communautés religieuses, entre héritiers autoproclamés (avérés ou fantasmés) de ce morceau de terre convoité, entre interprètes (ou manipulateurs) politiques d'une histoire cultuelle et culturelle extraordinairement complexe, entre soutiens solidaires des aspirations émancipatrices (ou vengeresses) de chaque « camp ».

Tous les Américains « sont-ils » Donald Trump ?

Tout aussi inquiétant que cet antisémitisme « visible » est celui qui prospère dans la discrétion feutrée d'une cour de récréation, d'une conversation entre amis, d'un dîner familial. Il peut être d'une violence macabre, il peut être aussi plus insidieux et moins spectaculaire, plus suggestif et moins péremptoire, il peut découler davantage d'un aveuglement ou d'une discipline communautaires que d'un discernement autonome. Il est une zone grise insaisissable, presque impossible à repérer et donc à désamorcer. Or il n'est pas moins redoutable, car il « maintient en vie » le poison quelle que soit l'efficacité des antidotes déployés (politiques publiques, sensibilisation à l'école, etc.).

Les manifestations de l'antisémitisme relèvent pour la plupart d'une connaissance famélique ou partiale des réalités contemporaines et historiques qui scarifient le territoire que se disputent Israéliens et Palestiniens. Or l'ignorance est un levier de vulnérabilité et un terreau d'instrumentalisation particulièrement fécond. Car elle s'offre au pire piège du discernement : la confusion. Et de confusion entre l'Etat d'Israël et la politique de ses gouvernements, voilà de quoi l'antisémitisme aime se nourrir.

Associer tous les Américains à Donald Trump lorsqu'il présidait les États-Unis ou aujourd'hui tous les Italiens à Giorgia Meloni est parfaitement imbécile. Pour autant, tout voyageur préférant reporter sa découverte d'Istanbul, de Budapest ou du Rajasthan à l'« après » Erdogan, Orban ou Modi, agit-il de manière irrationnelle ? Cette confusion ridicule pour les uns, cette conscientisation politique pour les autres, s'applique à l'appréciation d'Israël : réduire l'Etat hébreu à Benyamin Netanyahou - démocratiquement élu - est insensé ; mais refuser d'indexer l'incendie actuel au visage qui incarne le pouvoir est absurde. Le processus d'identification d'un pays au régime qui l'administre est inévitable : la sympathie qu'un Européen éclairé porte sur le Brésil de Bolsonaro et celui de Lula est-il identique ?

Politique pyromane

Avec les accords historiques de Camp David (1978) et d'Oslo (1993), preuve fut faite que l'espoir de la paix était fondé, lorsqu'au poste de Premier ministre régnait un « progressiste » dans l'âme et dans les faits - et ce indépendamment de son obédience : Menahem Begin militait au sein du Likoud, Yitzhak Rabin du Parti travailliste. Or, « qu'est-ce que » Benyamin Netanyahou, Premier ministre de 1996 à 1999 et de manière quasi ininterrompue depuis 2009 ? Un élu poursuivi pour corruption, fraude, abus de confiance. Une politique explosive de colonisation en Cisjordanie. Dans une organisation démocratique atomisée, des compromis(sions) avec les formations politiques les plus extrémistes pour composer un gouvernement - jusqu'à s'accorder avec le suprémaciste Itamar Ben-Gvir à la Sécurité intérieure, lui dont « tout l'œuvre » vise à anéantir l'espoir de paix ; avec l'ultranationaliste Amichay Eliyahu, ministre du Patrimoine, évoquant le 5 novembre "l'option de larguer une bombe nucléaire" sur le territoire gazaoui ; ou le fondamentaliste Bezalel Smotrich, ministre des Finances, déterminé à enflammer le brasier en Cisjordanie.

Netanyahou, c'est aussi l'obsession de réformer le système judiciaire, qui depuis janvier a précipité chaque semaine dans les rues des dizaines de milliers d'opposants, lucides sur les répercussions anti-démocratiques d'un texte illibéral destiné à protéger son initiateur des poursuites judiciaires. Texte jugé - bien avant le 7 octobre - par des soldats réservistes et d'anciens hiérarques de Tsahal ou du renseignement intérieur à même d'affaiblir la défense du pays. C'est, également, une stratégie de répression féroce, cruelle, dans la bande de Gaza, où le sort des victimes civiles innocentes, celui de rescapés condamnés à un encellulement funèbre, et même celui des otages, semblent ne pas compter au moment de punir les soldats du Hamas de leur abominable forfait.

En résumé, une politique pyromane.

Le droit de rêver

L'instant venu, Benyamin Netanyahou rendra les comptes, et ces comptes devront solder le sien. La colère enfle au sein de la population israélienne, et il est peu probable que son hétéroclite coalition résiste à un inventaire militaire et sécuritaire qui s'annonce implacable. Selon l'évolution de sa « santé psychique collective », aujourd'hui en lambeaux mais intrinsèquement résiliente, le peuple israélien pourrait chercher une alternative qui laisse entrevoir une lumière politique et raisonnable - et ainsi imaginer, dans un avenir même lointain, esquisser la coexistence de deux Etats. La clé, pour imperméabiliser la double appréciation, aujourd'hui poreuse, qui est destinée simultanément à l'Etat hébreu et à la politique du gouvernement. Et qui exacerbe l'antisémitisme hors des frontières d'Israël. S'il est avéré que l'actualité au Proche-Orient s'infiltre dans les relations inter-communautaires en France, il doit être admis que la logique s'applique à la totalité du nuancier. Peut-on s'octroyer alors le droit, aussi infime soit-il, de rêver ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 06/11/2023 à 12:36
Signaler
On pourrait renverser le titre. Car si Netanyahou n'est pas l'état israelien, son voeu le plus intime, c'est de le faire sien. Avec, dans un premier temps, des actions "à la Trump", afin de pouvoir le gérer "à la Poutine" ultérieurement.

à écrit le 06/11/2023 à 10:12
Signaler
Bien sûr, Netanyahou n'est pas l’État hébreu à lui tout seul. Mais de Gaulle nous a montré qu'un peuple a les dirigeants qu'il mérite. Et puis Netanyahou n'est pas arrivé tout seul: Samir et Begin et d'autres ont tracé le chemin. Dans le problème - d...

à écrit le 06/11/2023 à 9:17
Signaler
Si ce n'est pas lui, cela sera un autre ! Tout tient à leur mauvaise "intégration" au monde d'aujourd'hui comme à celle d'hier ! !

à écrit le 06/11/2023 à 7:43
Signaler
Il me semble que les politiques français ainsi que les responsables israéliens ont lié pendant des années l'antisioniste et l'antisémitisme pour des raisons très intéressées. Les uns pour des jouer les victimes alors qu'ils étaient les colonisateurs ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.