« À Dubaï, le plus grand succès possible dans le monde réel » (Bertrand Piccard, président et fondateur de la Fondation Solar Impulse)

OPINION. Pour le président et fondateur de la Fondation Solar Impulse, le texte de la déclaration finale de la COP28 est « aussi vague que la divergence des intérêts, mais aussi ambitieux que la conscience du problème ».
« Les pollueurs ne sont pas tous des psychopathes sans scrupule », estime Bertrand Piccard.
« Les pollueurs ne sont pas tous des psychopathes sans scrupule », estime Bertrand Piccard. (Crédits : Solar Impulse Foundation - Peter Sandground)

Ceux qui ont boycotté la COP28 auraient pu y aller, ne serait-ce que pour se rendre compte de la réalité du monde actuel, à des années-lumière de nos débats européens. Sans émettre à son sujet d'opinion personnelle, j'ai constaté que la décroissance économique n'avait pas de place dans les discussions. L'activisme ambiant, au contraire, était celui de l'accès à l'énergie et au développement pour les pays pauvres, le financement de la transition, la justice sociale et politique, ainsi que la libération de la Palestine, très présente dans les discours et les manifestations. Argent et liberté, pour résumer les revendications.

Ma deuxième surprise fut l'ampleur de l'opposition à l'Occident et à ses valeurs par une grande partie de la Terre. De plus en plus de pays rejoignent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), et ce ne sont pas nos meilleurs alliés, pour utiliser un euphémisme diplomatique. Une immense coalition cristallise la colère du monde sans que nous ne nous remettions en question. Cela fait déjà longtemps que je dis que la misère et l'injustice ne sont pas seulement moralement inacceptables, mais aussi dangereuses pour notre sécurité. Notre avidité et besoin d'ingérence n'en ont cure, dans une mondialisation où nous exportons notre pollution et nos émissions de carbone vers des pays qui nous fournissent à bas prix des produits fabriqués par de la main-d'œuvre sous-payée. Et maintenant nous exigeons d'eux qu'ils se passent d'énergies fossiles, alors que l'Allemagne rouvre des mines de charbon et l'Angleterre, des champs de pétrole offshore... Pourquoi s'offusquer particulièrement que cette COP28 soit organisée dans un pays pétrolier, alors que ces deux pays en avaient organisé précédemment ?

Il y en a pour tout le monde...

Alors oui, le président de cette conférence est le patron de la société pétrolière d'Abou Dhabi, comme le ministre suisse de l'environnement est l'ancien président des importateurs d'huile de chauffage, et le nouveau commissaire européen au Climat un ex-cadre de Shell. Ce n'est donc pas sur un paradoxe de plus qu'il faut se focaliser, mais sur le résultat final obtenu par Sultan Al Jaber qui y a insufflé l'enthousiasme nécessaire. Quoi qu'en disent ceux qui, à raison, en auraient voulu davantage, la COP28 est le plus grand succès qu'il était possible d'obtenir dans le monde réel.

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Les objectifs de décarbonation sont clairement réaffirmés, avec cette fois plus de détails sur les moyens d'y parvenir : « transitionner » hors des sources fossiles, triplement des énergies renouvelables en soulignant leurs avantages économiques, doublement de la progression annuelle de l'efficience énergétique, lutte contre le méthane, captation et stockage du CO2 pour satisfaire les pétroliers, renouveau du nucléaire pour ceux qui pensent que les nouvelles centrales seront compétitives dans quinze ans. C'est vrai qu'il y en a pour tout le monde, mais il n'empêche que c'est la première fois dans l'histoire des COP que les énergies fossiles sont directement mentionnées. Certains sont déçus que le terme « sortir » des énergies fossiles n'y figure pas noir sur blanc, mais cette mention était-elle réaliste, alors qu'elle aurait fait perdre la face aux négociateurs qui n'auraient plus osé rentrer chez eux après avoir signé une telle capitulation ? C'est déjà un pas immense, obtenu après plusieurs nuits blanches de négociations.

Le monde réel exige de la nuance

Ce dont on ne se rend pas suffisamment compte, c'est que les pays producteurs de pétrole n'ont souvent pas d'alternative pour nourrir leur population. Ce sont d'ailleurs leurs représentants qui ont apporté les témoignages les plus poignants lors du fameux Majlis, cette tradition bédouine de palabres qui a vu tous les ministres assis en cercle sans hiérarchie. Loin des discours convenus des Occidentaux qui leur demandaient de faire des efforts, l'Irak, avec ses 4 millions de déplacés à cause de Daech, demandait comment faire tourner son économie sans son unique source de revenus. La Colombie expliquait quant à elle comment les agences internationales de notation avaient abaissé sa note à la suite de la récente décision d'arrêter l'exploration de nouveaux champs pétroliers, impliquant dévaluation et menace de récession. Les participants se retrouvaient confrontés à la réalité du monde, et c'est cela qui m'a le plus interpellé. Les pollueurs ne sont pas tous des psychopathes sans scrupule. Il y a aussi ceux qui posent la question judicieuse de savoir qui les aidera à faire mieux pour mener cette transition sans en subir des méfaits économiques.

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Quant aux compagnies pétrolières des pays riches qui ont les moyens de se diversifier, mais font tout leur possible pour prolonger le statu quo, j'avoue avoir peu de compassion. Je rappelle tout de même que leurs actionnaires sont le plus souvent des assurances-vie et des caisses de retraite, c'est-à-dire nous, plutôt que des milliardaires profiteurs. On oublie aussi qu'une sortie trop rapide des sources fossiles engendrerait une guerre civile généralisée, causée par la rupture des approvisionnements en nourriture, en eau et en médicaments. Le monde réel exige de la nuance.

La transition énergétique est économiquement viable

C'est pour cela que la déclaration finale a dû tenir compte de chacun, avec des termes acceptables par tous. Il en ressort un texte aussi vague que la divergence des intérêts, mais aussi ambitieux que la conscience du problème. Il n'y avait aucun climatoscepticisme dans l'air, au contraire, car les pays du Golfe subissent déjà de plein fouet des vagues de chaleur invivable. La question pour eux, comme me le disait un chef de délégation, est de concilier les besoins économiques immédiats avec les intérêts plus lointains. Je ne m'attendais pas à autant d'honnêteté.

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On verra maintenant comment sera mis en œuvre ce consensus de Dubaï. Dans l'immense majorité des cas, la transition énergétique est économiquement viable, mais elle demande d'aider ceux qui n'ont ni les moyens d'effectuer les investissements initiaux, ni d'assumer la diversification demandée. Le monde réel est décidément toujours un monde dirigé par les contingences financières.

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Commentaire 1
à écrit le 17/12/2023 à 9:08
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dans le monde réellement désespérant en effet, nos dirigeants sont nuls, Nietzsche nous avait prévenu seuls ceux qui ont de l'esprit auraient du posséder.

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