Boussole stratégique et défense européenne : il est temps d'avancer !

Face à l'irruption de la force au détriment du droit, à la remilitarisation massive à l'échelle mondiale et au renforcement des menaces hybrides ou asymétriques, la "Boussole stratégique", qui va fixer un cap et définir des moyens militaires pour l'Union européenne, est devenu aujourd'hui un outil "indispensable" pour les pays européens. Par Hélène Conway-Mouret, sénatrice et ex-ministre déléguée aux Affaires étrangères (2012-2014) et André Flahaut, député fédéral (Belgique), ministre d’État, ex-ministre de la Défense (1999-2007).
D'une manière générale, la Boussole stratégique doit être l'expression, pour les États membres, d'une volonté politique commune de constituer l'UE en acteur géopolitique conscient des menaces et à même de les affronter de façon crédible (Hélène Conway-Mouret et André Flahaut)
"D'une manière générale, la Boussole stratégique doit être l'expression, pour les États membres, d'une volonté politique commune de constituer l'UE en acteur géopolitique conscient des menaces et à même de les affronter de façon crédible" (Hélène Conway-Mouret et André Flahaut) (Crédits : DR)

L'opération militaire de vaste ampleur lancée en Ukraine dans la nuit du 23 au 24 février par le président Vladimir Poutine constitue la première guerre du XXIe siècle sur le continent européen. En réponse à l'offensive russe, l'Union européenne (UE) a très rapidement rappelé son attachement au droit international et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, tout en annonçant des « sanctions massives » contre la Russie. Toutefois, par-delà ces postures réactives qui, pour certaines, furent prises sous le coup de l'émotion, la question reste, pour l'Europe, de savoir comment mieux anticiper, dissuader et se protéger au sein d'un contexte international très volatil.

Une avancée majeure

La Boussole stratégique, qui sera adoptée fin mars 2022 sous la présidence française du Conseil de l'UE, peut constituer une avancée majeure pour notre défense commune. Jusqu'à présent, celle-ci - en dépit des nombreux instruments et d'initiatives multiples - est restée une chimère en raison de deux obstacles principaux : la protection confortable que représente l'OTAN pour le vieux continent et la perception différenciée des menaces par les vingt-sept États membres. Cette boussole, premier livre blanc européen de défense, entend justement dépasser ces écueils.

Dans un contexte marqué par la supplantation du droit par la force, la remilitarisation massive à l'échelle mondiale et le renforcement des menaces hybrides ou asymétriques, un tel document - qui vient fixer un cap et définir des moyens - est devenu indispensable. À elle seule, l'invasion de l'Ukraine par la Russie synthétise ces trois phénomènes qui font l'actualité des relations internationales.

Rivalités nouvelles et dynamique multipolaire

La Boussole stratégique procède d'un double constat : d'une part, l'apparition d'une rivalité nouvelle, tant politique, qu'économique et militaire, entre les États-Unis et la Chine ; d'autre part, l'existence d'une dynamique multipolaire avec un nombre croissant d'acteurs cherchant à étendre leur sphère d'influence.

Pour l'Union européenne, cela implique, d'abord, de faire évoluer sa relation à l'allié américain dont les priorités ne sont à l'évidence plus les mêmes qu'hier, ensuite, de reconnaitre l'instabilité géopolitique accrue et l'existence de menaces toujours plus imprévisibles auxquelles elle devra désormais répondre (au moins partiellement) seule. Au regard de ces évolutions, la Boussole stratégique a dès lors pour but de faire de l'Union européenne un « pourvoyeur de sécurité internationale ».

Lucidité face aux défis contemporains

Articulé autour de quatre piliers - la gestion de crise, la résilience, les capacités et les partenariats -, ce document a le mérite de procéder à une analyse lucide de la multiplication des menaces et de ne pas tomber dans la survalorisation du « soft power » face aux aspects sécuritaires et militaires. À cet égard, il convient, par exemple, de saluer la mise en place d'ici à 2025 d'une « capacité de déploiement rapide » de 5.000 hommes ; l'introduction d'ici à 2023 de modalités plus flexibles dans l'application de l'article 44 du Traité sur l'Union européenne afin de permettre à certains États membres de mener ensemble des missions dans le cadre de la PSDC [1], ou encore, l'importance accordée à la dimension militaire des nouvelles technologies, en particulier les cybermenaces et la désinformation).

Des objectifs à préciser

Toutefois, la première version du document diffusée en novembre pourrait être améliorée afin de renforcer l'outil dans son efficacité. D'une manière générale, la Boussole stratégique doit être l'expression, pour les États membres, d'une volonté politique commune de constituer l'UE en acteur géopolitique conscient des menaces et à même de les affronter de façon crédible. À cette fin, la boussole doit fixer des objectifs clairs, mesurés et hiérarchisés afin de prévenir d'éventuels conflits d'interprétation, des frustrations ou des déceptions. Ce document représente également une chance de repenser et de préciser l'articulation entre la défense européenne et l'OTAN. Une chance qu'il faut saisir !

Cela dit, il est regrettable que les discussions sur la Boussole stratégique n'aient pas été élargies aux Parlements nationaux, ce qui aurait permis d'enrichir le processus et de le faire connaître aux citoyens européens. C'est pourquoi nous soutenons la mise en place rapide d'un mécanisme de suivi et une actualisation régulière de la boussole en impliquant chaque fois les Parlements des États membres.

Une volonté politique à affirmer

D'ailleurs, comme l'a écrit le haut représentant Josep Borell en novembre 2021 [2], la Boussole stratégique n'est pas une « baguette magique ». Les résultats pratiques qu'elle produira dépendront de ce que les États membres en feront. Ils ont jusqu'au 25 mars pour apporter des changements à ce document inédit capable, espérons-le, de faire prospérer la défense européenne. Nous formulons le vœu qu'ils remédient aux insuffisances constatées car la guerre et ses drames sont de retour sur le continent européen.

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[1] La politique de sécurité et de défense commune.

[2] https://www.project-syndicate.org/commentary/eu-strategic-compass-by-josep-borrell-2021-11.

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Commentaires 2
à écrit le 23/03/2022 à 18:52
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Bonjour, Le dire s'est bien, mais construit quelque chose en commun s'est mieux ... Actuellement, beaucoup de bruits , mais rien au bout du compte...

à écrit le 22/03/2022 à 9:06
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Ce n'est pas sous la contrainte que l'on fait les bons choix, l'escroquerie utilise la même politique!

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