Cette Théorie Monétaire (MMT) qui n’a rien de Moderne

OPINION. Notre système a besoin d'une refondation en profondeur car nous devons collectivement repenser l'action et la dépense publiques, le rôle des impôts et taxes, et la finalité de l'argent. Par Michel Santi, économiste (*).
Michel Santi.
Michel Santi. (Crédits : DR)

Je l'écris depuis 2010. J'ai fait plusieurs livres et des centaines d'articles qui défendent méticuleusement cette position. Les États souverains - c'est-à-dire ceux qui émettent leur propre monnaie hors de toute indexation - devraient apprendre à aimer, à tout le moins à apprivoiser, leurs déficits publics. Car une nation qui contrôle sa monnaie est à même de relancer sa croissance et de soutenir son emploi grâce au levier de la dépense publique et, ce, sans risquer le défaut de paiement. La seule limite à la dépense et à la générosité d'un Etat étant l'inflation, même si l'on constate depuis nombre d'années que la stagnation séculaire où sont empêtrées les économies modernes et intégrées a annihilé ce spectre qui naguère hantait les banquiers centraux.

De l'obligation morale de relancer pour de bon la croissance et l'emploi

Le Japon - qui a dépensé sans  compter depuis plus de vingt ans - et dont la dette publique, la plus massive du monde, dépasse le double de son P.I.B. se débat toujours, non pour lutter contre une inflation qu'il appelle désespérément de ses vœux, mais pour juguler la malédiction déflationniste ! Le Japon est donc l'exemple vivant qu'en 2019 la distinction entre politique monétaire (appliquée par les banques centrales) et politique budgétaire (par les gouvernements) est devenue extraordinairement ténue. En réalité, bien des gouvernements occidentaux se sont adossés sur les banques centrales et se sont soustraits de leurs propres responsabilités en attendant des miracles de la part de la politique monétaire.

La crise démarrée en 2007, le vieillissement des populations occidentales (dont le Japon fait partie), les inégalités aberrantes ayant cours dans certains pays, doivent donc inciter nos responsables politiques et économiques à conjuguer les deux actions avant que les taux négatifs - et qu'un nouveau paradigme qu'ils instaureront fatalement - ne se mettent en place chez nous, avec leurs lots de misère et de volatilité macroéconomique exacerbée. Que la BCE et que la Fed achètent encore et toujours plus d'obligations émises par les États qu'ils contrôlent. Qu'elles en achètent même du secteur privé. Car nos gouvernements ont une obligation morale de relancer pour de bon et croissance et emploi.

Nul besoin d'augmenter les impôts ni de baisser les dépenses publiques

Ce dilemme: rigueur comptable versus soutiens budgétaire et fiscal de la part de l'État résonne en effet bien au-delà du Japon car les taux zéro, voire négatifs dans certains pays, font désormais face à leurs limites car pas suffisamment puissants pour redémarrer une économie, remonter les salaires, améliorer l'investissement, diminuer les inégalités. Et que les esprits chagrins ne s'avisent même pas de mentionner les risques inflationnistes, croyant ainsi provoquer les angoisses et les appréhensions de l'immense masse des citoyens peu versés à la chose économique. En présence de taux si bas qu'ils le sont aujourd'hui, le dépense publique - aussi importante fût-elle - ne génère pas d'inflation. En d'autres termes, si l'inflation est effectivement la seule limitation à une dépense publique massive, il est néanmoins impératif de remettre en question tous les canons - plutôt les préjugés - qui sapent systématiquement toute velléité de reprise.

Notre système a besoin d'une refondation en profondeur car nous devons collectivement repenser l'action et la dépense publiques, le rôle des impôts et taxes, et la finalité de l'argent. A cet égard, l'exemple japonais doit être notre mode d'emploi, ou notre boîte à outils, dont devront s'inspirer tous les États qui - comme celui-ci - jouit du contrôle absolu sur sa monnaie car toutes ces nations n'ont - par temps de crise - strictement pas besoin d'augmenter leurs impôts ni de diminuer leurs dépenses publiques dans une conjoncture de stagnation endémique telle que la connaît l'Europe depuis plus de dix ans. Le soulagement de la précarité et le rétablissement de l'emploi valent bien un déficit, non ?

Quant à la Théorie Moderne Monétaire, si elle a le mérite aujourd'hui de mettre un nom sur une action prônée depuis une décennie par quelques rares économistes aussi hétérodoxes que courageux (comme votre serviteur), sa substance remonte à Keynes qui, dès les années de la Grande Dépression, suggérait aux États d'enrayer la crise et de mettre de l'huile dans les rouages en donnant des emplois aux chômeurs appelés à creuser des trous pour y enterrer des billets de banque... N'oublions jamais que la Grande Dépression ne fut vaincue que grâce à la machine de guerre américaine qui remit tout le monde au travail lors de l'entrée en guerre de ce pays dans la second conflit mondial.

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Commentaires 14
à écrit le 11/06/2019 à 22:53
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Pour le gouvernement japonais et la Boj (banque cenrale),la MMT serait une erreur,mais comme le disent des parlementaires japonais ,les gouvernements japonais et celui de Abe aussi,appliquent une MMT, mais ça ne marche pas car cette création de monna...

à écrit le 11/06/2019 à 17:21
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Si le Japon peut se permettre d'avoir une dette aussi élevée, c'est que cette dette est interne. La monnaie ne gère plus l'économie ce que l'on peut voir avec l'Euro et la crise de l'UE. Seuls les grands investissements, comme le peut le faire un éta...

le 11/06/2019 à 21:17
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Merci : ça a l'air vraiment formidable, le Nicaragua. Et ses vrais socialistes : on peut enfin croire que ça existe.

à écrit le 11/06/2019 à 17:12
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L' argent n'est qu'un moyen d'échange, le reste c'est faire travailler l'argent a notre place!

à écrit le 11/06/2019 à 13:29
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l'exemple même du Japon montre que la relance par le déficit et la dépense publique ne marche pas. Il n'y a pas si longtemps on chantait les louanges des abenomics qui ont lamentablement échoué. Quant à la France ça fait 40 ans qu'on essaie de la r...

le 11/06/2019 à 22:27
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Votre comparaison avec le Vénzuela est hors de propos. Car ce pays est attaque par les USA, et la CIA.

le 12/06/2019 à 11:32
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@frbonvin225 : inutile de chercher une excuse au désastre économique du Venezuela chaviste. Il a reproduit à l'identique les erreurs économiques des pays communistes d'Europe de l'Est, il a obtenu les mêmes résultats. Et le désastre est d'autant plus...

à écrit le 11/06/2019 à 13:27
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l'exemple même du Japon montre que la relance par le déficit et la dépense publique ne marche pas. Il n'y a pas si longtemps on chantait les louanges des abenomics qui ont lamentablement échoué. Quant à affirmer "La seule limite à la dépense et à l...

à écrit le 11/06/2019 à 12:21
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Bon, alors, qu'est-ce qu'on fait ? Si les économistes étaient moins abscons, on n'aurait peut-être pas "l'immense masse des citoyens peu versés à la chose économique" , décrite un peu dédaigneusement par l'auteur de cet article. Ne prenez pas les F...

à écrit le 11/06/2019 à 12:20
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On en revient toujours au même problème, celui d'avoir confié le financement public à des banques privées. Ça n'a aucun sens, sauf à ce que quelques groupes tiennent les États par les "cou...les". Pour l'UE ça passe inévitablement par l'abandon de l...

à écrit le 11/06/2019 à 11:50
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QE = dévalorisation du Dollar, de l'Euro et du Yen face au Yuan! Yuan qui va s'injecter partout par l'intermédiaire des crédits aliénants du Belt and Road et des produits de la finance chinoise qui flirte avec la Suisse et Monaco... Les Supra banqu...

à écrit le 11/06/2019 à 11:27
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Il est incompatible de vouloir gérer un pré carré dans un monde désorganisé, pire sans pouvoir gérer sa monnaie, ils apprennent quoi dans leurs très grandes et nobles écoles..Redécouvrons les idées de Maurice Allais (Lettre au Français) notre seul pr...

à écrit le 11/06/2019 à 8:46
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C'était quand même bien plus simple à l'époque de la monarchie dans laquelle lorsque la bourgeoisie spéculatrice allait trop loin cette première coupait la tête de quelques uns des seconds et immédiatement les caisses publiques allaient bien mieux. ...

à écrit le 11/06/2019 à 8:45
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euh, hitler aussi a remis l'allemagne sur les rails en donnant du travail bien paye a plein d'allemands et en refusant de payer les dettes ' facon republique de weimar' cela dit decouvrir que l'etat doit etre bien gere pour ne pas demotiver et ne pa...

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